Il fut Conseiller spécial du président de la Commission dialogue vérité et réconciliation chargé de la jeunesse. Après un long temps de silence, Karim Ouattara se prononce dans cette interview sur l’après Ouattara et lance un appel aux jeunes par rapport à l’enrôlement.
Après un long moment de silence, vous avez effectué une sortie médiatique la semaine dernière à travers une conférence de presse où vous avez appelé les jeunes à aller se faire enrôler massivement. Qu’est ce qui a motivé en réalité cette sortie ?
Si vous avez bien remarqué, depuis quelques années, chaque fois que le pays se trouve à un tournant décisif de son histoire, les passions commencent à se déchaîner. Et chaque fois que le pays s’est trouvé dans ce type de situation, je me suis toujours exprimé pour interpeller ma génération. Pour moi, le tournant de 2020 commence aujourd’hui. Tous ceux qui sont intéressés par la question de 2020 et/ou de l’alternance sont aussi concernés par la question de l’enrôlement. Par rapport à cette situation, j’ai juste remarqué qu’il n’y avait pas d’engouement de la part des jeunes autour de cette opération alors qu’ils sont ceux-là qui sont directement concernés par 2020. J’estime qu’il ne faut pas faire de l’auto exclusion ; c’est pourquoi j’ai donné de la voix pour appeler les jeunes à quitter derrière les claviers, à quitter les grins et les Agoras pour aller se faire enrôler.
Vous parlez d’auto exclusion, mais en Côte d’Ivoire les jeunes semblent être blasés par la politique. Pire, une frange de l’opposition appelle au boycott de cette opération. Dans un tel contexte, pensez-vous que votre appel sera entendu ?
C’est une opinion que je donne en tant que citoyen de ce pays. Je tiens à dire à mes jeunes frères de ne pas se laisser distraire par qui que ce soit. Aucun argument ne doit les convaincre à se détourner de l’enrôlement. S’enrôler, c’est avoir une carte d’électeur. Avoir sa carte d’électeur en poche, c’est avoir le pouvoir de décision. Je préfère avoir ma carte d’électeur en poche et avoir la possibilité de choisir ceux qui vont me diriger que d’être spectateur. Si vous n’avez pas de carte d’électeur, vous n’avez aucune possibilité d’agir sur la vie de la Nation. Quand on est membre ou sympathisant d’un parti politique et qu’on n’a pas de carte d’électeur, on ne représente rien pour ce parti. Ceux qui sont dans les partis politiques et qui parlent sans carte d’électeur font du vuvuzéla politique, c’est à dire du bruit inutile.
Certains jeunes à qui vous vous adressez estiment que les jeux sont déjà pipés du fait de la question de l’alternance en 2020 qui fait jaser actuellement. Pour vous, à quoi ça sert d’aller se faire enrôler si les jeux sont déjà faits ?
Je vais me faire plus précis. Aucun argument, à l’état actuel des choses, ne doit détourner les jeunes de cette opération. Je ne cesse de le répéter. Avoir sa carte d’électeur, c’est avoir le pouvoir de décision. Vous parlez d’alternance, mais la plus belle manière de s’imposer dans le projet d’alternance, c’est d’aller se faire enrôler. Je prends un exemple, lorsque 2 millions de personnes votent sur 6 millions d’inscrits sur la liste électorale cela veut dire que 4 millions d’Ivoiriens n’ont pas pris part au vote. Ceci est un indicateur significatif aussi bien pour celui qui est élu que pour la communauté internationale. Vous voyez donc qu’aller s’inscrire sur la liste électorale est un atout et une arme redoutable pour les jeunes d’influencer la vie politique de leur pays. Par ailleurs il est quasiment impossible de piper les jeux à l’ère du numérique.
Le PDCI RDA fait de cette question d’alternance une exigence. Personnellement, qu’est ce que vous pensez de cette question ?
Je ne pense pas que le PDCI RDA face de l’alternance une exigence mais un souhait comme l’a dit Le président Henri Konan Bédié par ailleurs président de la conférence des présidents des partis du RHDP. Cela veut dire que le discours a évolué. Après l’idée de promesse, l’alternance est aujourd’hui devenue un souhait. Quand on se réfère à la récente interview accordée par le président de la République à Jeune Afrique, on se rend très rapidement compte que le président a été formel. Il a dit qu’il n’a rien promis et que lui et le président Bédié se sont compris sur la question. Et quand je fais un retour en arrière, je me rends également compte que le président Henri Konan Bédié n’a pas encore dit qu’il y a eu une promesse formelle de procéder à une alternance en 2020. A partir de ces faits, j’encourage donc le président Bédié à continuer les négociations et que la question de l’alternance ne soit pas une exigence. Comme l’a dit le président Alassane Ouattara, il faut s’inscrire dans la logique du choix du meilleur candidat. Même si d’aventure l’on fait la passe au PDCI, ce parti sera obligé de choisir le meilleur de ses cadres parce que là où le président Alassane Ouattara a positionné le pays, on n’a pas le droit de jouer avec les compétences. En 2020, que ce soit le candidat du PDCI, du RDR, de l’UDPCI ou même un candidat de la société civile, il faut qu’il soit le meilleur de tous les candidats comme le souhaite le chef de l’Etat. Je ne vois pas comment quelqu’un ou un parti politique puisse s’opposer à un tel principe.
