Entre les condamnations judiciaires de ses proches et les ralliements de ses cadres au parti au pouvoir, Guillaume Soro, toujours en exil, voit son influence décroître. Mais, à quelques mois de la présidentielle, il n’entend pas se faire oublier et a rejoint Laurent Gbagbo et Tidjane Thiam.
Depuis quelque temps, les coups durs se succèdent pour Guillaume Soro. Le 26 juin, la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, qui siège à Arusha, a déclaré irrecevable la requête que l’opposant et plusieurs de ses proches avaient déposée contre la Côte d’Ivoire. Le premier contestait sa condamnation (par contumace), les seconds, le bien-fondé de leurs arrestations, survenues en décembre 2019. Les juges ont estimé que tous les recours internes n’avaient pas été épuisés. Cette décision intervient au moment où de nombreux lieutenants de Soro lui font défection. Il y a encore quelques années, celui-ci comptait dans ses rangs des ministres, des députés, des maires, ainsi que des milliers de militants. Aujourd’hui, l’ex-président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire, en exil depuis décembre 2019, assiste, impuissant, à l’érosion de son influence politique. « Politiquement, c’est fini. Tous les hommes en qui il avait confiance l’ont abandonné », résume un ancien proche, qui ne cache pas son amertume. Contactés par JA, les derniers fidèles de l’ex-président de l’Assemblée nationale n’ont pas donné suite à nos sollicitations.
La grâce de Ouattara
Retour en 2019. Le 23 décembre, à la suite de l’annonce de sa candidature à l’élection présidentielle de 2020, Guillaume Soro, à bord d’un avion pour Abidjan, est contraint d’atterrir à Accra. Un important dispositif sécuritaire, déployé dans la capitale économique ivoirienne, l’empêche de rentrer au pays. Le jour-même, et jusqu’au 31 décembre, les forces de sécurité procèdent à l’arrestation de 23 de ses proches. Des années plus tard, leurs ennuis judiciaires se poursuivent. Gracié par le Président Alassane Ouattara et sorti de la maison d’arrêt et de correction d’Abengourou le 23 février 2024, Koné Kamagaté Souleymane (dit « Soul to Soul ») a été condamné, le 10 juin 2025, à cinq années de prison ferme pour « recel de détournement de deniers publics » et « blanchiment d’argent », dans une affaire liée à l’acquisition d’une résidence à Marcory en 2007. Successivement incarcéré à Toumodi, Bassam, Abidjan et Abengourou, il demeure « un fidèle parmi les fidèles ». L’ancien député Kando Soumahoro et Mamadou Traoré ont vu, eux, leur peine de deux ans de prison confirmée en appel le 15 janvier dernier. Le premier a été condamné en août 2024 pour « maintien illégal d’un parti politique » – en l’occurrence Générations et peuples solidaires (GPS), dissout par la justice ivoirienne en juin 2021. La Cour lui reprochait d’avoir signé, au nom de GPS, une déclaration conjointe de partis d’opposition. Abdoulaye Fofana, aide de camp de Soro quand ce dernier était encore aux affaires, et radié de l’armée en 2019 pour désertion, s’est quant à lui exilé en Europe avant de rentrer en Côte d’Ivoire en avril 2022. Il a été arrêté à Abidjan un mois plus tard. Son procès pour « tentative de coup d’État et complot contre l’autorité de l’État » s’est ouvert le 24 mars 2025. Le commissaire de police Rigobert Soro, frère cadet de Guillaume Soro, a été suspendu de ses fonctions en février 2025 en raison de « graves manquements professionnels lors d’une opération policière. » Du côté des défections, le député Soro Kanigui, président du Rassemblement pour la Côte d’Ivoire (RACI), avait ouvert la marche en prenant ses distances avec le GPS dès le début de 2020. Un an plus tard, Alphonse Soro, ancien président de l’Alliance nationale pour le changement (ANC) et soutien de longue date de Guillaume Soro, se désolidarisait à son tour. Après une année d’exil en France, il annonçait la fin de leur collaboration et ouvrait des discussions avec le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), le parti au pouvoir, en vue de former une alliance.
