Dans le cadre de la lutte contre la cherté de la vie, le gouvernement a limité le paiement de loyers d’avance ainsi que la garantie locative (caution) à deux mois maximum. La mesure a été promulguée et publiée au journal officiel du 12 novembre dernier. Jean-Baptiste Koffi, le président de la Confédération des organisations de consommateurs de Côte d’Ivoire (COC–CI), émet des réserves sur son application effective.
La loi relative au bail à usage d’habitation est entrée vigueur au cours du dernier trimestre 2018. Qu’est-ce que cela implique-t-il ?
Cela implique une nouvelle réglementation des rapports entre bailleur et locataire. Tout propriétaire d’un local à usage d’habitation loué avant la publication de la présente loi dispose d’un délai de six mois pour la mise en conformité du contrat de bail à usage d’habitation à la présente loi.
Le bail verbal est proscrit, désormais tous les contrats de bail doivent être écrits et soumis aux formalités d’enregistrement telles que prescrites par le code général des impôts. A ce sujet, je tiens à préciser que depuis 2016, les baux conclus avec les particuliers et destinés à l’habitation et dont les loyers mensuels sont inférieurs à 500.000 FCfa ne sont pas assujettis au droit d’enregistrement.
En d’autres termes, si votre loyer est inférieur à 500.000 FCfa, l’enregistrement de votre contrat de bail se fait sans frais. La nouvelle loi précise également que le loyer est révisable tous les trois ans. Mais l’innovation majeure qui va soulager les consommateurs est la limitation à deux mois aussi bien des avances de loyer que la caution pour garantie.
Quelles sanctions encourent les bailleurs réfractaires à cette nouvelle disposition ?
Le bailleur n’a pas le droit d’exiger plus de deux mois de loyers d’avance lors de la conclusion d’un contrat de bail à usage d’habitation. Tout réfractaire à cette disposition commet une infraction pénale, sanctionnée d’une amende de 200.000 FCfa. Au plan fiscal, il y a également une taxe de 20% assise sur l’excédent des sommes stipulées au-delà de deux mois de caution et deux mois d’avance sur loyer.
D’aucuns prétendent que cette énième loi sera foulée au pied à l’instar d’autres dispositions … Partagez-vous ce scepticisme ?
Il y a effectivement des risques de violation de cette nouvelle loi. Vous posez là véritablement le problème général du suivi et évaluation de l’application de nos lois. Pour revenir au cas du bail à usage d’habitation, il y a encore quelques dispositions à clarifier pour que les consommateurs bénéficient pleinement de cette loi. Par exemple, quel est le fait déclencheur de la poursuite contre un bailleur qui exigerait au delà de deux mois de caution et deux mois d’avance ? Est-ce la simple volonté exprimée de ce dernier à un potentiel locataire, auquel cas on se retrouverait à juger une intention et non une action, ou alors le fait d’avoir encaissé effectivement lesdites sommes avec preuves à l’appui ? Si c’est la quittance du paiement qui doit déclencher la procédure, vous conviendrez avec moi que très peu, pour ne pas dire personne, ne prendrait le risque d’intégrer la maison de quelqu’un et déclencher concomitamment une procédure qui pourrait conduire son bailleur en prison. Un tel locataire aurait, lui-même, semé les germes de la résiliation à très court terme de son bail d’habitation. Vous comprenez donc qu’il a encore quelques réglages à faire dans le cadre de l’application de cette loi. Sinon la mise en œuvre risque de poser quelques problèmes.
C’est dire que les locataires transigent déjà avec l’application de cette loi…
Il y a de fortes chances que l’on rencontre des cas similaires en raison du déséquilibre énorme entre l’offre et la demande de logements. Figurez-vous qu’en 2013 déjà, le Bureau national d’études techniques et de développement (Bnetd) annonçait un déficit de 400.000 logements avec un taux de croissance annuel de 10% de ce gap. A ce rythme là, nous devons de nos jours avoir franchi le seuil de 700.000 unités de déficit.
Quand vous ajoutez à cette situation le fait que de plus en plus de structures de l’Etat et mêmes certaines entreprises privées occupent des maisons initialement conçues pour servir d’habitation, vous comprenez que trouver une maison pour habiter n’est pas une chose aisée. Il faut donc qu’au plan réglementaire, l’on mette des garde-fous pour ne pas que toutes les maisons destinées à l’habitation deviennent des bureaux. Nous sommes sur un marché où la demande est très forte. Dans ces conditions, quand une occasion se présente à une personne en quête de logement, on comprendrait que son premier reflexe ne soit pas forcément le respect de la loi si elle a les moyens financiers de faire face aux exigences du bailleur. C’est difficile mais il est aussi important que les consommateurs comprennent que l’Etat a beau mis des textes à notre disposition, si nous ne faisons pas preuve de solidarité, nous ne verrons jamais l’application effective de ces textes. Nous avons, certes, des droits à défendre et revendiquer, mais n’oublions pas nos devoirs essentiels que sont la pro-activité et la solidarité.
« Les locataires doivent être solidaires et dénoncer »
Avez-vous eu des retours de consommateurs ou locataires qui ont dénoncé des bailleurs réfractaires aux plafonnements des loyers et cautions ?
Nous n’en avons pas véritablement. Mais les consommateurs, eux-mêmes, sont frileux. Ils n’osent même pas demander l’application de la loi. Parce que trouver une maison n’est pas facile et quand ils ont une opportunité, le premier réflexe qu’ils ont c’est d’intégrer la maison plutôt que de chercher à faire appliquer la loi. Cela est dommage.
Quels messages voulez-vous envoyer aux bailleurs qui respecteront les deux mois d’avance et deux mois de loyer, mais qui seront tentés d’augmenter les prix des loyers ?
Par ces temps où tout le monde se plaint de la cherté de la vie, je leur dirais simplement qu’il vaut mieux avoir une maison occupée qu’une maison vide parce qu’inaccessible en terme de coût. Contrairement à ce que l’on croit, une maison vide se dégrade plus vite qu’une maison occupée. La nouvelle loi garantit aussi bien les intérêts du bailleur que du locataire. Que chacun fasse un effort car la lutte contre la cherté de la vie est l’affaire de tous.
Réalisée par Isaac Kroman