A l’occasion des Rencontres économiques Aix En Seine, du 3 au 5 juillet, « Le Monde » publie le texte de Raphaël Grandeau (26 ans), lauréat de l’opération « La Parole aux 18-28 » organisée dans le cadre de cet événement.
Tribune. A l’heure où le Vieux Continent rouvre timidement ses frontières, où la complexité des travaux scientifiques se noie sous les paroles de guides d’opinion, et où nous redécouvrons la signification du biopouvoir de Michel Foucault, je vous propose de partir ensemble pour un voyage en trois escales. Agriculture, énergie, mobilité – chaque escale est une expérience, pour nourrir des réflexions sur le monde à venir.
Première escale : Hiscahoco, en Bolivie. Pour y parvenir, il faut d’abord atteindre La Paz, nichée à 3 500 mètres d’altitude. Prendre un bus à la volée, marcher dans la broussaille poussiéreuse, pour enfin apercevoir quelques maisons de terre cuite. A l’été 2018, je rejoins les paysans boliviens Wilmer, Lydia, et leurs cinq enfants. L’objectif est de construire une serre agricole, une idée mûrie avec cette famille que j’avais rencontrée deux ans auparavant. Sur l’altiplano, les conditions sont rudes : récolte de l’orge à la serpe, patates déshydratées à chaque repas.
Impliquer les paysans dans la conception et la construction de la serre a garanti la pérennité de son usage, un aspect clef si l’on veut réussir un projet d’aide au développement. Un an plus tard, la famille a donné des nouvelles : la serre abrite aujourd’hui essentiellement des salades. La serre semble donc être utilisée, mais l’alimentation de la famille s’est-elle vraiment diversifiée ? Les salades sont-elles partagées avec d’autres familles ? Le fils aîné, m’apprend-on, passe désormais ses vacances dans la banlieue tentaculaire de La Paz. Il y vend des sandales asiatiques importées via le Pérou. Se dessine en filigrane une dynamique qui nous dépasse un peu. Et nous interroge : quels échanges et quelles solidarités entre Etats et territoires souhaitons-nous, notamment en termes d’agriculture ?
L’agriculture andine est symptomatique. Dans les quartiers branchés des capitales occidentales, le quinoa colonise les assiettes. Avec un prix triplé entre 2008 et 2012, la graine des Andes traverse aisément les frontières (State of the art report on quinoa around the world, Food and Agriculture Organisation, 2013). L’exportation s’est substituée à la consommation locale, et la Bolivie importe en revanche massivement du riz asiatique et du blé argentin. Les flux de céréales s’entrecroisent. Au risque de créer un choc économique ?