Les prochaines élections présidentielles en Côte d’Ivoire, c’est seulement dans une petite douzaine de mois. Malheureusement, ce compte à rebours s’accompagne aussi d’une montée fulgurante de la tension sociale, qui préoccupe le Rassemblement Démocratique Ivoirien (RDI). Dans l’interview qu’il nous a accordée le mardi 29 octobre 2025 au siège de son parti situé à Abobo, Chérif Hamed Haïdara lance un appel aux Ivoiriens et aux hommes politiques de son pays.
La révision de la liste électorale vient d’être lancée. Quel regard porte le Rassemblement Démocratique Ivoirien sur cette opération ?
Vous savez, nous sommes un parti qui prône la paix sociale comme gage du développement durable. Nous n’avons cessé d’appeler à l’apaisement pour que l’élan de développement, dans lequel la Côte d’Ivoire s’est engagée avec le Président Alassane Ouattara, puisse se poursuivre. Il va de soi que nous souscrivions entièrement à toute initiative visant à lever les équivoques. Les partis d’opposition contestent la crédibilité de la liste électorale, car elle comporterait encore des irrégularités, comme les noms de personnes décédées. Nous pensons qu’il est essentiel de procéder au toilettage de cette liste afin que seuls ceux qui en ont le droit y figurent. C’est donc une bonne chose, et nous nous en réjouissons. Avec les mesures prises par le gouvernement pour faciliter l’accès aux documents requis pour l’inscription, nous pensons que le maximum de personnes y ayant droit s’inscriront. Cela renforcera la légitimité du Président de la République. Le RDI se mobilise également pour sensibiliser les nouveaux majeurs à converger vers les centres indiqués afin de s’inscrire sur la liste électorale. C’est la condition pour participer au choix des hommes qui vont nous diriger.
La tension est montée ces derniers jours dans l’environnement sociopolitique en raison de nombreux problèmes : dissolution des associations étudiantes à caractère syndical, grèves des enseignants et agents du ministère de la Santé, et même dans l’arène politique avec la réinscription de Laurent Gbagbo et la question de la nationalité de Tidjane Thiam. Comment le RDI perçoit-il cette situation ?
Si vous le permettez, nous allons y aller par étapes. D’abord, concernant les grèves des fonctionnaires : c’est un droit reconnu par la Constitution et le Code du travail. Nous ne pouvons donc pas dénier à quiconque le droit de réclamer de meilleures conditions de travail et de vie. Cependant, nous pensons qu’il faut prioriser le dialogue. Lorsque des gens ne sont pas satisfaits, il est nécessaire de les écouter et de partager la réalité vécue pour les rassurer. L’un des responsables syndicaux a dit que c’est au père qui donne qu’on demande, et cela est juste. Le revers du développement est l’inflation, ce qui implique une hausse du coût de la vie. Si les gens rencontrent des difficultés, ils ont le droit de le faire savoir. Le gouvernement doit les écouter et discuter avec eux. Néanmoins, il est important de poser les problèmes de manière appropriée, car un parent ne peut satisfaire un enfant qui demande avec condescendance ou arrogance. Nous encourageons les autorités à prêter une oreille attentive aux réclamations des fonctionnaires, et nous conseillons aux fonctionnaires de privilégier la négociation. Cela évitera des échauffourées inutiles. Nous savons tous combien la trêve sociale a été bénéfique pour tous.
Dans une émission télévisée le 21 octobre dernier, M. Théodore Zady Gnagna, leader syndicaliste, déclarait que les fonctionnaires ont obtenu en 2022 plus de 1000 milliards de francs CFA sur cinq ans, avec des paiements commencés dès août 2022. Il a aussi mentionné l’institution de la prime de fin d’année, qui équivaut à un treizième mois, et l’accord du tiers pour les retraités par le Président Alassane Ouattara, tout cela dans le cadre du dialogue social. De plus, le cadre de concertation mis en place est une avancée pour préserver un climat de tranquillité profitable à tous. Les engagements pris doivent être respectés, et s’il y a des difficultés, il faut en discuter pour progresser.