Dans cette même interview à laquelle vous faite allusion, le président a évoqué l’idée d’un troisième mandat qui continue de faire couler beaucoup d’encre et de salive. Que pensez-vous de cette hypothèse ?
Dans cette interview du président, il faut faire la part des choses. Le président Ouattara ne peut pas annoncer un troisième mandat. C’est le peuple qui accorde un troisième mandat. Le président, à la limite, peut annoncer une troisième candidature. Mais ici encore, nous sommes dans les hypothèses. Ce que les Ivoiriens doivent savoir, c’est que c’est le Conseil constitutionnel qui valide les candidatures. Nous avons des institutions de la République. Quand on se dit républicain et respectueux des lois de son pays, on ne doit pas se substituer au Conseil constitutionnel. Je note qu’il y a trop de constitutionnalistes improvisés ou autoproclamés dans ce pays. Arrêtons d’embrouiller les populations avec ces allégations. J’ai lu et relu l’interview du président. Allons au-delà des titres pour comprendre la philosophie qui sous-tend cette sortie du président de la République. Un président qui est en fonction et qui veut vraiment se présenter à sa propre succession ne pose pas de conditions. Il déclare directement sa candidature. Ici, le président Ouattara n’a pas déclaré de candidature. C’est un message fort qu’il a envoyé à la classe politique. Alors pourquoi les gens s’embrouillent ? Il faut que la classe politique sache que la société ivoirienne est devenue plus exigeante vis-à-vis des dirigeants et le président Ouattara l’a compris. Regardez les réalisations du président.
Malgré l’embellie, le peuple donne l’impression d’être insatisfait, tellement les attentes sont énormes. Dans un tel contexte, je suis totalement d’accord avec le président Ouattara qu’il faut que ce soit le meilleur des candidats qui vienne après lui. Ceci ne doit même pas faire l’objet d’un débat. A partir du moment où le président a dit cela, que tous ceux qui veulent devenir président travaillent à être le meilleur. Je ne vois pas ce en quoi cela peut poser problème. Ceux qui veulent succéder à Ouattara doivent arrêter de bavarder et chercher à être le meilleur parce que la société ivoirienne est devenue trop exigeante. Tous ceux qui bavardent ne sont pas qualifiés pour remplacer le président Ouattara. Ceux qui peuvent diriger après lui ne bavardent pas. Ils sont en train de se préparer à être le meilleur. Pour le peu que je sais du président Ouattara, c’est un homme de principes et nous devons tous aller à son école.
Les partisans d’un troisième mandat estiment qu’au regard des ambitions qui sont affichées et de ce qui se profile à l’horizon, autant donner un autre mandat au président Ouattara pour éviter à la Côte d’Ivoire de replonger dans le chaos. Surtout qu’il semble ne pas avoir de bon profil à sa suite. Etes-vous de cet avis ?
Je ne suis pas du tout d’accord avec les tenants de cette thèse. Primo depuis son élection en 2010 et sa réélection en 2015 le président Ouattara est le garant de la stabilité et la paix du pays, donc cet indicateur de performance lui incombe. Par ailleurs un 3ème mandat, à mon avis ne sera pas plus tranquille que les deux précédents en ce sens qu’en plus de l’opposition naturelle actuelle le FPI, le président Ouattara aura à dos une frange du PDCI et l’ensemble des frustrés du RDR. Secundo fort de ma petite expérience en entreprise où j’ai toujours soutenu qu’un manager compétent doit pouvoir faire monter chacun de ses collaborateurs et être à mesure de former rapidement ses potentiels remplaçants. Dire qu’il n’y a pas de bon profil capable de gérer le pays en 2020 après le président Ouattara est une offense directe à ses compétences et un manque de considération de ses principes. Le président Ouattara a formé des successeurs capables et compétents qui sont là. Il y a des collaborateurs qui travaillent avec lui depuis longtemps, qui l’ont observé et qui connaissent ses codes. Ceux-là sont capables de gérer le pays après lui.
Pour vous, quel doit être le profil type de candidat qui doit venir après le président Ouattara ?
Il est vrai que personne ne saurait faire l’unanimité dans ce monde d’ici bas, mais le consensus déterminera le prochain président. Donc le candidat qui dégagera le plus de consensus autour de ses compétences professionnelles et de ses valeurs sociales et/ou humaines sera à mon sens le prochain président après Ouattara. Le président Ouattara a donné une autre image à la Côte d’Ivoire, il a repositionné le pays au double plan économique et diplomatique. Aujourd’hui, le président ne parle plus de réconciliation, mais plutôt de cohésion nationale. Pour faire la cohésion, il faut être un homme consensuel. Celui qui doit venir après le président Ouattara, en plus de la compétence, doit donc être un homme consensuel.
On vous sait très proche du président de l’Assemblée nationale, est ce que pour 2020, vous misez sur une candidature de Guillaume Soro ?
Je ne veux pas me faire plus royaliste que le roi. Le président Guillaume Soro qui est le premier concerné a déjà répondu à cette question. Mieux, le président de la République, dans son interview à Jeune Afrique a dit que le destin de Guillaume Soro ne tient qu’à Guillaume Soro. Et moi je suis d’avis avec le président de la République et je m’aligne sur cette réponse. Au-delà de cette posture, je pense qu’en 2020, beaucoup de jeunes se présenteront aux présidentielles non seulement pour revendiquer leur émancipation mais aussi pour agacer les vieux et leur faire comprendre qu’il est temps qu’ils lâchent prise.
Kra Bernard