En politique, il y a ceux qui ont les dents longues, aguerries par des années d’expérience, et ceux qui n’ont encore que des dents de lait, inexpérimentées et fragiles. Tidjane Thiam appartient incontestablement à cette deuxième catégorie. Propulsé sur la scène politique ivoirienne après vingt-quatre ans d’absence, l’ancien patron du Crédit Suisse découvre, souvent à ses dépens, que la politique n’est pas une entreprise privée, et que ses règles sont bien plus impitoyables.
Si Thiam a su séduire ses suiveurs avec ses anecdotes sur Houphouët-Boigny, son parcours scolaire et sa carrière professionnelle, son amateurisme politique le rattrape aujourd’hui. Et il entraîne avec lui son parti, le PDCI, vers l’abîme.
L’ancien ministre du Plan a multiplié les erreurs, désormais fatales. D’abord, il n’est pas resté suffisamment auprès d’Henri Konan Bédié, l’ancien président du parti, pour apprendre les rouages de la politique et du PDCI. De même, il donne l’impression de ne pas tirer de leçons de l’expérience des dirigeants du pays.
En véritable « bébé politicien », il n’a pas su anticiper les ennuis judiciaires qui se profilent, ni les contrer efficacement en amont.
Autre erreur majeure : dès ses débuts, Tidjane Thiam a posé les bases d’une division profonde au sein du parti. Ce mode opératoire, loin de rassembler, a créé des frustrations durables et alimenté une contestation silencieuse qui fragilise aujourd’hui son autorité.
Au lieu d’adopter une stratégie d’inclusion, Thiam a choisi de s’entourer de figures peu expérimentées, comme Emmou Sylvestre, au détriment de cadres chevronnés tels que Jean-Louis Billon ou Thierry Tanoh. Dans un parti où la loyauté et les réseaux historiques sont essentiels, ce manque d’ouverture a exacerbé les tensions internes.
L’émergence de la candidature de Jean-Louis Billon en est la preuve éclatante : le PDCI est désormais morcelé, avec des camps rivaux prêts à s’affronter lors de la présidentielle de 2025.
Comme un chef d’entreprise, Thiam a cru pouvoir appliquer à la politique les méthodes du management privé : fixer des objectifs, réorganiser les structures, rationaliser les équipes. Mais la politique obéit à d’autres logiques, faites d’équilibres subtils, de négociations patientes et de compromis permanents. Ici, toute erreur se paie cash — et Thiam en fait aujourd’hui l’amère expérience.
Son autre handicap majeur reste sa longue absence de la scène ivoirienne. Alors que ses adversaires ont continuellement cultivé leurs réseaux et entretenu la proximité avec les bases militantes, Thiam découvre un pays transformé, dont il ignore nombre de réalités profondes. Les défis d’aujourd’hui ne sont plus ceux des années 1990 : routes, éducation, santé, sécurité… Si le pays a beaucoup avancé, de nouveaux besoins émergent. Comment proposer des solutions pertinentes à des réalités que l’on ne connaît que par intermédiaires ?
À quelques mois d’une élection capitale, Tidjane Thiam semble pris de court. Son manque d’ancrage local, ses erreurs de casting, et sa posture souvent jugée arrogante pourraient lui coûter cher. Face à lui, Jean-Louis Billon apparaît de plus en plus comme une alternative crédible, portée par des militants en quête d’un leadership enraciné plutôt que parachuté.
Si Thiam ne rectifie pas rapidement sa trajectoire, ses ambitions présidentielles pourraient bien être anéanties.
Car en politique ivoirienne, les crocodiles n’ont aucune pitié pour les bébés politiciens.
Fulbert Yao