Demba Traoré et Dan Jules Demonsthene, deux personnalités respectivement issues du Parti des Peuples Africains-Côte d’Ivoire (PPA-CI) et du Rassemblement des Houphoüetistes pour la démocratie et la paix (RHDP), nouvellement nommées membres de commission centrale de la Commission électorale indépendante (CEI), ont prêté serment ce 1er mars 2023, devant le conseil constitutionnel ivoirien.
A cette audience, le président du conseil constitutionnel Mamadou Koné a prodigué des conseils aux nouveaux de la CEI.
« Vous ne devez donc pas considérer que le serment que vous venez de prêter n’est qu’une simple formalité vous permettant de siéger à la Commission centrale de la CEI, pas plus que vous ne devriez penser que les mots qui le composent ne sont que des clauses de style.
Il s’agit d’un engagement fort que vous avez pris, une main posée sur la Constitution et l’autre, apparemment levée dans le vide, mais qui, en réalité, est arrimée au manteau de Dieu et à votre conscience.
Messieurs les impétrants,
Votre serment poursuit pour dire que vous vous engagez à exercer votre fonction « en toute indépendance et en toute impartialité ». Fin de citation.
L’indépendance dont il s’agit ici, vise la gestion de vos relations avec tout ce qui est extérieur à votre être. Quant à l’impartialité, elle adresse le conflit interne que vous pouvez avoir avec vous-même dans la recherche de la vérité et de l’objectivité.
S’agissant de votre indépendance, qu’il me soit permis d’évoquer une importante évolution dans le statut des membres de la CEI.
En effet, dans la mouture initiale des dispositions législatives concernant la composition de la Commission centrale de la CEI, les différentes personnalités appelées à y siéger, étaient désignées sous le vocable de « représentants », soit représentant de telle ou telle autorité, soit représentant de telle ou telle structure ou parti politique.
Pour avoir hélas, compris cette appellation au premier degré, certains membres de la Commission centrale, par le passé, ont pu se considérer comme étant les Ambassadeurs extraordinaires et plénipotentiaires de leurs mandants auprès de la Commission Electorale Indépendante. Ils ont donc entrepris de défendre becs et ongles les intérêts de ces derniers.
Une telle attitude jurait gravement avec l’Indépendance de la Commission telle que proclamée par la Constitution et la loi organique relative à cette institution qui, l’une et l’autre, commandaient de défendre plutôt les intérêts de la Nation censés résulter de la vérité des urnes.
C’est pourquoi, dans un souci de clarification, et toujours pour souligner l’indépendance de la Commission, le législateur, à travers la loi N° 2019-708 du 05 août 2019 portant recomposition de la Commission Electorale Indépendante, a remplacé le mot « représentant » par l’expression « proposé par » ; formulation moins inductive d’une quelconque notion de subordination.
Messieurs DAN JULES DEMONSTHENE et DEMBA TRAORE,
De par la volonté du peuple ivoirien, exprimée par ses représentants, les parlementaires, vous n’êtes pas les représentants du RHDP et du PPA-CI à la Commission Electorale Indépendante. Certes, vous avez été proposés par ces partis politiques. Mais, à partir de la présente prestation de serment, vous devrez rompre le cordon ombilical vous liant à ces formations, et ne plus être guidés que par le seul souci d’une parfaite organisation des élections en Côte d’Ivoire.
Le peuple ivoirien, à travers une loi votée en bonne et due forme, en connaissance de cause et en toute responsabilité par ses représentants que sont les parlementaires, vous a donné l’instrument de votre indépendance. Mais, c’est votre équation personnelle qui vous permettra de transformer l’essai. Ce ne sera certainement pas le plus facile, mais ce sera sûrement l’expression de la responsabilité, cette responsabilité qui fera toute la différence entre les militants que vous étiez, hier, et les responsables électoraux que vous êtes devenus, aujourd’hui.
Quant à l’impartialité, elle peut se définir, ainsi que je le faisais observer tantôt, comme votre lutte intérieure ; votre combat personnel pour asseoir votre conviction profonde relativement à la meilleure interprétation possible d’un texte, ou à la meilleure appréciation d’une situation vécue sur le terrain avec, toujours en ligne de mire, un seul objectif : le respect de la loi et la sincérité du scrutin, c’est-à-dire, la prise en compte de la volonté réellement exprimée par le peuple souverain.
