A quelques jours de la célébration des 20 ans de la Cour pénale internationale (CPI), Ali Ouattara, Point Focal tégional – Afrique Francophone WFM-IGP, dresse le bilan de cette juridiction internationale.
Le Statut de Rome instituant la CPI aura 20 ans le 17 juillet. Quel regard jetez-vous sur le parcours réalisé par la CPI ?
Le Statut de Rome instituant la Cour pénale internationale qui a été adopté le 17 juillet 1998, a suscité beaucoup d’espoirs dans le travail de la lutte contre l’impunité, la justice universelle, la justice pour les victimes des crimes graves dans le monde quel qu’en soient les auteurs. Le Statut est la plus grande avancée en matière de justice où l‘exécutant et le commanditaire doivent rendre compte et surtout où la qualité officielle d’un individu n’est aucunement prise en compte. En d’autres termes, aucune immunité pour des hauts responsables qui commettent des crimes heurtant la conscience humaine, aucune souveraineté pour les Etats. C’est donc une juridiction qui a été créée pour les victimes, pour les plus faibles, pour les populations. Aujourd’hui, après 20 ans d’existence et 15 ans de fonctionnement (Entrée en vigueur le 1er juillet 2002), c’est un bilan mitigé. Au niveau de son rôle préventif, rien que l’existence de la CPI elle seule, a permis d’éviter la commission de crimes par certains dirigeants. Les responsables militaires comme politiques sachant qu’ils peuvent répondre devant cette juridiction, réfléchissent à plusieurs reprises avant de poser des actes. Par ailleurs, les déclarations, interpellations et souvent menaces du Bureau du Procureur ont dissuadé très souvent des velléités de violations des droits humains par certains dirigeants. Les mandats d’arrêts, les procès aussi ont permis de réduire la commission de crimes graves.
Au niveau de son rôle répressif, même si des enquêtes ont été ouvertes, des mandats d’arrêts émis, des procès organisés, ce qui est positif ; malheureusement, les attentes sont en déça et beaucoup d’espoirs déçus, particulièrement au niveau des victimes. Le constat est que beaucoup de victimes ne sont pas prises en compte tant au niveau des situations que des affaires. Le Trust Fund (Fonds au Profit des victimes) qui est censé assister et faire les réparations n’a pas les moyens matériels de sa politique et donc un sentiment d’abandon est constaté par certaines victimes. Pour les enquêtes dans les pays en situation, la stratégie usitée ne prend pas en compte très souvent les deux belligérants au conflit. Un seul camp est poursuivi donnant ainsi un sentiment de justice des vainqueurs. Pour les mandats, l’exécution n’est quelques fois pas effective eu égard à une faiblesse du Statut qui n’a prévu aucune police ni armée pour sa mise en oeuvre, comptant seulement que sur le bon vouloir des Etats Parties (la Coopération : Ch IX du Statut). Pour les procès, la longueur, le manque quelquefois d’éléments de preuves suffisants et pertinents, certains acquittements, mettent en mal l’image et la crédibilité de la Cour. Enfin la possibilité de saisine du Conseil de Sécurité pour l’ouverture d’une enquête dans le cadre du Chapitre VII des Nations, est une autre faiblesse qui touche à l’impartialité de la Cour, quand on sait que le Conseil de Sécurité est un organe très politique, surtout inéquitable et souvent injuste dans ses décisions (Droit de veto).
« La CPI est confrontée à des difficultés »
Vingt ans après l’adoption du Statut de Rome portant création de la CPI, la Cour est en devenir. Comme tout enfant qui grandit, elle aussi est confrontée à des difficultés de croissance bien connues et qui méritent d’être prises en compte pour une CPI effective, permanente, indépendante, juste et équitable. Cet anniversaire doit donc être une opportunité pour faire un bilan sans complaisance et tirer les leçons de son fonctionnement pour un nouveau départ avec au centre l’intérêt des victimes.
Les pays africains qui étaient les plus nombreux à ratifier le Traité de Rome, ont en grande majorité recusé la CPI au point où certains ont demandé un retrait collectif de l’Union africaine de cette juridiction internationale. Comment expliquez-vous ce désamour entre la CPI et l’Afrique ?
Effectivement le continent africain est le plus représenté à la Cour contrairement à ce que l’on veut faire croire (33 Etats parties). Précisons que le premier Etat à ratifier le Statut de Rome est africain. Il s’agit du Sénégal. Précisons aussi que l’UA n’est pas membre de la CPI. Elle ne peut donc pas demander de retrait collectif. Cela n’existe pas dans le Statut. Chaque Etat adhère librement, en sort librement. C’est le cas du Burundi par exemple. Aujourd’hui encore, l’Afrique se taille la part belle au niveau des postes de la Cour (Bureau du Procureur, Greffe, Trust Fund, juges et autres agents). On pourrait même dire que la CPI est plus africaine qu’occidentale si on s’en tient au nombre d’Africains qui y siègent et surtout aux postes clés tenus par les Africains. Par exemple depuis quelque mois, la présidence de la Cour est assurée par un Nigerian, sans toutefois oublier que le poste de Procureur est toujours aux mains d’une Gambienne.
