Vol des bœufs, manque de financement, peu d’intérêt des autorités sont entre autres les difficultés de la filière bétail abordées dans cette interview du vice-président des éleveurs de bétail de Côte d’Ivoire.
Quelle est la situation de l’élevage de bovins et d’ovins en Côte d’Ivoire aujourd’hui ?
Le marché est porteur mais nous constatons que peu d’acteurs locaux investissent réellement dans l’élevage en Côte d’Ivoire. Ils le font, mais le secteur n’est pas totalement professionnalisé, ce qui fait que la majeure partie du cheptel vient de l’extérieur. C’est cela la situation actuelle. C’est dans cette brèche que nous avons souhaité nous introduire. Voyant cette opportunité, on s’est dit qu’il y a du boulot à faire dans ce secteur. Après des recherches, nous avons constaté que ceux qui exportent leurs bœufs et les vendent en Côte d’Ivoire viennent aussi acheter des aliments ici pour aller nourrir leurs animaux. Pourquoi nous qui sommes ici, qui avons l’opportunité d’avoir de l’alimentation de bœufs sur place, n’investissons pas dans ce secteur ? Ce sont toutes ces idées qui nous ont poussés à nous investir dans l’activité de l’élevage de bovins et d’ovins.
D’abord le marché de la consommation est là et en plus on peut avoir les aliments sur place pour nourrir les bêtes, on a l’espace aussi et le climat s’y prête. Du centre jusqu’au nord du pays, le climat est propice à l’élevage. C’est tout ce qui nous a amenés à nous investir dans ce secteur.
Au nombre des difficultés, il y a le problème de l’insécurité et de vol des bêtes. Qu’en est-il à ce jour ?
Le vol de nos bêtes est un sérieux problème auquel nous sommes confrontés jour et nuit. Nos fermes sont constamment attaquées. Aucune zone n’est épargnée. Il y a des abattoirs clandestins à travers le pays et ces animaux sont, en majeure partie, revendus sur place. Les bœufs sont abattus et vendus dans les abattoirs clandestins.
Que faire pour combattre ce problème et quelles peuvent être des solutions pérennes ?
Nous avons créé le Groupement professionnel des éleveurs de bétail de Côte d’Ivoire (GROUPEB-CI) dont je suis le vice-président. Nous avons une plateforme d’informations et chaque fois qu’il y a une attaque on essaie de lancer l’information. Souvent, les attaques sont menées par nos travailleurs qui peuvent disparaître avec les animaux. Dans ce cas, nous balançons les photos de ces travailleurs indélicats sur la plateforme et nous donnons la position de la ferme afin que chacun, depuis sa zone, puisse regarder de plus près pour voir si on peut stopper ces voleurs. C’est l’une des premières actions pour lutter contre ce fléau, le partage d’informations au niveau du groupe. Une autre action que nous menons, c’est que nous impliquons la gendarmerie dans cette lutte. Nous lui demandons d’arrêter tout transport de bétail qui n’a pas une autorisation de notre groupement. Ce qui fait que quand il y a un camion- je ne parle pas des camions qui viennent de l’extérieur du pays- mais ceux de transport de bétail qui se font entre les différentes zones en Côte d’Ivoire, soit par tricycle, par pick-up, il est arrêté automatiquement et les gendarmes présents sur place exigent un document. Si moi, par exemple, je veux transférer mon bétail, soit un ou deux bœufs de Toumodi à Abidjan, il me faut ce document que je produis à la gendarmerie avant qu’elle ne me laisse passer. C’est un moyen de stopper aussi tous ces transferts illégaux de bêtes.
Il y a aussi des questions sanitaires auxquelles les éleveurs font face avec de nouvelles maladies de bêtes. Que faites-vous face à ce niveau ?
C’est à long terme qu’on peut trouver des solutions à cet autre problème parce qu’il nécessite beaucoup de moyens. Il faut injecter beaucoup d’argent dans ce problème ; nous devons nous organiser pour y faire face. Pour cette question sanitaire, nous sommes accompagnés par des vétérinaires qui nous suivent au jour le jour. Il y a une prophylaxie qui est assez surveillée et appliquée.
En quoi l’élevage de bovins et d’ovins est porteur pour celui qui l’exerce ?
On fait une activité soit par passion soit pour se faire de l’argent et on peut allier les deux. L’élevage de bovins et d’ovins est une très bonne activité parce que le marché est là. La consommation de bétail est assez consistante en Côte d’Ivoire. Le marché ivoirien est fourni de l’extérieur et donc cela coûte plus cher de faire venir des animaux de l’extérieur que de les acheter sur place. Il suffit de professionnaliser le secteur et puis c’est une activité rentable.
Peut-on dire que l’environnement est propice à la pratique de votre activité ?
Nous avons eu une réflexion là-dessus. C’est pour cela que nous nous sommes constitués en groupement parce que, individuellement, c’est difficile. C’est un projet qui est couteux, et n’est rentable qu’à long terme. Une bête fait au maximum une portée par an et il faut attendre deux ou trois ans pour pouvoir vendre cet animal. Cela demande beaucoup d’investissements et nous nous sommes mis ensemble pour travailler. Il me semble que notre activité n’est pas vraiment une priorité pour le gouvernement ou cela ne fait pas partie des priorités. Nous nous disons qu’il ne faut pas attendre le gouvernement. Nous nous sommes mis ensemble, déjà pour montrer à nos autorités que c’est un secteur qui peut porter et de par notre action je suis sûr que l’Etat viendra, en réponse, nous aider à améliorer notre projet.
