Marcel Amon-Tanoh offre à nouveau ses services pour servir son pays sous Ouattara : « Si le président décide d’ouvrir le gouvernement à l’opposition, on écoutera et on observera. Si je peux servir son pays, je ne dis pas non »
Il a été tour à tour ministre puis opposant, virulent puis soudain discret, candidat déclaré puis retoqué… Malgré les revers, Amon-Tanoh entend continuer à creuser son sillon et cultive sa « différence » au sein de l’opposition.
Son discours en avait frappé plus d’un. Ce 10 octobre, la plateforme d’opposition au troisième mandat d’Alassane Ouattara a convié ses partisans à un « giga-meeting » au stade Félix Houphouët-Boigny, à Abidjan. À la tribune, les principaux opposants au président sortant se succèdent pour dénoncer une « forfaiture » et une candidature « illégale et anticonstitutionnelle ». Vient le tour de Marcel Amon-Tanoh. Comme beaucoup d’autres, celui qui fut longtemps le directeur de cabinet puis le ministre des Affaires étrangères du chef de l’État a vu sa candidature à la présidentielle rejetée par le Conseil constitutionnel mi-septembre. En chemisette blanche, index levé, il étrille son ancien patron.
« Nous sommes prêts à mourir pour notre pays. Nous sommes prêts à mourir pour libérer notre pays de la dictature d’Alassane Ouattara. Nous ne reculerons plus devant rien. Nous sommes debout. Nous en avons marre. Dites-lui de libérer notre pays et de nous le rendre ! », lance-t-il sous les acclamations de la foule.
« Tu dois la fermer ! »
Des propos très durs qu’ont évidemment peu appréciés le chef de l’État et son entourage. Deux jours plus tard, Adama Bictogo, le secrétaire exécutif du Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), réplique d’ailleurs violemment lors d’un meeting du camp présidentiel. « Nous n’accepterons pas qu’il fasse preuve d’ingratitude. Nous disons à Amon-Tanoh : »Tu dois la fermer ! On ne peut pas être ingrat jusqu’au bout […] Comment toi, Amon-Tanoh, peux-tu te permettre, avec tout ce que tu as reçu, tout ce qui t’a lié au président Alassane Ouattara ? »
Le 31 octobre, le président sortant est, sans surprise, réélu pour un troisième mandat à l’issue d’un scrutin boycotté par ses opposants et émaillé de violences (elles ont fait plus de 80 morts depuis le mois d’août). Ses principaux opposants, Henri Konan Bédié en tête, annoncent la création d’un Conseil national de transition (CNT). La riposte est immédiate : la résidence abidjanaise de Bédié est encerclée par les forces de l’ordre et plusieurs figures de l’opposition sont arrêtées pour « sédition ».
Marcel Amon-Tanoh, lui, reste silencieux. C’est par un communiqué, publié le 9 novembre sur ses réseaux sociaux, qu’il prend enfin position. « Je déplore la création du Conseil national de transition qui n’a aucun fondement légal et qui ravive les tensions et les risques d’affrontements. Je souhaiterais néanmoins qu’en signe d’apaisement, les personnes incarcérées soient libérées. » Depuis, plus rien, hormis une publication le 11 novembre pour se « réjouir » de la reprise, le jour même, du dialogue entre Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié à l’hôtel du Golf.
Incompréhension
Dans les rangs de l’opposition, beaucoup ne comprennent pas son mutisme depuis son discours enflammé au stade Félix Houphouët Boigny, et encore moins son désaveu public du CNT. Cette prise de position lui a d’ailleurs valu des remarques acides sur son manque de courage présumé face aux autorités ivoiriennes. « Je ne parle que lorsque j’ai quelque chose à dire, rétorque Marcel Amon-Tanoh. Je me suis opposé au CNT car on ne combat pas l’illégalité par l’illégalité et on ne répond pas à un acte anticonstitutionnel en posant un autre acte anticonstitutionnel. »
A-t-il subi, comme le pensent certains, des pressions du pouvoir dans la foulée des menaces formulées par Adama Bictogo ? Il assure que non. « Je ne suis pas un homme peureux. Certains ont pensé que je ne me présenterai pas contre le président Ouattara par peur. Mais je n’ai aucune raison d’avoir peur. Je refuse qu’on me dicte ma conduite et j’assume mes choix », répond-t-il.