D’autre part, au plan politique, il y a de nombreux problèmes… Personne n’est prêt pour les prochaines élections présidentielles d’octobre 2025. La Commission Électorale Indépendante (CEI) fait l’objet de contestations de l’opposition, en raison de la présence de noms de personnes décédées et d’identités douteuses. Cela crée un terrain propice aux contestations. Au RHDH, nous faisons face à l’incertitude quant à la candidature d’Alassane Ouattara. Au PDCI-RDA, la question de la candidature est aussi en débat. Au PPA-CI, la situation de Laurent Gbagbo, qui n’est pas inscrit sur la liste électorale, demeure préoccupante. Il en est de même pour Charles Blé Goudé, ainsi que pour Guillaume Soro, ancien Premier ministre, en exil et frappé d’inéligibilité.
Devant ce tableau apocalyptique, que propose concrètement le RDI ?
Nous appelons la classe politique et les Ivoiriens à l’apaisement. Nous n’avons pas d’autre pays que la Côte d’Ivoire. Ce pays doit être sacré pour chacun de nous. Chacun doit s’élever au-dessus de ses intérêts personnels pour préserver la patrie. Le RDI appelle les politiques et les organisations de la société civile ivoiriennes à s’asseoir rapidement autour d’une table pour discuter. Nous devons passer par un arrangement politique pour éviter les erreurs du passé, car les mêmes causes produisent les mêmes effets. Nous allons nous retrouver inévitablement dans le mur. Les ivoiriens ne peuvent pas ne pas avoir tiré les conséquences des tragiques évènements que nous avons vécus.
Et quels doivent être, selon vous, les termes de références de cette discussion à tenir ?
Il faut régler les cas Laurent Gbagbo, Charles Blé Goudé et Soro Guillaume. Donc, premièrement, prendre des dispositions politiques pour rendre les élections vraiment inclusives. De sorte que tous y participent et que le meilleur gagne. On dit qu’il n’y a point de gloire à triompher sans lutte. Je n’ai jamais caché mon admiration personnelle et ma foi en la capacité du président Alassane Ouattara de gagner tous les challenges. Parce qu’il a un bilan élogieux qui pourrait influer en sa faveur. Le jeu démocratique implique la liberté du choix au peuple. Personne mieux que le peuple sait ce qui est bon pour lui. Le président Alassane Ouattara qui a beaucoup d’atouts ne saurait aller seul à des élections où déjà tous ses concurrents sérieux sont éliminés d’avance ! Dans cette perspective, il faut prendre des dispositions pour apaiser les cœurs et créer les conditions d’une union sacrée des ivoiriens autour de leur pays. Et pour bien faire les choses, il faut ensuite procéder au toilettage de la liste électorale et corser la sensibilisation de la mobilisation en finançant une mission des partis politiques à l’effet de la révision de la liste électorale ; pour cette année et également l’année prochaine, conformément à la prescription de la loi. Au risque de me répéter, il faut que les nouveaux majeurs soient tous inscrits sur la liste électorale et toutes les personnes qui y ont droit également. A défaut, un arrangement politique devrait aboutir à la retraite de l’ancien président Laurent Gbagbo et du Président Alassane Ouattara. Ces deux personnalités dont le leadership est incontestable pourraient jouer alors un rôle important de Haut-Conseillers pour les nouvelles générations et de garants moraux de la nation. Je pense personnellement qu’à l’heure actuelle, et avec le leadership qu’ils ont démontré, ils ne devraient plus appartenir à aucun parti politique. Ils seraient plus profitables à la nation en tant que tels. Etant désormais des référents de la nation, s’il y a des soucis, pourquoi ne seraient-ils pas les derniers remparts à qui le peuple va recourir pour aider à préserver la stabilité du pays ? Ce statut-là doit s’inventer. Parce que nous regrettons tous aujourd’hui feu le président Henri Konan Bédié qui était l’aîné de ces deux dinosaures politiques. Lui seul pouvait les regarder droit dans les