Ce sera une grande première sur la terre des hommes. Un Président qui est chassé du pouvoir par un coup d’Etat militaire et, vingt ans plus tard, revient à la tête du pays qui l’avait vomi et humilié. C’est le record Guinness que tente de réaliser le président du Pdci qui a « accepté » ce week-end d’être le candidat du Pdci-Rda à l’élection présidentielle d’octobre 2020. Henri Konan Bédié est décidé, à 86 ans, à reprendre le gouvernail du navire Ivoire.
Il refuse de céder le pouvoir à la nouvelle génération qui le talonne. Le Sphinx de Daoukro est convaincu qu’à part lui, personne au Pdci ne peut reconquérir le pouvoir et gérer l’Etat. Depuis deux ans, il était suspecté d’avoir brisé la dynamique du Rhdp au profit de son ambition personnelle. Ce que ses suiveurs réfutaient estimant qu’il s’agit d’allégations mensongères ou de puériles supputations politiciennes. Eh bien, comme une grossesse qui ne saurait se cacher longtemps, Bédié a mis au grand jour son projet de descendre dans l’arène pour mener son énième dernier combat.
Le vin est tiré. Il ne reste plus qu’à le boire. KKB, Jean-Louis Billon, Tidjane Thiam et compagnie qui rêvaient de défendre les couleurs du Pdci avaient certainement oublié que Bédié est comme un chef akan qui, de son vivant, ne connait pas son successeur. Par son acte de candidature, le message non débité clairement par N’Zueba est : « Messieurs, attendez, le jour où je ne serai plus de ce monde, vous prendrez ma place ». On oublie trop souvent que Bédié a modifié les textes du Pdci pour pouvoir demeurer président de ce parti après 75 ans.
Cela dit, toutes les ambitions sont légitimes et nul ne peut étouffer la soif d’un concitoyen d’aspirer au poste de président de la République. Mais, concernant l’ancien président Bédié, il y a à se demander ce qu’il peut, à 86 ans, apporter de nouveau à la Côte d’Ivoire, ce pays qu’il a gouverné sept années durant, d’une main ferme.
Peut-il mieux faire que lors de ses précédents mandats à la tête du pays ? A-t-il encore la vision et les relations qu’il faut pour transformer ce pays ? A-t-il changé ? A-t-il compris que le monde est devenu un village planétaire et que les étrangers ne sauraient devenir le programme de gouvernement d’un chef d’Etat ?
A part prendre sa revanche sur l’histoire et les hommes qui l’ont déshabillé en décembre 1999, le commun des mortels se perd en conjectures face aux motivations réelles du président Bédié qui a déjà tout vécu depuis l’âge de 25 ans. Il a été ambassadeur, député, ministre, président de l’Assemblée nationale et président de la République pendant sept ans, puis ‘‘PCA’’ de la Côte d’Ivoire sous Ouattara. Que recherche-t-il encore si ce n’est l’humiliation de trop après celle de 1999. En 2010, il a été battu par Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara. Il est arrivé en troisième position. A part les noms qui ont changé, les mêmes dispositifs sont en place.
Pour quelles raisons les Ivoiriens qui n’ont pas voté pour lui en 2010 devraient le faire en 2020 ? Quelles actions ou opérations de séduction a-t-il menées sur le terrain pour convaincre les électeurs qu’ils se sont trompés en 2010 en ne portant pas leur choix sur sa personne ? Bien au contraire, les ministres Pdci, des maires, députés et de nombreux cadres qui le vénéraient hier, lui ont tourné le dos. Sur quoi compte-t-il pour inverser le vote en sa faveur ? Certainement sur les Gor (Gbagbo ou rien), qu’il entend utiliser comme son bétail électoral. Hélas ! C’est méconnaître les grands penseurs de la refondation qui ont sorti leur calculatrice. Ayant déjà goûté aux délices du pouvoir, en se rasant chaque matin, les frontistes ne rêvent qu’à reprendre les clés du palais du Plateau. Abidjan est vraiment risqué !
MT