En la matière, votre serment vous indique les sources de votre impartialité : il s’agit de la Constitution et du Code électoral.
Ces textes doivent donc être désormais les bréviaires auxquels vous devrez vous référer chaque fois que vous serez confrontés à une difficulté. Et ne commettez surtout jamais l’erreur de croire, qu’après une certaine pratique, vous maîtrisez suffisamment la Constitution et le Code électoral pour vous dispenser d’y recourir. Une simple virgule que vous auriez pu négliger, et que vous découvririez subitement un jour, pourrait changer le sens d’une disposition, dans votre esprit. Vous auriez alors le sentiment que la loi a changé. En réalité, c’est vous qui auriez évolué, pas la loi.
Messieurs DAN JULES DEMONSTHENE et DEMBA TRAORE,
Je m’en voudrais de terminer mon adresse sans appeler votre attention sur la dernière partie de la formule de votre serment : celle qui vous enjoint de garder le secret des délibérations et des votes.
En effet, la tentation peut être forte, en sortant d’une délibération, d’aller en narrer par le menu, toutes les péripéties, soit au titre d’un compte rendu qu’on croit, à tort, devoir faire à quelqu’un, soit, simplement, pour se vanter d’avoir bravé tous les autres en soutenant courageusement une position contraire à la leur, soit, encore, pour fustiger l’attitude de tel ou tel autre de ses collègues.
C’est le lieu d’indiquer que ni le corpus législatif de notre pays, ni notre pratique juridictionnelle, n’ont encore intégré la notion « d’opinion divergente » que l’on observe sous d’autres cieux. Nous y arriverons peut-être un jour. Mais, pour l’heure, la règle en vigueur est le secret des délibérations et des votes.
En un mot comme en mille, il vous est formellement interdit d’aller raconter à l’extérieur ce que vous aurez vu ou entendu au cours d’une séance de délibération. Vous ne devez en parler à personne : ni à votre conjoint, ni à vos enfants, ni à vos parents ou amis.
Je m’empresse cependant d’ajouter que le respect du secret des délibérations et des votes ne s’explique nullement par le besoin de camoufler des choses suspectes. Il s’agit d’abord, tout simplement, de vous protéger vous-mêmes contre d’éventuelles pressions extérieures et, ce faisant, de préserver votre indépendance et votre impartialité. Il s’agit aussi et surtout d’assurer préventivement votre sécurité.
En effet, devant les passions que déchainent parfois les élections dans notre pays, il est facile d’imaginer la dose de haine que peut vous dédier un mauvais perdant si, par une indiscrétion, il venait à découvrir que c’est votre voix qui lui a fait défaut dans l’atteinte des objectifs dont il faisait dépendre l’avenir lumineux qu’il se pronostiquait.
Révéler le secret des délibérations, c’est également exposer autrui à la vindicte, à la vengeance, et peut même entraîner mort d’homme.
Mais, révéler le secret des délibérations, c’est aussi s’exposer soi-même à tous ces dangers car, chaque être humain ayant son confident, votre position, après avoir fait le tour du monde, finit aussi par être connue de tous, et il n’est pas évident qu’elle soit unanimement appréciée ; en tout cas, pas de ceux dont les intérêts auront été contrariés par votre décision.
Vous aurez également noté, messieurs les impétrants, qu’il vous est aussi prescrit de garder le secret des délibérations, même après la cessation de vos activités. Cette précaution n’est pas inutile, car il existe aussi, et vous le savez, des haines et des rancunes au long cours.
Messieurs DAN JULES DEMONSTHENE et DEMBA TRAORE,
Tel peut se résumer, le sens des engagements que vous venez de prendre.
C’est sous le bénéfice de ces observations qui, je l’espère, vous seront utiles, et dont, je le souhaite vivement, vous vous souviendrez en temps réel, que le Conseil constitutionnel vous dit bon vent dans vos nouvelles fonctions »
Fulbert Yao