Ralliements en série au RDHP
Alain Lobognon a, lui aussi, franchi le pas en septembre 2021, après avoir passé dix-huit mois en prison. Dans une lettre datée du 5 août 2021 et rédigée depuis Paris, où il était venu « à la demande » de Guillaume Soro, l’ancien ministre dressait un constat sans appel de la situation. « En 2019, nous rêvions qu’une nouvelle Côte d’Ivoire [émergerait] en octobre 2020, avec un nouvel exécutif que tu dirigerais, avec des femmes et des hommes qui partagent ta vision [du pays]. Malheureusement, Dieu en a décidé autrement. Tu t’es retrouvé en exil. Moi, en prison. Notre projet politique, déchiré », écrit-il à Soro dans ce courrier que Jeune Afrique a pu consulter. L’ancien ministre avait alors proposé une médiation qu’aurait menée Denis Sassou Nguesso, le président congolais, mais la rencontre n’a jamais eu lieu. « Guillaume Soro a fermé tous ses téléphones. Puis, il m’a envoyé un émissaire qui m’a fait croire qu’il n’était plus en France », confie Alain Lobognon. Le 19 mars dernier, c’est Koné Tehfour, ex-député d’Abobo, qui a quitté le navire. Au siège du RHDP, à Cocody, devant 2 000 sympathisants, il a officialisé son retour dans les rangs du parti au pouvoir, abandonnant celui dont il fut le bras droit. Kandia Camara, présidente du Sénat et maire d’Abobo, a œuvré en coulisses pour faciliter cette nouvelle défection. Deux mois plus tard, le 15 mai, Marc Ouattara, président de l’Union des soroïstes (UDS), a annoncé à son tour qu’il rejoignait le RHDP. « Nous ne pouvons pas appeler frère celui qui foule aux pieds nos sacrifices, a-t-il lancé. Quand on fait les comptes, je pense que, politiquement, il ne reste plus rien du mouvement Soro ». D’autres figures historiques, comme Méité Sindou, Sidiki Konaté ou Thérèse Ouattara, ont jeté l’éponge. Tous reprochent à Soro son intransigeance, son refus du dialogue ou encore sa déconnexion du terrain après six années d’exil. « La jeunesse ivoirienne, qui n’a connu que Ouattara ces quinze dernières années, peine à s’identifier aux combats d’hier. Même les 8400 ex-combattants, socle militaire historique de Soro, ont été dilués par les nouveaux recrutements dans l’armée », poursuit le cadre du RHDP précité.
Rapprochement avec l’AES
Pendant ce temps, Guillaume Soro reste insaisissable. Il a séjourné hors du continent, puis s’est rapproché de l’Alliance des États du Sahel (AES). Depuis novembre 2023, date à laquelle il avait annoncé « la fin de son exil » dans une vidéo publiée sur les réseaux sociaux, il voyage entre le Burkina Faso, le Mali et le Niger. Cette proximité avec les régimes militaires de l’AES est suivie de près par Abidjan, qui n’écarte pas le scénario d’une déstabilisation orchestrée de l’extérieur. « En 2020 déjà, Soro avait appelé l’armée à agir mais il ne s’était rien passé. Il n’a plus autant d’influence dans l’armée qu’il le croit, estime un cadre du RHDP. De plus, notre meeting du 22 juin [à Ebimpé] a démontré la popularité de notre président. Les Ivoiriens ne sont pas près de s’engager sur le chemin des régimes d’exception ». En avril 2025, la visite de Soro au Ghana a pourtant été très remarquée. À son arrivée, il a eu droit au salon d’honneur de l’aéroport, puis à l’escorte présidentielle, avant d’être reçu par John Dramani Mahama. En coulisses, le président ghanéen, soucieux de préserver de bonnes relations avec son voisin, a pris soin d’avertir son pair ivoirien. Et