Avec le président, la rupture remonte au début de l’année. Le 19 mars dernier, une semaine après la désignation d’Amadou Gon Coulibaly comme candidat du RHDP à la présidentielle, le chef de la diplomatie ivoirienne annonce sa démission du gouvernement. Évoquant des « divergences de fond » avec Alassane Ouattara, il est surtout opposé au choix de Gon Coulibaly comme dauphin – lui était favorable à l’organisation de primaires. « Marcel n’a jamais digéré que le président lui préfère Amadou pour être le candidat du RHDP », lâche un ministre. L’intéressé rétorque qu’il n’en est rien et qu’il a toujours eu de bons rapports avec le Premier ministre, décédé le 8 juillet. « Certains ont essayé de personnaliser le débat autour du choix du candidat, mais cela faisait un moment que j’exprimais ma différence en interne », assure-t-il.
En retrait au sein de l’opposition
Sa « différence », le nouveau venu en politique n’hésite pas à la cultiver au sein de l’opposition. Avant de se démarquer sur la formation du CNT, il s’était aussi montré prudent sur « l’appel à la désobéissance civile » lancé par Bédié et les principaux opposants. Lors d’un entretien chez lui, à Abidjan, fin septembre, il ne cachait pas ses réticences à appeler les Ivoiriens à descendre dans la rue alors que les manifestations étaient interdites et réprimées. « Je suis un homme responsable. Je ne suis pas prêt à les envoyer mourir donc je ne les appelle pas à marcher », expliquait-il. « Il a toujours été un peu en retrait au sein de la plateforme d’opposition et ne participait pas à toutes les réunions », se rappelle une figure du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI).
Ses divergences de vue avec les autres opposants, Marcel Amon-Tanoh les assume. « Il faut que la démocratie que nous réclamons s’applique à tout le monde. J’ai le droit de penser autre chose que les autres membres de l’opposition », estime-t-il. Pas question, pour autant, de rompre les liens avec les autres forces de l’échiquier politique. Le 12 novembre, au lendemain de l’entretien entre Ouattara et Bédié, il a rencontré longuement le « Sphinx de Daoukro », qu’il a encouragé à enterrer le projet de CNT et exhorté à reprendre le dialogue avec le pouvoir.
« Je suis un opposant qui construit. Quand je m’oppose, je dis pourquoi et je propose une solution alternative », affirme-t-il. Assurant rester « fidèle à sa ligne », il continue à plaider pour un « dialogue inclusif » entre le régime et tous les acteurs politiques. Et appelle le président, maintenant qu’il est réélu, à « faire des signes d’apaisement », notamment en libérant les personnalités de l’opposition arrêtées après la présidentielle.
Sur le fond, l’ex-directeur de cabinet de Ouattara continue à dénoncer la situation sociopolitique actuelle en Côte d’Ivoire. « La présidentielle n’a rien changé. Le président a été réélu, le RHDP est content, mais il n’y a pas plus de démocratie dans notre pays. Le problème des libertés est toujours d’actualité. Il suffit de regarder le sort récemment réservé aux artistes Yodé et Siro [condamnés à un an de prison avec sursis pour avoir accusé la justice de partialité] pour le constater. »
« Il n’est pas crédible, tacle un ministre. Il a été aux côtés du président pendant des années et a été un de ses plus proches lieutenants. Sa démarche est incohérente et illisible. »
Malgré l’invalidation de sa candidature à la présidentielle, Amon-Tanoh entend continuer à creuser son sillon, en développant le mouvement qu’il a lancé durant la dernière campagne électorale. « Je compte rester dans le paysage, en faisant de la politique à ma manière », clame-t-il.
Sera-t-il candidat aux prochaines élections législatives, censées se tenir au cours du premier semestre 2021 ? Jamais élu député, ce fils d’une grande famille influente d’Aboisso n’écarte pas l’hypothèse, ni celle de soutenir d’autres candidats. En attendant, il continue à guetter l’évolution des pourparlers avec Ouattara. « Si le président décide d’ouvrir le gouvernement à l’opposition, on écoutera et on observera. Si je peux servir son pays, je ne dis pas non. »
Jeune Afrique