Le jeudi 14 juillet 2022 est un jour qui doit faire date dans l’histoire de la Côte d’Ivoire. Même si l’actualité de l’arrestation des 49 soldats ivoiriens au Mali est venue un tant soit peu, cannibaliser sa portée communicationnelle.
En effet, plus de douze ans après, les trois acteurs clés de la vie politique ivoirienne, après avoir guerroyé, ont décidé de s’asseoir autour d’une table pour se parler et deviser comme des copains de classe, voire comme des amis et frères.
Alors qu’on s’attendait à une déclaration finale chargée de décisions importantes, au regard des raisons de crispation entre ces leaders, l’opinion a été servie d’un menu fretin. En effet, dans la déclaration qu’il a lue au nom des trois, le président Laurent Gbagbo affirme : « La rencontre de ce jour a été une rencontre de retrouvailles pour renouer le contact et échanger dans la vérité nos vues sur toutes ces grandes questions. Le président de la République et ses deux prédécesseurs ont exprimé leur volonté de faire de cette première rencontre un levain de la décrispation du climat socio politique ». Et le président Alassane Ouattara d’ajouter :« Nous aurons l’occasion de nous revoir régulièrement, en fonction de leur disponibilité ».
Que peut-on retenir donc de ces « retrouvailles » entre ces trois « elders » ?
Premièrement, après les différents épisodes qui ont émaillé leurs rivalités politiques et qui ont tourné au drame, les trois « grands » ont chacun su mesurer les rapports de forces en présence. Sur ce point, à la vérité, le président Ouattara est celui qui détient les cartes du jeu. Il a pu imposer l’agenda de cette rencontre aux deux autres et non le contraire. D’ailleurs, dans sa courte déclaration, il le fait savoir en affirmant qu’à partir de maintenant, ce type d’échanges restent possibles si ces prédécesseurs en font la demande.
Deuxièmement, ce rendez-vous honoré par les trois leaders politiques permet de briser le mur de glace qui semblait les séparer, notamment le président Ouattara et le duo Bédié-Gbagbo. Comme l’indique la déclaration, il permet de « renouer » les fils du dialogue. En clair, pour la symbolique, il sert d’ingrédient pour décrisper davantage l’atmosphère politique qui connait une belle embellie depuis l’élection d’Adama Bictogo à l’assemblée nationale, avec un large soutien des députés de l’opposition.
Troisièmement, cette rencontre montre que, dans une certaine mesure, la volonté affichée des Ivoiriens d’aller résolument à la paix s’est imposée aux trois leaders. En effet, les récents développements de la vie politique en Côte d’Ivoire ont permis à une large partie de la population de sortir des prisons émotionnelles où elle se laissait enfermer par leurs leaders. De plus en plus de personnes comprennent aujourd’hui que la politique est un jeu organisé pour prendre et gérer le pouvoir d’État, et que point n’est besoin de mourir pour un banquet auquel elles ne seront finalement pas invitées.
Quatrièmement, à l’analyse de la déclaration issue de cette rencontre, malgré la volonté réelle affichée d’aller de l’avant, on comprend en sourdine, que certains blocages réels subsistent. Il y a sûrement des efforts substantiels à faire par chaque partie. On présage que chacun des blocs (Ouattara versus Bédié-Gbagbo) doit lâcher un gros morceau pour en recevoir de l’autre. Par exemple, signer un accord pour un retrait des trois de la course à la présidentielle de 2025 n’est-elle pas la contrepartie exigée par Ouattara pour accéder aux demandes prioritaires de ses prédécesseurs ?
En définitive, dans une sous-région en proie à une réelle menace terroriste, la paix en Côte d’Ivoire est une nécessité, un verrou qui ne doit pas céder. Il faut donc saluer la dynamique de paix définitivement enclenchée par les trois poids lourds de la scène politique ivoirienne et les y encourager. Ils en seront auréolés par une belle sortie de la scène politique et une garantie pour un avenir radieux de la Côte d’Ivoire et de l’ensemble de la sous-région ouest-africaine.
NURUDINE OYEWOLE. Expert-consultant en communication, Analyste politique