En Côte d’Ivoire, on déplore au moins cinq morts à la suite des manifestations de ces deux derniers jours contre la candidature du Président Ouattara à un troisième mandat. Pour l’opposition, cette candidature est illégale, car anticonstitutionnelle. L’un des hommes forts du régime, Patrick Achi, ministre d’État et secrétaire général du gouvernement, fustige la position de l’opposition dans une interview accordée à RFI.
« Au regard de la Constitution, la candidature d’Alassane Ouattara est illégale », déclare toute l’opposition réunie. Est-ce que ce débat constitutionnel ne fragilise pas la candidature du président ?
Patrick Achi : Non. Je pense pour ce qui nous concerne, naturellement nous ne partageons pas le point de vue de l’opposition. Pour nous, il s’agit d’un premier mandat dans la nouvelle République, qui est instituée par la Constitution de 2016, donc la 3è République. Mais naturellement, il ne s’agit pas pour nous de nous substituer au juge constitutionnel qui est compétent pour apprécier la validité de toute candidature.
Lors de l’adoption de cette Constitution, c’était en 2016, votre collègue ministre de la Justice, Sansan Kambilé, a déclaré lui-même qu’il était « impossible » constitutionnellement que le président se présente pour un nouveau mandat…
A l’occasion de débats ou de prises de position individuelles de personnes, il y a plusieurs choses qui sont en jeu. Est-ce qu’il a développé un argumentaire qui sous-tend la décision ou l‘allégation ou les propos qu’il a tenus… Il n’y a pas que lui. Il y en a plusieurs qui ont tenu des propos, que ce soit dans l’opposition, que ce soit dans le parti au pouvoir, il s’agit de débats politiques. Mais en dernier ressort, c’est le juge constitutionnel qui tranchera.
Oui, mais là, ce n’est pas un individu qui s’exprimait, c’était le ministre ivoirien de la Justice, c’est-à-dire le représentant du gouvernement…
Mais moi, je n’ai pas personnellement participé aux débats. Je ne sais pas dans quelles circonstances ces propos ont été tenus. Je ne voudrais pas rentrer dans ce débat. On attend là que le juge constitutionnel tranche en dernier ressort.
Mais depuis une semaine, on voit bien que le discours de l’opposition sur ce sujet ne reçoit pas mal d’échos dans la population…
Oui, mais moi je trouve un peu cela dommage parce que, à quelques semaines d’une échéance pour laquelle on a des institutions qui vont être amenées à trancher sur une question, je ne pense pas qu’utiliser des manifestants dans la rue soit véritablement la meilleure solution et la voie démocratique. S’ils veulent manifester, le droit à manifester est autorisé dans notre pays, mais qu’ils le fassent en dehors de la violence. On a connu ces moments par le passé. De grâce, les Ivoiriens n’en veulent plus. Tout le monde a ses chances. Allons donc à ces élections. Allons pacifiquement avec nos arguments. C’est ce que les populations attendent.
Maurice Kakou Guikahué, le numéro 2 du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) de Henri Konan Bédié, affirme que c’est vous qui « semez les graines de la déstabilisation » en violant la Constitution et en voulant présenter le candidat Alassane Ouattara…
Honnêtement, à plusieurs reprises, le président Alassane Ouattara a dit sur ce point que, si des circonstances exceptionnelles le lui imposent, il se pourrait qu’il soit candidat, parce que la Constitution ne le lui interdit pas. Mais, personne dans la classe politique, personne de l’opposition n’est sorti, n’a manifesté pour dire : ce que le président a dit, c’est impossible, non. Je voudrais vous rappeler et rappeler à Kakou Guikahué, qu’ils étaient tous au RHDP et qu’ils ont tous demandé de voter oui à cette Constitution, et que c’est pendant ces moments-là que le président Ouattara a tenu des propos où il a dit que sa candidature ne serait pas exclue si les circonstances le lui imposaient. Alors il ne faut pas, parce qu’en dernière minute on est animé de telle ou telle ambition, revenir sur les engagements qu’on a pris.
Autre gros sujet de tension, le fait que l’ancien président Laurent Gbagbo soit rayé des listes électorales et donc ne soit pas éligible. Est-ce que, par cette mesure, vous ne risquez pas d’exclure un acteur important de la vie politique ivoirienne, et donc de compliquer la campagne électorale à venir ?
On est dans un pays où la justice est indépendante, où la Commission électorale indépendante] (Ci) est indépendante. De ce que je sais, les listes provisoires ont été publiées. La période de contentieux est ouverte. Nous attendons la publication des listes définitives pour connaître la suite à donner à ces réclamations.
Est-ce que cette décision ne risque pas de mettre le feu aux poudres du côté du Front populaire ivoirien (FPI) ?
Mais, non. Mais pourquoi est-ce qu’on veut toujours voir partout des tensions, le feu aux poudres. Les populations, après de longues années de souffrance, ont enfin retrouvé la paix et la quiétude. Tout le monde veut que cette atmosphère perdure.
Le 28 juillet dernier, Laurent Gbagbo s’est présenté à l’ambassade de Côte d’Ivoire à Bruxelles pour essayer d’obtenir un passeport ordinaire afin de pouvoir rentrer dans son pays. Pour l’instant, il n’a toujours pas ce document…
Le président Gbagbo a effectivement introduit une demande de passeport auprès du consulat à Bruxelles. Le dossier et les pièces constitutives sont en cours de traitement par les services compétents qui lui reviendront en temps opportun. Mais je pense qu’on est toujours dans les délais raisonnables de traitement et de réponse pour ce type de dossier.
La demande date déjà de plus de 15 jours…
Oui, mais 15 jours, c’est une demande à l’étranger. En général, ces pièces sont ramenées à Abidjan pour être examinées par les services compétents. 15 jours, je ne pense pas que ce soit un délai excessif, bien au contraire.
Est-ce que les autorités ont peur d’un retour de Laurent Gbagbo à Abidjan ?
Les autorités n’ont peur de personne, ni de rien. Les autorités se préparent à une élection extrêmement importante pour la stabilité de ce pays et c’est cela leur souci. Elles ne sont pas tous les jours au réveil au matin en train de penser à tel ou tel, ou d’avoir peur.
RFI (Invité Afrique)