Dans cette réflexion dont l’Infoexpress a reçu copie, l’historien Mouritié Camara établit un parallèle entre la vague de coups d’état qui a envahi l’Afrique de l’ouest et la dictature instaurée dans l’antiquité à Rome et en Grèce.
Le terme dictateur ou tyran est péjoratif à l’époque contemporaine mais cela n’a pas toujours été le cas notamment dans la Rome et la Grèce antiques où son sens était plutôt mélioratif. En effet, au début de la République romaine, soit 509 avant notre ère, le dictateur était un magistrat nommé par deux Consuls avec l’approbation du Senat à la tête de la cité avec des pouvoirs exceptionnels et au-dessus de tous les autres pour faire face aux urgences militaires, politiques et sociales afin de ramener la sérénité et la sécurité. Dès sa nomination, il nomme un maitre de cavalerie (sorte de Chef d’Etat-Major ou Premier Ministre) et établit son propre agenda en conformité avec ses missions en consultant les assemblées des citoyens même si son pouvoir n’est pas soumis au droit d’appel au peuple comme les autres magistrats. Cependant, son pourvoir ne pouvait excéder six mois qui correspondaient au temps nécessaire pour mener une campagne militaire efficiente. A la fin de ce délai, qu’il ait réussi ou non sa mission, il est tenu tout comme son chef de la cavalerie, de démissionner. Cette disposition temporelle sera respectée par tous, sauf par les dictateurs Sylla (82 av. J.C) et Jules César (49 av.J.C) qui n’en tiendront pas compte.
En Grèce, la notion de tyran équivalent du dictateur à Rome apparaît au VIIe siècle avant J.-C. Il était désigné pour le temps qu’il faut pour venir à bout des désordres intérieurs et difficultés extérieures des cités. Cette non-limitation formelle de son mandat a permis à des dynasties de tyrans régner sur certaines cités même si aucune n’a pu se perpétuer sur trois générations. Le tyran n’est pas nommé par un magistrat comme à Rome, mais comme arbitre par les forces sociales opposées et fatiguées de se battre afin de concilier leurs intérêts et éviter un péril pour l’Etat. C’est ainsi qu’à à Athènes, le poète Solon sera désigné tyran en -594 pour éviter une révolte du peuple contre les patriciens et l’éclatement de la cité aux lendemains de la conquête de Salamine. En seulement une année, il reforme l’Etat athénien et le doter de sa première constitution. Son œuvre est resté dans l’histoire comme ayant contribué à renforcer la Démocratie athénienne. Il abolit l’esclavage pour dettes, réduit les dettes publiques et privées des populations et instaure le tribunal du peuple avec un accès de tous les citoyens à la justice. Le tyran était le parangon de la démocratie et les tyrans s’appuyaient toujours sur le peuple pour se légitimer et légitimer leurs actions.
C’est dire combien les termes » tyrans » et » dictateurs » avaient pendant longtemps une résonnance différente de celle qu’ils ont aujourd’hui. D’ailleurs, des penseurs majeurs comme Montesquieu et Rousseau ont suffisamment argumenté sur les vertus de ces institutions que sont la tyrannie et la dictature. Après la Révolution française de 1789, pour préserver et pérenniser la République qui venait de naitre contre les adversités internes et externes, Robespierre se drapa lui-même du manteau de dictateur. Machiavel avait bien avant, loué la dictature comme l’instrument qui a sauvé la République romaine. Pour lui, « sans ce remède, la République serait tombée».
Aujourd’hui par contre, tyrannie et dictature sont des termes péjoratifs qui désignent des régimes totalitaires et autoritaires.
Cependant on est autorisé lorsqu’on est instruit de la fonction et des prérogatives anciennes du dictateur et du tyran, à faire un parallèle avec les agitations politiques qui secouent nombre de pays africains depuis plus d’une décennie et les accomplissements comme au Mali et au Burkina Faso. C’est un fait établique l’opinion publique africaine, dans sa grande majorité, est déçue par la gouvernance de nos Etats en terme d’opportunités de réalisation personnelle, de gestion de la chose publique, d’égalité des chances et de souveraineté nationale et internationale. Ces récriminations deviennent carrément existentielles avec non seulement les paradigmes de sécurité dans des pays où des milliers de personnes innocentes sont tuées presque impunément depuis trop longtemps par ceux qui sont identifiés comme terroristes mais aussi et surtout pas le sentiment populaire que l’incapacité des autorités découle avant tout de leur inféodation à une puissance étrangère dont elles protègent en priorité les intérêts au détriment de ceux du pays.
Les populations confrontées à ces situations, attendent que leurs gouvernants soient à la hauteur en prenant des initiatives d’autorité pour le seul et unique intérêt de leur pays. Toute défaillance ou hésitation de leurs dirigeants en la matière est interprétée comme une incapacité d’assumer leurs charges constitutionnelles et un élément de disqualification. C’est dans cette situation délicate que se sont retrouvés les anciens dirigeants maliens Amadou Toumani Touré, Ibrahim Boubacar Keita et burkinabé Roch Marc Kaboré. Les coup d’Etats dont ils ont été victimes, ont été largement inspirés et suscités par des populations très remontées qui ont forcé la main aux militaires pour passer à l’action. Toute chose qui explique que ces derniers ont l’onction d’une large majorité de l’opinion qui ne manque d’ailleurs pas de célébrer à chaque fois.
Cependant nous ne sommes pas en Grèce ou dans la Rome antique et il existe des mécanismes institutionnels et juridiques pour congédier un président incompétent et soumis, en dehors de l’appel aux militaires qui n’ont pas vocation à s’immiscer dans la gestion politique de nos Etats et qui ne sont pas tous des descendants de Solon d’Athènes et des thuriféraires de Rawlings, le militaire qui a mis le Ghana sur le bon orbite de la démocratie et qui affirmait fièrement : « Nous avons mis en place des institutions si fortes que même si le diable en personne arrivait au pouvoir, il lui sera impossible de faire ce qu’il veut ».
Bien sûr ces mécanismes et garanties juridiques et constitutionnels ne peuvent être activés que dans le cadre d’un Etat de droit et jamais dans un Etat patrimonial comme il en existe vingt et cent sur le continent.
Dès lors, l’instauration de l’Etat de droit dans nos contrées devient l’arme fatale pour mettre fin aux sollicitations par les populations de l’arbitrage de la vie politique et sociale par les militaires.
Moritié CAMARA, Professeur Titulaire d’Histoire des Relations Internationales