Le désamour est plutôt au niveau du « syndicat des chefs d’Etats » qui veut commettre impunément des crimes sur sa population qu’il est censé protéger. C’est donc la peur de voir leurs immunités et autres privilèges mis à l’écart qui les fait faire toute cette campagne de désinformation sur la CPI. Comme vous le constaterez, malgré tout ce tapage médiatique, seul le Burundi a osé franchir le pas. Car n’oublions pas qu’aujourd’hui au pouvoir avec toute sa puissance, tout chef d’Etat peut demain devenir une victime en cas de retournement de situation. C’est cette crainte qui a dû dissuader plus d’un et qui fait qu’à ce jour, ils n’ont pu joindre l’acte à la parole. Signalons aussi qu’en Afrique, tout citoyen est une potentielle victime de ses dirigeants. Les Africains doivent donc continuer de soutenir la CPI, malgré tout ce qu’on pourrait lui reprocher. Elle a au moins le mérite d’exister, alors qu’en Afrique aucune juridiction de ce type n’a encore vu le jour malgré des tentatives très politisées. Les victimes Africaines sont donc toujours laissées pour compte par leurs dirigeants.
Etes-vous pour le projet de création d’une Cour pénale africaine chargée de juger les auteurs de crimes graves ?
Nous disons Oui. Plus il y a de juridictions internationales de justice, moins il y aura de violations des droits humains. Elle pourrait donc être complémentaire de la CPI. Mais pour cela, il faut qu’elle puisse juger des dirigeants même s’ils sont au pouvoir. Malheureusement, nous constatons que le protocole de Maputo fait une part belle aux hautes autorités africaines en fonction. Ce protocole stipule qu’ils ne peuvent être poursuivis tant qu’ils sont au pouvoir. Cette prise en compte de leur immunité durant leur exercice est un encouragement à tuer impunément et surtout à rester éternellement au pouvoir. Ce protocole est donc un encouragement à l’impunité, un encouragement à une instabilité chronique de nos Etats. L’impunité d’aujourd’hui est le crime de demain.
La CPI est critiquée par les pays africains et pourtant elle compte de nombreux fonctionnaires du continent. Ces fonctionnaires disposent-ils de pouvoir réel ?
Oui. Ces fonctionnaires qui sont les plus nombreux sont indépendants et traitent les dossiers avec impartialité, équité et conscience. Leur pouvoir est donc réel.
Jean Pierre Bemba, accusé de crimes graves en Centrafrique, a été acquitté à la surprise générale. Ce scénario était-il prévisible ?
Nous avons tous été surpris par cette réculade des juges qui prouvent encore une fois leur indépendance. Car n’oublions pas que Jean Pierre Bemba avait été condamné une première fois. C’est cela aussi la justice. Tout le monde sait qu’il y a eu des morts, qu’il y a des milliers de victimes. Tout le monde sait que Bemba est mêlé à ces crimes. Mais la difficulté réside au niveau des éléments de preuves concrets. Alors que fait-on des victimes ? Que deviendront-elles ? Sur quoi et qui pourront-elles encore compter ? C’est donc choquant cet acquitement. C’est triste.
Pour certains, ce procès est l’acte qui signe la fin de la CPI. Partagez-vous cette opinion ?
Un simple procès ne peut pas signer la fin d’une structure comme la CPI. Même l’UA n’y est pas parvenue malgré sa campagne de désinformation. Il y a trop de violations des droits Humains sur notre planète. La CPI a donc de beaux jours devant elle. Seulement, elle doit rassurer et mettre toujours au centre l’intérêt des victimes. Revoir sa stratégie de communication, d’enquête, être plus proche des populations et surtout proactive.
Quel sort est reservé aux victimes du procès Bemba ?
Nous attendons. C’est aux juges de décider.
Bemba sera-t-il dédommagé pour tout ce temps passé en prison ?
A ce stade, nous ne savons pas si M. Bemba va demander des dédommagements liés à sa détention, maintenant qu’il a été acquitté. On pourrait néanmoins imaginer qu’un bon conseiller de défense poursuivrait cette question. Je crois qu’on ne saurait pas plus avant que le procès Procureur contre Bemba soit totalement clos. Il faut préciser que ce procès n’est pas encore terminé même s’il y a eu acquittement. Donc, il faut attendre. Il pourrait avoir d’autres décisions ou rebondissements. Ce qu’on sait déjà, c’est que jusque-là, personne n’a demandé de dédommagements pour son emprisonnement ou pour sa libération à la CPI – même ceux dont des charges n’ont pas été confirmées.
Le cas Bemba va-t-il influencer les cas Laurent Gbagbo et Blé Goudé ?
Non. Ce sont deux procès différents, dans des pays qui ne sont pas les mêmes. Les charges ne sont pas identiques, etc.
Où en est-on avec l’enquête de « Côte d’Ivoire 2 » ?
L’enquête sur Côte d’Ivoire 2 continue et est très avancée.
Vous continuez à exiger le transfèrement de Simone Gbagbo à La Haye malgré le refus des autorités ivoiriennes. Pourquoi adoptez-vous cette position ?
C’est une question de logique et de principe. Vous le constatez comme nous, que même si la Côte d’Ivoire a fait des avancées en incorporant dans son code pénal et de procédure pénale les compétences de la CPI, il n’en demeure pas moins qu’elle n’a pas encore la capacité infrastructurelle, humaine, au niveau des ressources et de l’expertise pour des procès du type de Mme Gbagbo. A preuve, tout le monde est unanime sur le fiasco du deuxième procès de Mme Gbagbo. C’est pour toutes ces raisons que nous disons que Mme Gbagbo doit être transférée à La Haye. Pour nous, seule la CPI peut pour l’instant lui assurer un procès équitable et impartial.
Nomel Essis