La Côte d’Ivoire n’est pas un pays d’éleveurs à comparer aux pays comme le Burkina Faso, le Mali et le Niger. Comment expliquez-vous cette situation ?
C’est un choix politique. Chaque pays essaie de se focaliser sur un secteur. Je pense que la Côte d’Ivoire est une terre agricole et donc depuis l’indépendance, le pays s’est focalisé sur la promotion des produits agricoles. Maintenant que le cacao et l’hévéa marchent bien, pourquoi ne pas penser à d’autres secteurs. Je pense que le climat est favorable. Du moment où on a le même climat que le Mali et le Burkina d’où les bêtes viennent, et même le centre à partir de Toumodi est favorable à l’élevage en plus de la consommation qui est forte.
Ces pays, qui sont de grands pourvoyeurs de bovins vers la Côte d’Ivoire, sont en proie à des crises militaro-politiques. Quel impact cela a sur vos activités ?
Un impact négatif et positif. Négatif parce que cela peut avoir une répercussion sur le prix du kilo de la viande en Côte d’Ivoire, parce que la source d’approvisionnement étant asséchée. Si ces animaux ne viennent plus du Burkina, du Niger, il y aura forcément un impact. Tout ce qui est rare est cher. Ce qui est positif, c’est que cette situation de crise qui met à mal l’élevage au Burkina Faso et au Mali va nous amener, nous en Côte d’Ivoire, à trouver une solution. Cela va amener le gouvernement ivoirien à réfléchir. Le pays va chercher à être autosuffisant en protéines animales. Nos dirigeants auront un œil avisé sur le secteur de l’élevage de bovins et d’ovins et nous aussi ça va nous créer d’autres opportunités parce qu’on sera de plus en plus sollicité. On va mettre plus de moyens, plus de sérieux dans ce secteur.
Que faire pour que l’élevage de bovins et d’ovins en Côte d’Ivoire puisse répondre aux attentes du pays ?
Il faut un encadrement des acteurs. Je sais que par le passé, il y a eu des programmes pour développer l’élevage mais ces programmes ont été destinés à des personnes qui n’avaient pas la maîtrise de l’activité. Ce sont des personnes qui étaient désireuses d’avoir une activité mais qui n’avaient pas cette passion et cette maîtrise alors nous qu’est-ce qu’on a fait ? On a fait le schéma inverse. On s’est dit on va commencer nous-mêmes d’abord et après on va solliciter l’aide de l’Etat. Il faut une organisation. Je pense qu’il y a de plus en plus des jeunes ivoiriens qui s’intéressent à cette activité et je peux vous dire que dans notre groupe, nous avons plus de 200 membres. Il faut un encadrement sinon on verra beaucoup de fermes abandonnées. Il faut que le gouvernement aide ces jeunes. Je vous donne par exemple notre cas. Nous sommes toujours à la recherche de l’information, des techniques pour améliorer notre activité et donc on a participé à des salons à nos propres frais hors du pays. On a été au salon de l’élevage en France, au Salon de Clermont Ferrand. Le 22 janvier 2023, on sera aux États-Unis à Atlanta au salon de l’agriculture à nos propres frais parce qu’on sent une opportunité.
Le ministre Sidi Touré a en charge les Ressources animales et halieutiques depuis plus d’un an au sein du gouvernement. Quel regard portez-vous sur sa gestion de ce département ministériel ?
Pour ce que j’ai vu, je constate que le ministre Sidi Touré agit pour faire avancer le secteur de l’élevage. Il est sur le terrain, il a fait le tour de certaines fermes. On l’a vu dans les zones de Toumodi, de Yamoussoukro et dans plusieurs autres localités du pays pour parler de l’élevage. C’est déjà bon. Il nous a reçus, nous avons eu une courte séance de travail avec lui en France.
Dernièrement, il était présent au Sommet de l’élevage d’Abidjan, évènement auquel nous avons participé et gagné deux prix. Le ministre Sidi Touré est en train de réorganiser le secteur et je sens aussi qu’il réorganise les acteurs. Il réorganise tout et ceci s’inscrit dans la droite ligne de ce que nous souhaitons pour ce secteur. Il y a des groupements qui sont déjà identifiés et connus. Nous souhaitons que le ministre descende un peu plus bas. Il y a, certes, de gros acteurs dans l’élevage, mais il y a aussi d’autres acteurs qui sont importants comme nous au GROUPEB CI, qui n’avons pas attendu l’aide de l’Etat et qui avons commencé à investir dans ce secteur. Nous voulons seulement un encadrement et des facilités pour pouvoir évoluer. Je demande respectueusement au Ministre Sidi Touré de descendre un peu plus bas, de croiser tous les acteurs. Comme ça, il pourrait avoir de plus amples informations et s’imprégner d’autres réalités du terrain.
Source : Bétail d’Afrique
N.B: le titre est de l’infoexpress