Selon les informations d’Africa Intelligence, le président ivoirien, Alassane Ouattara, et l’opposant Guillaume Soro ont échangé par téléphone, fin mars. Un contact inédit après plus de cinq ans d’un froid glacial entre les deux hommes.
Le coup de téléphone s’est tenu dans le plus grand secret. Selon les informations d’Africa Intelligence, le chef de l’État ivoirien, Alassane Ouattara, s’est entretenu par téléphone avec l’opposant Guillaume Soro dans la soirée du vendredi 29 mars.
L’échange s’est tenu à l’initiative de l’ancien président de l’Assemblée nationale ivoirienne, alors qu’Alassane Ouattara avait regagné Abidjan quelques heures plus tôt, après un séjour de deux semaines en France (AI du 21/03/24). Ce premier entretien, qui a duré un peu plus d’une quarantaine de minutes, a été suivi d’un second échange téléphonique entre les deux hommes dans la matinée du samedi 30 mars.
« Réconciliation »
Lors de ces deux appels, Guillaume Soro, en exil depuis 2019, a directement évoqué ses « regrets », tout en se montrant disposé à œuvrer pour la « réconciliation ». De son côté, Alassane Ouattara s’est dit prêt à lui « pardonner ». Les deux hommes sont par ailleurs convenus d’échanger de nouveau afin de définir les contours que pourrait prendre cette « réconciliation ».
Ces contacts interviennent presque un mois jour pour jour après la libération, fin février, par Alassane Ouattara de plusieurs lieutenants de Guillaume Soro emprisonnés, à l’instar de son ancien influent directeur de protocole, Souleymane Kamaraté, alias « Soul To Soul ». Une libération saluée par Guillaume Soro lors de son échange avec le président ivoirien.
Il s’agit du premier échange entre Alassane Ouattara et Guillaume Soro depuis près de cinq ans. En rupture avec le chef de l’État, l’ancien leader étudiant avait quitté la Côte d’Ivoire en février 2019 en vue de préparer sa candidature à l’élection présidentielle, prévue l’année suivante. Accusé de « tentative d’atteinte à l’autorité de l’État et à l’intégrité du territoire national », il n’avait finalement pas pu se présenter à la course à la magistrature suprême. Au lendemain de la réélection d’Alassane Ouattara, en novembre 2020, Guillaume Soro avait publiquement appelé, depuis Paris, l’armée ivoirienne à « agir » contre la « dictature clanique d’Alassane Ouattara ».
Quasi-clandestinité
Une sortie qui avait suscité l’ire de la présidence ivoirienne. Visé par un mandat d’arrêt international émis par la justice ivoirienne, le fondateur de Générations et peuples solidaires (GPS) a vécu dans la quasi-clandestinité pendant près de quatre ans. Il a notamment séjourné en Belgique, en Suisse, en Espagne, aux Émirats arabes unis ou encore en Russie (AI du 04/11/22). Courant 2023, il avait également été localisé au Tadjikistan (AI du 16/11/23).
En novembre dernier, il avait fait une apparition publique très remarquée à Niamey, où il avait été reçu avec tous les honneurs par le président de la transition, le général Abdourahamane Tchiani. Il est depuis installé entre la capitale nigérienne et Bamako. Il dispose de solides appuis au sein de la junte malienne, et tout particulièrement du patron de la Sécurité d’État (SE), Modibo Koné.
Si Alassane Ouattara et Guillaume Soro n’ont pas directement évoqué à ce stade un retour formel de l’opposant en Côte d’Ivoire, le sujet a figuré en filigrane des discussions. Alassane Ouattara n’exclut pas la possibilité de lui remettre un passeport ivoirien en vue d’ouvrir la porte à un tel scénario. Depuis plusieurs mois, le président ivoirien prend déjà en charge les frais de santé de plusieurs proches de Guillaume Soro présents à Abidjan.
Pour l’heure, l’ex-premier ministre est toujours sous le coup d’une condamnation à la prison à la perpétuité de la cour d’assises d’Abidjan de juin 2021 pour « complot » et « tentative d’atteinte contre l’autorité de l’État ». Sa résidence à Abidjan ainsi que certains de ses biens ont été confisqués par l’État ivoirien.
Pourparlers de paix
Depuis 2019, plusieurs tentatives de médiation pour tenter de réconcilier Guillaume Soro et Alassane Ouattara avaient échoué. En 2021, le président congolais, Denis Sassou-Nguesso, qui connaît personnellement Guillaume Soro depuis plus de deux décennies, s’était montré disposé à parrainer une telle manœuvre (AI du 06/09/21). Il avait même rencontré secrètement Guillaume Soro, à Genève, en septembre 2021 (AI du 27/09/21).
Plus récemment, le chef de l’État togolais, Faure Gnassingbé, s’était également saisi du dossier avec l’accord d’Alassane Ouattara, avec lequel il s’est entretenu en février lors d’un bref séjour à Abidjan. Faure Gnassingbé a notamment conseillé à Guillaume Soro de cesser les attaques publiques contre le président ivoirien. À l’instar de Denis Sassou-Nguesso, Faure Gnassingbé est aussi une vieille connaissance de l’ancien patron de Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (Fesci) : ils se sont connus en 2002, alors que Lomé accueillait les pourparlers de paix entre le gouvernement ivoirien et groupe rebelle des Forces nouvelles (FN), dirigé par Guillaume Soro. Faure Gnassingbé avait été introduit auprès de l’ex-leader étudiant de six ans son cadet par son père Eyadema Gnassingbé, alors président du Togo.
Dernier opposant
Guillaume Soro est jusqu’à maintenant le dernier opposant ivoirien en rupture totale avec Alassane Ouattara. En faisant le pari de l’opposition radicale, il s’était de facto retrouvé isolé sur la scène politique ivoirienne. De leur côté, les principaux leaders politiques du pays que sont Henri Konan Bédié, décédé le 2 août 2023, et Laurent Gbagbo avaient, chacun à sa façon, repris langue avec le chef de l’État.
Cette reprise du dialogue avec Guillaume Soro offre désormais à Alassane Ouattara la possibilité de parachever son processus de « réconciliation nationale », lancé en 2020, au moment où se profile l’élection présidentielle de 2025.