ll y a 35 ans, la Côte d’Ivoire ouvrait une nouvelle page de sa toute jeune histoire. Trois décennies après notre indépendance, la liberté prenait enfin son élan. Elle portait un nouveau nom, celui du multipartisme. Le 30 avril 1990, c’était pour nous au FPI, le résultat d’années de lutte, dans la clandestinité d’abord, puis au grand jour. Le multipartisme, nous l’avions arraché par la force de notre volonté. C’était notre victoire. C’était une victoire pour notre pays tout entier ! Nous avions le sourire aux lèvres et la joie dans nos cœurs. Nous voulions y voir l’acte fondateur d’une démocratie résolument en mouvement.
Ce moment charnière de la construction de notre Nation reste un marqueur fort que nous célébrons chaque année. Mais célébrer ne veut pas dire se voiler la face. Nos engagements d’hier nourrissent nos combats d’aujourd’hui. Ils nous imposent un exercice de vérité ; Ils nous obligent à dresser un bilan sans complaisance du chemin parcouru.
35 années plus tard, la liberté reste très largement chimérique en Côte d’Ivoire et la démocratie malheureusement virtuelle. L’on ressent même parfois la tentation de rétablissement d’une forme de parti unique.
La liberté est malmenée par une pratique du pouvoir qui fait peu de cas des droits élémentaires de chaque citoyen : le droit à une justice indépendante, le droit à un Etat impartial, le droit à une bonne gouvernance, le droit à un usage honnête des deniers publics, le droit à l’égalité de traitement en matière de santé, d’éducation, de logement.
Le mépris de classe, la morgue sociale se conjuguent en Côte d’Ivoire à une corruption insolente, répugnante même, qui fait comparer le pouvoir à un restaurant. L’humour de nos compatriotes dissimule le sentiment de honte que devrait inspirer une telle comparaison. Certains se bâfrent au restaurant quand d’autres, la majorité, tirent le diable par la queue et que les plus malheureux sont même victimes d’expulsions forcées de leurs logements de fortune.
Ce n’est pas cela, la Côte d’Ivoire que nous voulons !
Où est la liberté quand des syndicalistes sont incarcérés parce qu’ils mènent un combat juste pour leur dignité ? En Côte d’Ivoire en 2025, des hommes encagoulés peuvent s’emparer nuitamment d’un enseignant. J’ai pris la mesure du désarroi de la famille de Ghislain Dugarry Assy en échangeant avec son épouse et ses parents le 1er mai. Nous réclamons sa libération immédiate. En Côte d’Ivoire en 2025, on viole allègrement le droit de grève et la liberté de manifester, pourtant garantis par notre constitution.
Il est vrai que depuis la présidentielle de 2020, nous savons que notre loi fondamentale n’est pour certains qu’un bout de papier que l’on chiffonne sans état d’âme. Son respect est pourtant la base d’une démocratie apaisée.
Notre démocratie est immature parce que nous n’avons pas su nous l’approprier, en faire une valeur essentielle et partagée. Pour cela, il aurait fallu conjurer les vieux démons du tribalisme, du clanisme. Ils ont à l’inverse été flattés. Il aurait fallu dépasser nos ressentiments en jouant la carte d’une réconciliation sincère. Là encore, le pouvoir a préféré cliver, diviser, fracturer.
La conséquence est là : la Côte d’Ivoire une fois encore se trouve en situation de risque à la veille de son élection présidentielle. Le dernier rapport annuel d’Amnesty International est édifiant et affligeant.
Un ancien président de la République, un ancien Premier Ministre, un ancien ministre se sont vu confirmer la privation de leurs droits civiques. Ces trois radiations seraient inconcevables dans une démocratie réelle. C’est une indignité.
Et puis, qui aurait pu imaginer, alors que le président de la République en exercice se réclame de l’houphouëtisme, que le risque soit pris, sciemment, de faire du petit neveu du père fondateur de notre pays un apatride ? Qui aurait pu imaginer que le nouveau président de l’ancien parti unique soit obligé de se réfugier à l’étranger parce qu’il craint pour sa sécurité ? Qui aurait pu imaginer que son mouvement politique soit l’objet de tentatives permanentes de déstabilisation ?
La Côte d’Ivoire n’a jamais connu d’alternance sereine, d’élection présidentielle inclusive. Chaque rendez-vous électoral se présente comme une épreuve, un danger, une souffrance, au lieu d’être une confrontation d’idées et de projets.
Cette année, nous ne pouvons plus nous le permettre. Notre cher pays ne peut pas se permettre une nouvelle crise. La Côte d’Ivoire n’a pas le droit de s’entredéchirer alors que les menaces d’une déstabilisation radicale et irréversible existent à nos frontières. La montée des périls impose à l’inverse un esprit de responsabilité.
Cette année, le pouvoir doit accepter enfin une évidence : la perpétuation de ce régime met notre pays en danger. Je le dis avec gravité : Alassane Ouattara n’a pas le droit de se représenter pour un 4ème mandat. II n’est une protection contre les vents mauvais qui soufflent sur la région. C’est l’inverse. Notre stabilité passe par l’organisation d’élections ouvertes, pluralistes et transparentes qui donnent une chance à l’alternance. La CEI a failli. Le changement de ses membres est, je le répète, un impératif tout comme l’audit de la liste électorale.
Autour de nous, des pays frères ouvrent le chemin. Je pense au Ghana. Je pense au Sénégal. Dans les yeux des citoyens de ces pays, on peut lire de la fierté. Je veux qu’en octobre et novembre, la même fierté brille enfin dans le regard du peuple de Côte d’Ivoire.
Pour nous, la liberté ne se résume pas à un héritage de luttes passées. Pour nous, elle demeure un défi qu’il nous appartient de relever tous ensemble. Comme en 1990, le Front Populaire Ivoirien ouvrira le chemin.
Je souhaite à toutes et à tous une belle fête de la Liberté.
Pascal Affi N’Guessan
Président du Front Populaire Ivoirien