les deux chefs d’État ont de nouveau échangé à l’issue de ce séjour. Condamné à la réclusion à perpétuité par contumace pour « atteinte à la sécurité de l’État », et sous le coup d’un mandat d’arrêt international, Soro semble s’être « brouillé avec tous les chefs d’État qui pouvaient œuvrer à son retour en Côte d’Ivoire et à sa réconciliation », glisse une source diplomatique. À Ouagadougou, une grande discrétion entoure ses séjours, que gèrent les membres du premier cercle d’Ibrahim Traoré, parmi lesquels Oumarou Yabré, le chef des services de renseignement. Si Guillaume Soro entretient de bonnes relations avec la junte burkinabè, certains voient d’un mauvais œil qu’on déroule le tapis rouge à celui qui, il y a peu, était mis en cause, en raison d’écoutes suspectes, dans le procès du putsch manqué de 2015. Bien qu’il ait maintes fois annoncé que son retour au pays était imminent, notamment à la suite d’échanges téléphoniques « cordiaux » avec Ouattara, en avril 2024, rien de concret ne semble émerger. Dans l’entourage du président ivoirien, on fait valoir que Soro manque de « fiabilité et de sincérité ».
L’alliance avec Gbagbo
À quelques mois de l’élection présidentielle, à laquelle il est candidat mais inéligible en raison de sa condamnation, l’ancien Premier ministre tente de se repositionner sur l’échiquier politique. Il a ainsi adhéré au mouvement « Trop c’est Trop », de Laurent Gbagbo. Lui aussi radié des listes électorales, Tidjane Thiam les a rejoints. « Trop c’est trop est un mouvement social, citoyen et populaire. Les hommes et femmes qui en ont ras-le-bol du comportement du gouvernement nous rejoignent, explique Sébastien Dano Djédjé, président exécutif du Parti des peuples africains-Côte d’Ivoire [la formation de Gbagbo]. Guillaume Soro est un leader d’opinion, un citoyen qui rejoint un mouvement qui parle des opprimés ». Cette coalition de circonstance peut-elle redonner vie à un mouvement exsangue ? « Que vaut GPS au-delà de la figure de Soro Guillaume, aujourd’hui en exil ? S’interroge le politologue Ousmane Zina. Les autres vont-ils vouloir s’allier avec un GPS dont l’influence diminue et avec un leader qui n’existe qu’à travers les réseaux sociaux ? »GPS ne subsiste en effet qu’en tant que mouvement citoyen. Une poignée de fidèles tentent encore de tenir des réunions et mènent des activités dans leurs sections respectives. Sur le plan électoral, des discussions ont eu lieu, en interne, pour savoir s’il fallait présenter des candidats aux élections locales de septembre 2023. Quelques proches de Soro se sont présentés en indépendants. Dans le Nord, lors des municipales, certaines victoires ont été très commentées, comme celles de Kaweli Ouattara (à Ferkessédougou), de Karidioula Souleymane (à Bassawa) et de Pelegnon Sekongo Siriki (à Sirasso), qui ont battu les candidats du RHDP. Sur les réseaux sociaux, quelques cyber-militants s’efforcent également de maintenir la flamme : Maïmouna Camara (« La guêpe »), « Souley de Paris » ou encore Franklin Nyamsi. Simon Soro, l’un des frères de Guillaume, est lui aussi réapparu sur Facebook en décembre 2024. Paradoxalement, ceux qui ont quitté Soro pour rallier le RHDP l’appellent aujourd’hui à les rejoindre. « Sa place est ici, en Côte d’Ivoire. C’est le vœu de tous les cadres de notre parti », assure Tehfour Koné, qui ajoute : « Soro seul peut, s’il le veut, revenir au pays et auprès du président ».
JA