Modifier la Constitution pour limiter à 75 ans l’âge des candidats à la présidentielle suscite un véritable débat au sein de la classe politique. Professeur Moritié Camara, enseignant à l’université Alassane Ouattara de Bouaké met les pieds dans le plat.
Le député AssaléTiemoko a annoncé le vote en avril 2022 d’une loi modifiant la Constitution pour limiter à 75 ans l’âge limite pour être candidat à la présidentielle. Pensez-vous que cette modification, si elle intervient, constitue une avancée de la démocratie en Côte d’Ivoire ?
Je ne vois pas le lien que cette modification ou révision aurait avec la démocratie à plus forte raison constituer une quelconque avancée démocratique. Je ne connais pas les motivations de ce parlementaire mais elles sont certainement à rechercher ailleurs. Toutefois, votre question qui est symptomatique de l’imposture dans laquelle hélas nous baignons depuis les années 1990, lorsqu’on parle de démocratie dans ce pays et dans beaucoup d’autres pays africains d’ailleurs, commande deux mises au point : D’abord, une Constitution n’est pas un code électoral que l’on remanie à l’approche de chaque élection. Il est commun en Afrique que l’on se souvienne qu’un pays a une Constitution uniquement à la veille des élections. Je crois savoir que le texte adopté en 2000 limitait l’âge maximum du candidat à la présidence de la République à 75 ans, une disposition qui a disparu du texte de 2016. Maintenant s’il s’agit de la réintroduire dans le texte en 2022, cela participe d’un jeu politicien et nullement d’une quelconque avancée démocratique. Cette instabilité de la norme juridique suprême, me fonde d’ailleurs à préférer au terme « Constitution » dont les dispositions sont impératives, le terme de loi fondamentale qui est purement indicative. Ensuite, la seule avancée démocratique que je note moi, c’est la décision prise par le Pdci, alors parti unique le 30 avril 1990 de permettre l’application de l’article 7 de la Constitution sur le multipartisme. Toutes les autres « avancées » insidieusement réputées » démocratiques », sont des avancées électorales. L’élection est un moment important de la démocratie, mais n’est pas la démocratie. Loin s’en faut ! Pour cela, il faut garder en esprit que le choix de l’élection pour désigner les responsables dans un pays n’a pas trois siècles. A Athènes, berceau de la démocratie, c’était le tirage au sort qui était utilisé. Les dispositions du texte de 1960 qui organise une présidence monarchique, l’Etat patrimonial avec un exécutif qui caporalise les autres pouvoirs sont toujours de mises.
Dès lors, ce type de débat que j’assimile au procès de Viviane Amsalem (durant lequel tous les protagonistes : accusé et délatrice, juges et avocats, témoins et sachants parlent de tout sauf du sujet qui les réunit au sein du tribunal) ne servent qu’à épaissir le brouillard de la confusion et nous donner par l’effet d’optique l’illusion de faire avancer la démocratie.
30 ans après le retour du multipartisme en Afrique, la démocratie semble patiner avec les coups d’état intervenus récemment en Guinée et au Mali. Comment expliquez-vous cette marche à reculons des pays africains sur le chemin de la démocratie ?
Sur le chemin de la démocratie, nous sommes en Afrique depuis 1990 année de référence historique, encore plus proche du point de départ que du point de mire et c’est dommage. Les coups d’Etat trouvent un terreau favorable à leur expression que dans des pays où l’Etat de droit n’existe pas. Allez imaginer un coup d’Etat en France, en Allemagne ou aux Etats-Unis ! Dès lors, tant qu’il n’y aura aucun investissement pour construire l’Etat de droit qui est consubstantiel à la démocratie, des coups d’Etat, l’Afrique en offrira treize à la douzaine au monde. Hier encore (NDLR : mardi 21 septembre 2021) une tentative aurait échoué au Soudan. L’Afrique n’avance pas à reculons sur le chemin de la démocratie mais refuse simplement de l’emprunter. Ce refus relève souvent de l’ignorance car beaucoup pensent que les Commissions électorales indépendantes, le bulletin unique, le vote à 18 ans, la confection consensuelle des listes électorales, les urnes transparentes et la présence d’observateurs extérieurs sont des avancées démocratiques alors qu’elles ne sont que des avancées électorales et rien de plus. Tant que l’Etat de droit qui a pour socle une séparation nette des trois pouvoirs qui rend tous les individus égaux devant la loi, vous pouvez parler de tout sauf de démocratie. L’évolution récente en Haïti où le procureur a été limogé par le Premier ministre après avoir suggéré après enquête que ce dernier soit entendu par la justice pour son implication dans l’affreux assassinat du Président JuvenalMoise en juillet dernier nous situe sur les enjeux de la séparation et de l’indépendance des pouvoirs dans un pays. D’ailleurs, l’avant dernier article de la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen de 1789 dispose que : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution. »
Ces échecs ne donnent-ils raison à Jacques Chirac qui avait dit que « la démocratie est un luxe pour les Africains » ?