yeux pour leur tenir un langage de vérité. Aujourd’hui ils sont restés seuls. Et nous convenons que cette génération dorée est irremplaçable. Nous n’aurons plus dans les dix ou vingt années à venir des hommes de la carrure d’Alassane Ouattara et de son frère Laurent Gbagbo. Il faut donc profiter maintenant de leurs forces autrement que dans la belligérance et les conflits d’intérêts individuels. Si les ivoiriens s’asseyent pour discuter, ils peuvent donner un contenu à ce statut de Haut-Conseillers de la république de nos anciens chefs de l’Etat et nous croyons que cela peut aider vraiment la Côte d’ivoire. Toutefois, les deux présidents garderont leur qualité d’électeurs pour continuer à exprimer leur droit dans les urnes. Nous proposons surtout la création d’une charte qui institue un gouvernement d’union nationale à l’issue de la prochaine élection présidentielle, pour que tout le monde soit à la tâche dans la construction du pays. Mais avant, il faut reporter l’élection d’octobre 2025 de douze mois au moins ; supprimer la caution financière à payer pour être candidat à la présidence de la république ; supprimer également les parrainages. Dans une démocratie, n’importe qui peut se mettre au service de son pays. Peu importent ses origines ou sa condition sociale. Seul le peuple choisit en s’appuyant sur ses idées et son projet de société. Nous pensons que ces arrangements que nous appelons nécessitent forcément du temps et des moyens financiers qu’il va falloir mobiliser. Et, dans ce sens, dès fin octobre 2025, la classe politique et la société civile devront s’asseoir pour convenir d’une transition dirigée par le président Alassane Ouattara et son frère Laurent Gbagbo, avec la participation de tous, pour organiser ce changement.
Alors que des dates sont déjà prévues pour le renouvellement des instances de la république. Ce que vous prévoyez-là ne s’apparente-t-il pas à une violation de cette constitution ?
• Vous savez, il ne faut pas cultiver aveuglement le fétichisme des dates. Lorsqu’une personne est malade et que son pronostic vital est engagé, les médecins sont obligés de tout mettre en œuvre pour la sauver ! C’est un peu dans cette situation que nous croyons être aujourd’hui. Le spectre des violences électorales plane et il n’y a qu’à jeter un regard objectif dans l’arène politique pour s’en rendre compte. Ce pays nous appartient, en tant qu’ivoiriens. Nous ne devons pas croiser les bras pour le regarder se déchirer une nouvelle fois. Loin de nous l’idée de violer la constitution. Mais la réalité c’est que nous fonçons tout droit dans le mur ; Il faut que tout le monde fasse des propositions et que nous nous écoutions les uns les autres pour préserver notre pays de la ruine. Et voici celles du rassemblement démocratique ivoirien. D’autres voix pourront s’élever pour faire des observations ou d’autres propositions. Nous pensons que c’est à ce prix que des vies seront préservées. Lors de la dernière coupe d’Afrique des nations de football organisée par notre pays, nous avons vu la détermination des ivoiriens à défendre le drapeau national. On a tous fait bloc derrière notre capitaine papa Ado et comme un seul homme nous avons fait preuve d’une résilience extraordinaire pour ressusciter et remporter la coupe. Et pourtant nous étions au bord du gouffre ! Cette image montre bien que si les ivoiriens sont unis, rien ne pourra triompher d’eux. Ce que nous disons n’est pas pour faire plaisir au président Alassane Ouattara ou à son frère le président Laurent Gbagbo, forcément. Mais s’ils aiment la Côte d’Ivoire, comme nous le pensons, alors ils devraient analyser cette perspective. Tous les ivoiriens qui ont le souci de préserver notre pays des conflits des grands intérêts devraient envisager aussi cela. Nous ne faisons pas des prédictions apocalyptiques, comme vous le disiez tantôt. Mais nous analysons les faits que nous voyons et tirons simplement la sonnette d’alarme.