Le Président Biden vient de dévoiler son équipe gouvernementale et l’air de famille avec celle en place entre 2009 et 2017, est frappante.
Si certains se félicitent du fait que l’expérience de ces personnes permette à l’équipe gouvernemental d’affronter les nombreux défis auxquels le pays est confronté, d’autres estiment que cela n’augure rien moins qu’un troisième mandat pour Barack Obama. Si cette déduction peut paraitre légitime en ce qui concerne la politique intérieure, elle demeure suspecte de naïveté en ce qui concerne la politique étrangère des Etats-Unis dont les enjeux transcendent la couleur politique de celui qui hante le Bureau ovale.
En effet, les clivages en politique intérieure sont fortement marqués par une nette démarcation entre une posture conservatrice d’un côté et progressiste de l’autre sur les principaux sujets de société. Pour les démocrates, les Etats-Unis sont avant tout une union de communautés diverses auxquelles il faut assurer une protection et des droits égaux. Le parti Démocrate qui a toujours été à l’avant-garde des batailles progressistes est décrit à juste titre comme la « grande tente » qui abrite tous les citoyens américains sans distinction.
Le président Obama a opéré un virage plus encore à gauche avec l’assurance universelle, la promotion des droits de la communauté LGBT et la régulation massive des immigrés illégaux.
A l’antipode de tout cela, le parti Républicain apparait presque comme un parti religieux, formaté par les dogmes du protestantisme et prônant jusqu’au sacerdoce le respect des valeurs familiales et traditionnelles d’une Amérique blanche et puritaine. Ce parti qui prône un conservatisme économique favorisant que les classes privilégiées, a commencé ces dernières années sous l’influence du Tea party et de Trump à flirter avec les mouvements d’extrême droite. Sur le plan interne donc le Président Biden réputé être un centriste, va poursuive la politique d’Obama qui est, avant tout, celle de son parti. Cependant, Biden sera plus audacieux qu’Obama dans la lutte contre les inégalités raciales. Ce dernier avait refusé de faire de cette question une priorité de ses deux mandats, craignant d’être catalogué du fait de sa couleur de peau, comme le président des minorités raciales. Il avait donc assisté impuissant à la montée du racisme jusqu’au 26 juin 2015 où participant aux funérailles d’un pasteur noir assassiné dans son église avec huit autres personnes par un suprématiste blanc, il monta sur l’estrade pour chanter le célèbre chant chrétien Amazing Grace.
Ce fut, selon la presse, la première fois qu’en tant que premier président afro-américain, il trouvait le bon équilibre entre le moment, l’endroit et les mots pour évoquer les divisions raciales qui se sont exacerbées depuis.
En politique étrangère par contre, très peu de différences entre démocrates et républicains pour lesquels la protection et la promotion des intérêts des Etats-Unis dans le monde restent l’unique boussole. La différence se trouve uniquement dans le style et la prise en compte des paradigmes comme celui des droits de l’Homme par les démocrates pour définir la posture à tenir envers un pays étranger. C’est ainsi que Carter a sacrifié le Shah d’Iran, un fidèle allié des Etats-Unis, sur l’autel des droits de l’Homme en 1979 et que Trump a refusé d’en faire autant avec l’Arabie Saoudite en 2018 suite à l’exécution du journaliste khashoggi dans le consulat saoudien à Istanbul.
L’Administration Biden vient d’ailleurs d’annoncer la déclassification de la note de la CIA sur cette affaire, ce que Trump avait refusé de faire.
Sur le fond donc, il sera difficile à Biden de trancher radicalement avec Trump, en dehors du folklore, sur un certain nombre de sujets sensibles, tels que les relations avec l’Europe, la Chine ou encore la situation au Moyen-Orient. Les relations entre les Etats-Unis et l’Europe ont été depuis la fin de la seconde guerre mondiale privilégiées. Les Etats-Unis ont contribué à la reconstruction de l’Europe et continuent de garantir sa sécurité à travers leur apport déterminant à l’Otan. Trump a remis en cause cette prise en charge de la sécurité européenne par les Etats-Unis en demandant aux intéressés de mettre la main au portefeuille. Il a également contrarié les intérêts du Vieux continent avec les retraits des Etats-Unis des accords de Paris sur le climat et celui sur le nucléaire iranien. A cela, il faut ajouter les conflits commerciaux avec les Européens sur le vin et les fromages français ou les automobiles allemandes. Son soutien au Brexit a également été très mal perçu par l’Union Européenne.
Mais si Biden est revenu dans l’accord sur le climat, les autres sujets sur lesquels Trump a mis le curseur, devraient immanquablement faire l’objet de négociations et les partenaires transatlantiques devraient consentir à des réajustements dans leurs relations.
Il en sera ainsi également pour les relations avec la Chine. La Chine considère les Etats-Unis comme la seule véritable grande puissance capable de lui faire ombrage sur la scène mondiale. De leur côté, les Etats-Unis considèrent leurs relations avec la Chine comme déterminante. Dès lors, les deux moteurs de la croissance de l’Economie mondiale sont engagés dans une concurrence stratégique sur fond de guerres commerciales qui ont pris de l’ampleur sous Trump. La question devrait donc préoccuper le Président Biden qui considère d’ailleurs que « Les Etats-Unis doivent être fermes avec la Chine ».
Une différence notable avec Obama qui n’a jamais considéré la Chine comme une menace contre les intérêts américains.
Au Moyen-Orient, les Etats-Unis devraient réintégrer l’accord sur le nucléaire iranien fruit d’une décennie de négociations, que Trump a dénoncé sans raison pertinente. Cependant, une nouvelle dynamique est née dans la région avec la normalisation à la chaine entre Israël et les principaux pays arabes sur la base de leur opposition commune à l’Iran. Ce rapprochement historique devrait constituer une excellente fenêtre de tir pour Biden pour tenter de démêler les nœuds inextricables de cette région.
L’accord sur le nucléaire ne devrait pas être repris totalement, mais faire l’objet d’une évaluation comme le prévoit le texte, afin de définir probablement des avenants qui prennent en compte les inquiétudes des rivaux régionaux de l’Iran et qui explique en partie la décision de Trump.
Sur tous ces sujets et bien d’autres, le Président Biden devra rétablir et crédibiliser le leadership des Etats-Unis et leur capacité à fonder l’Histoire dans le monde. Le Président Obama avait refusé cette posture notamment au Moyen-Orient, toute chose qui avait causé le pourrissement du conflit syrien et l’ascendance de l’Etat islamique.
La politique étrangère de Biden ne devrait donc pas être très différente de celle de Trump en dehors des moyens utilisés. Au total, s’il est indéniable que l’élection de Biden remet en selle l’équipe qui a travaillé avec Barack Obama, son mandant ne saurait être qualifié de troisième mandat d’Obama. Loin s’en faut !
Moritié Camara.
Professeur Titulaire d’Histoire
des Relations Internationales.
Asriesa2012@gmail.com