Il est des discours qui éclairent, qui ouvrent des perspectives, qui élèvent la réflexion. Il en est d’autres, au contraire, qui enferment, qui attisent les ressentiments, et qui révèlent derrière la façade des mots, les véritables intentions de leur auteur.
Le discours de Laurent Gbagbo au stade d’Angré (NDLR : 1er mars 2025) appartient indéniablement à cette seconde catégorie. Sous des allures de plaidoyer pour la justice foncière, il se dévoile comme une démonstration d’un ancien président qui n’a jamais changé. Seul le pouvoir l’obsède, et tous les moyens lui semblent bons pour y revenir.
Dès lors, le sens d’un tel discours relève, non pas comme une analyse sincère des problématiques foncières d’Abidjan, ni même comme une critique cohérente de la gouvernance actuelle, mais comme une manœuvre politique où l’indignation affichée n’est qu’un artifice destiné à galvaniser des émotions en mal de cause commune. Son discours ne repose pas sur un projet d’avenir, mais sur une rhétorique de la revanche, un appel à la résurgence d’un passé qu’il s’échine à ressusciter pour mieux masquer son propre naufrage politique.
L’instrumentalisation du foncier comme prétexteL’un des paradoxes fondamentaux du discours de Gbagbo réside dans l’instrumentalisation d’un problème dont il fut lui-même l’un des acteurs passifs. Lorsqu’il s’insurge contre le désordre foncier à Abidjan, il feint d’oublier que cette situation ne date ni d’hier, ni exclusivement du pouvoir actuel.
La crise du foncier en Côte d’Ivoire plonge ses racines bien plus loin, dans les déséquilibres hérités du PDCI et du système informel de distribution des terres qu’il a instauré dès les premières décennies de l’indépendance.
Pendant dix ans au pouvoir, Gbagbo n’a ni structuré un cadastre moderne, ni initié une réforme d’urbanisation susceptible de répondre aux dérives qu’il dénonce aujourd’hui avec emportement.Pourquoi alors cette soudaine indignation ? Parce qu’il ne s’agit pas tant pour lui de régler un problème que d’en faire une arme politique. La terre, en Côte d’Ivoire, est bien plus qu’un simple bien matériel, elle est un marqueur identitaire, un terrain fertile pour les clivages et les frustrations.
En s’attaquant à cette question sous un prisme polémique plutôt que réformateur, Laurent Gbagbo ne cherche pas à apaiser mais à diviser. Il sait que le foncier est une ligne de fracture toujours prête à se rouvrir et, il n’hésite pas à en jouer, quitte à raviver des tensions dormantes.Une posture d’opposant qui trahit l’obsession du pouvoir Ce qui frappe dans le discours de Laurent Gbagbo, c’est l’incapacité à se situer autrement que dans la posture du contestataire éternel.
En d’autres circonstances, un ancien chef d’État aurait pu adopter une hauteur de vue, proposer des solutions concrètes, esquisser une alternative crédible pour la gestion du foncier et, au-delà, pour l’avenir du pays. Mais ce n’est pas ce qui l’intéresse, son ambition n’est pas de construire, mais de déconstruire.
Il ne s’inscrit pas dans une logique de transmission ou de dépassement, mais dans une quête permanente de revanche politique. Il faut comprendre que pour Laurent Gbagbo, la politique n’est pas un moyen, mais une fin en soi. Là où d’autres voient un outil de transformation sociale, lui y voit un instrument de domination.
L’idéologie, les projets de société, les réformes structurelles ne sont que des détails secondaires, considérant que l’essentiel réside dans la conquête et l’occupation du pouvoir. Ce discours d’Angré, bien qu’enrobé dans une rhétorique de défense des intérêts populaires, n’est en réalité qu’une énième manœuvre pour se repositionner dans le jeu politique, en agitant des thèmes sensibles pour s’assurer une base mobilisable.
Une tentative d’allumer un feu qu’il ne saura éteindre Ce qui rend ce discours particulièrement inquiétant, c’est qu’il témoigne d’une absence totale de sens des responsabilités. Laurent Gbagbo parle du foncier comme s’il s’agissait d’une simple problématique administrative, oubliant que derrière ces questions se cachent des tensions sociales qui ont déjà embrasé le pays par le passé. En Côte d’Ivoire, les conflits liés à la terre ont souvent servi de déclencheurs aux crises politiques les plus violentes.
Un homme d’État conscient de cette réalité aurait choisi ses mots avec prudence, aurait évité de souffler sur les braises. Mais Gbagbo, lui, préfère l’escalade. C’est là qu’apparaît son mépris du bien commun, pour lui, peu importent les conséquences de ses propos, tant qu’ils lui permettent de renforcer son aura auprès d’un électorat nostalgique.
Laurent Gbagbo joue avec des forces qu’il sait incontrôlables, misant sur le ressentiment pour exister politiquement. Un chef d’État responsable apaise, construit, transcende les divisions Mais Laurent Gbagbo, lui, fait exactement l’inverse, il alimente les fractures, les attise comme s’il espérait qu’un chaos naissant lui ouvrirait de nouvelles opportunités. Un homme prisonnier de son passé, incapable d’offrir un avenir. Mais ce que ce discours révèle surtout, c’est l’incapacité de Gbagbo à se réinventer.
Depuis son retour en Côte d’Ivoire, il aurait pu adopter une posture de sage, proposer une vision renouvelée du pays, travailler à la réconciliation. Mais il a choisi une autre voie, celle du repli, du ressentiment, de la perpétuelle confrontation.
Là où d’autres figures politiques, après une traversée du désert, sont revenues avec des propositions de rupture, Laurent Gbagbo revient avec les mêmes discours, les mêmes attaques, les mêmes schémas de pensée qu’il y a vingt ans. Cette incapacité à évoluer est, en soi, un aveu d’échec Un homme politique qui répète les mêmes combats sans jamais en tirer de leçons n’est pas un leader visionnaire, mais un homme dépassé par son époque.
En restant enfermé dans une dialectique d’opposition systématique, il prouve qu’il n’a jamais eu de véritable projet pour la Côte d’Ivoire, sinon celui de la garder sous son emprise.Un discours qui dévoile plus qu’il ne convainc Ce discours est celui d’un homme politique qui, faute d’idées nouvelles, recycle les vieilles rancœurs.
Laurent Gbagbo prouve de ce fait qu’il ne s’est jamais émancipé de sa logique de conflictualité et que sa vision de la politique reste prisonnière des schémas du passé.
Mais l’histoire ne se répète pas toujours à l’identique. Si hier la Côte d’Ivoire a été piégée par ces discours de division, aujourd’hui, elle est en droit d’attendre autre chose de ses leaders. Enfin Laurent Gbagbo, en refusant d’évoluer, ne fait que s’exclure lui-même de l’avenir.
Kalilou Coulibaly, Doctorant EDBA, Ingénieur.