Grand Bouboury, le village Adioukrou niché à six kilomètres de Dabou, au sud de la Côte d’Ivoire, a reçu le samedi 31 mai 2025, la visite des journalistes.
Organisée par l’Union des journalistes culturels de Côte d’Ivoire (Ujocci), présidée par Jean-Marc Tonga, cette journée s’inscrivait dans une démarche de réappropriation du patrimoine immatériel, à travers le thème : « Découverte et décryptage du langage tambouriné de maître Latroh Pamphile ».
Dans ce sanctuaire en terre rouge où les ancêtres reposent, résonne le cœur de la tradition. Et c’est maître Latroh Pamphile, dromologue et directeur artistique de Brem’Art, qui en détient les clefs. Son art ne vient ni des bois sacrés ni d’une transmission académique. « C’est un don naturel », confie-t-il avec humilité. Brem’Art, littéralement « joueur de tambour », est à la fois un espace de création, de mémoire et de transmission.
C’est dans l’intimité de sa maison ancestrale, transformée en centre artistique sur suggestion de deux voyageurs français dans les années 90, que maître Latroh a enraciné sa vocation. « Ce lieu est sacré. C’est là que dorment nos ancêtres. Il était impensable de le laisser disparaître. » De simple fabricant d’instruments pour les icônes de la scène culturelle ivoirienne, comme Marie Rose Guiraud ou Wêrê Wêrê Liking, il devient porteur d’un héritage vivant. Un artiste complet qui, en plus de la confection, redonne voix aux tambours, au sens propre.
À Brem’Art, les tambours ne battent pas, ils parlent. Leur langage est complexe, codifié, spirituel. Devant une trentaine de journalistes rassemblés dans la cour de la concession, maître Latroh démontre l’art du message frappé. Chaque vibration, chaque tonalité porte une intention, une émotion, parfois un proverbe ou un appel.
Au cœur de cette dynamique de transmission, sa famille. « Dieu m’a fait grâce de douze enfants. Tous apprennent avec moi. » Formés dès leur plus jeune âge, tout en poursuivant leur scolarité, ils participent à la continuité d’un art ancestral. Lors des démonstrations publiques, les performances prennent une tournure quasi cérémonielle, entre communication mystique et expression chorégraphique.
Fort d’un parcours impressionnant – ancien chef d’orchestre du Ballet national aux côtés du Dr Alain Tailly, puis lauréat du prestigieux concours des Tambours d’Afrique au Nigeria en 2018 – maître Latroh nourrit une ambition claire : pérenniser et faire rayonner l’art tambouriné des Adioukrou au-delà des frontières.
Mais cette immersion culturelle ne s’est pas limitée au langage tambouriné. Sous la conduite du patriarche Essoh Denis, les visiteurs ont également découvert des trésors patrimoniaux : une église érigée en 1934, une croix sacrée, et même la demeure qui accueillit Félix Houphouët-Boigny, premier président de la République de Côte d’Ivoire. Autant de lieux chargés d’histoire, témoins silencieux d’un passé encore vibrant.
Par cette initiative, l’Ujocci affirme une volonté forte : reconnecter les journalistes à la richesse des traditions ivoiriennes, leur permettre de mieux en saisir la portée, pour mieux les restituer. « Nous avons vécu un moment de vérité, d’émotion et d’apprentissage », a confié un des participants, saluant le potentiel éducatif, touristique et culturel de ce type d’initiative.
Appuyé par le Centre national des arts et de la culture (Cnac), Brem’Art prépare d’ailleurs un temps fort : le Festival des Tambours, prévu du 5 au 8 juin 2025 à Grand Bouboury. Quatre jours de célébration des arts traditionnels, de dégustations locales et de jeux patrimoniaux, dans une ambiance de partage intergénérationnel.
Une certitude émerge de cette journée : à Grand Bouboury, les tambours ne sont pas de simples instruments. Ils sont mémoire, parole, lien et avenir.
Fulbert Yao