Il savait certainement de quoi il parlait, lui qui a hanté tous les palais des dirigeants de l’Afrique francophone durant des décennies. Il s’est certainement rendu compte de leur rapport au pouvoir et de la manière dont ils se concevaient eux-mêmes en tant que dirigeants. Ceux qui se sont montrés pessimistes sur l’avenir de l’Afrique aux lendemains de la proclamation en chaine des indépendances dans les années 1960, s’inquiétaient d’abord de la viabilité de l’Etat postcolonial. La nature patrimoniale et prédatrice de cet Etat qui appartient avec ses ressources à ceux qui le gouvernent, ne pouvait que susciter des luttes à mort pour le dominer. Les pouvoirs forts à travers les partis uniques qui ont régné durant les trente premières années qui ont suivi les indépendances ont pu canaliser les appétits des uns et des autres que le multipartisme a libérés sans caution. Dès lors, le nombre de morts, blessés et disparus sur le continent en trois décennies à partir de 1990 est largement supérieur au nombre de morts durant la période de la colonisation et du règne des partis uniques. Cela est arrivé à cause de la mauvaise pédagogie que les uns et les autres ont fait de la démocratie et de ses codes de fonctionnement. La logique des pourfendeurs des régimes en place était : « pousse-toi de là que je m’y mette » et rien d’autre. Ce que confirme d’ailleurs le bilan des alternances à la tête de nos Etats depuis 1990. Les gens étaient pressés. Une nouvelle oligarchie devait sans délai, prendre la place de l’ancienne. Le Président Houphouët-Boigny avait eu la sagesse de recommander un délai d’apprentissage et de compréhension. Lui-même avait fait du Pdci alors parti unique, un laboratoire pour apprendre à vivre dans un écosystème de compétitions politiques apaisées. Après l’échec de 1978, les élections législatives et municipales à partir de 1980 étaient ouvertes à plusieurs candidats tous issus du parti qui s’affrontaient fraternellement sur le terrain pour recueillir le plus de vote possible. Lorsque vous passez d’une vie de simplicité à une vie de luxe, il vous faut absolument apprendre les codes de fonctionnement de votre nouvelle vie et les africains ont refusé d’apprendre.
L’Afrique est-elle prête pour la démocratie de type occidental ? Ne faut-il pas que le continent invente son modèle de régime politique ?
La démocratie représentative que nous avons en occident et que nous souhaitons avoir en Afrique, n’a pas trois siècles et l’Homme est sur cette terre depuis des millénaires. Plusieurs formes de gouvernements ont existé avant la démocratie représentative et/ou cohabitent avec elle. Churchill a suggéré qu’elle était le pire des systèmes à l’exclusion de tous les autres. L’histoire est le témoignage des avancées de l’esprit humain, nul doute que dans des siècles à venir l’homme invente un système mieux que la démocratie en matière de garantie de la souveraineté du peuple dans la gestion de ses affaires. Pour l’heure, c’est le système à même de garantir l’égalité de tous devant la loi. Bien sûr avec l’exemple chinois, nul besoin de démocratie pour se développer. Les Etats africains tels qu’hérités de la colonisation sans homogénéité ethnique et tribale, ne peuvent fonctionner que sous l’empire d’un autocrate comme ce fut le cas les premières décennies après les indépendances ou adopter la démocratie véritable. Actuellement les pays africains dans leur grande majorité, se trouvent dans une zone grise entre l’autocratie et la Démocratie et il est peut-temps d’en sortir.
Cependant la question qui arrive involontairement à mon esprit est de savoir si l’émergence de l’Etat de droit en Afrique est souhaitée par les grandes puissances, notamment occidentales. Je ne suis pas encore à la fin de ma réflexion pour pouvoir formuler une opinion exacte sur cette problématique. Cependant je remarque que le Droit des affaires qui joue le même rôle que les infrastructures construites dans les colonies à savoir faciliter leurs exploitations, est le secteur de notre corpus règlementaire qui fait objet de la plus grande attention de la part des grandes puissances. Dès lors, si tant est qu’ils souhaitaient voir naitre l’Etat de droit sur nos terres, ils exerceraient comme c’est le cas avec le droit des affaires, les pressions idoines pour faire avancer les choses dans la bonne direction.
Dans cette grisaille, les pays anglophones semblent tirer leur épingle. Comment expliquez-vous cette réussite relative ?
Je n’ai pas la même lecture que vous. Bien sûr sur le plan de l’indépendance et de la souveraineté, il est évident que les pays anglophones sont plus libres de définir leurs propres agendas que les pays francophones, mais en ce qui concerne l’implémentation de la Démocratie dans les mœurs politiques, je ne vois pas de différences notables entre francophones, anglophones, lusophones ou autres sur le continent. Il y a des pays anglophones qui font office de pionniers comme le Ghana mais il est difficile de généraliser cela à tous les pays anglophones qui seraient plus enclins à la démocratie que les pays francophones.
Vous savez lorsque le vent de l’Est a commencé sa course en Europe de l’Est à la fin des années 1980, il a sauté l’Afrique du nord pour s’abattre sur l’Afrique noire. Au milieu des remous certains, les dirigeants ont décidé de se mettre du bon côté de l’Histoire et tirer les leçons de la nouvelle donne qui avait cours dans le monde. Cependant, le remède set révélé pire que le mal en termes de succession aux dirigeants alors en place. Comme je l’ai dit, cela est la conséquence de la mauvaise pédagogie faites des enjeux de la démocratie et du moteur qui sous-tend toute lutte politique en Afrique et qui est malheureusement le « ôte-toi de là que je m’y mette ». Il faut espérer que la nouvelle génération qui est entrain de succéder à l’ancienne sur les plans politique et intellectuel, prenne la résolution d’investir dans la construction de l’Etat de droit afin de libérer l’Etat de l’emprise des oligarchies qui se succèdent à sa tête et permettre aux deux autres pouvoirs que sont le législatif et le judicaire de recouvrer également leur liberté et leur souveraineté comme cela se voit dans les pays démocratiques, notamment en Occident.
Nomel Essis