Agent de joueurs puissant, puis président de l’Olympique de Marseille, lettré et rigolard, concerné et détaché, il a marqué le foot français. Il est mort à 68 ans à Dakar, terrassé par le Covid-19.
Dans le foot comme ailleurs, l’argent n’a pas d’odeur, mais l’agent a parfois de l’honneur. Voilà le message de Pape Diouf. Pape est agent de joueurs, profession assimilée, au mieux, à un racket légal des clubs, au pire, à une machine à blanchir l’argent sale du milieu.
Grand Black dans ce micmac, Pape ne se veut «ni une conscience ni une référence». Mais il prétend garder quelques principes. Ni agent double ni argent trouble : à la bourse des mollets, Pape n’est pas un usurier. «En France, le métier est vu sous l’angle fric, fric, fric. Des affaires éclatent, on met en cause les agents.
C’est plus facile de bastonner contre eux que contre les dirigeants, les entraîneurs ou les joueurs. Mais il y a la même proportion de gens indélicats dans ce métier que dans d’autres. Je ne suis pas sûr que tous les mécaniciens, réparateurs télé ou journalistes soient OK.»
Pape, douze ans de métier, compte cinquante footballeurs sous sa coupe, Marcel Desailly, Laurent Robert ou William Gallas, dont il gère le parcours, les caprices, les angoisses et les chagrins d’amour. Le métier consiste à faire chauffer le portable à l’oreille, «pas un jour sans 5, 6, 7 appels de joueurs», qu’il conclut par un «OK fils, embrasse ta famille !»
Le foot est une jungle, Pape y jongle, «seize heures par jour», jamais de vacances, des avions jusqu’à quatre fois par jour. Une vie de dingue. Heureusement, c’est bien payé. «On appose au mot agent les termes d' »affaires », « bizness », « argent ». Quand je me réveille à 4 heures du matin, j’ai un problème à régler, je ne me dis pas : « Est-ce que je vais faire une affaire à 200 000 ou 300 000 ? » Même si, à un moment de la chaîne, la question va se poser.»
Il y a un style Diouf, que Pape explique : «Je ne cherche pas à faire plaisir à l’un ou l’autre. Je ne raconte pas d’histoires aux joueurs.
Je leur donne les éléments de réflexion, d’appréciation. Quand Desailly voulait aller de Nantes à Monaco, j’ai insisté pour qu’il vienne plutôt à Marseille [en 1992]. Il n’exprime son potentiel que quand il y a de la pression. A Monaco, même si les intérêts financiers étaient plus importants, il avait le risque d’être fonctionnarisé. A Marseille, il y avait l’effervescence.» Coup gagnant, pour Desailly, champion d’Europe 1993 avec l’Olympique de Marseille (OM).
Alors, l’agent fait-il le bonheur ? Sa réputation veut que Pape construise des carrières. Ne se contente pas de faire des coups et de gagner du pognon. Il aime la réussite avant l’argent, même si l’une apporte l’autre. Avec ses joueurs, il ne conçoit une relation «viable et vivable» que s’il y a «besoin d’un travail commun».
En clair, «que si l’un quitte l’autre, il y ait un spleen». Jusqu’à peu, Pape travaillait sans contrat avec ses joueurs. A quoi bon, «puisque l’important est ce qui se dit entre nous». Aujourd’hui, les règlements internationaux obligent au contrat. D’autant qu’existe-le risque, pour l’agent, une espèce en voie de multiplication, de se faire piquer un joueur. «Mais s’il part avec un autre, c’est qu’il ne veut plus être avec moi. Je ne vais pas prendre un pistolet…»
Comment diable Pape le Sénégalais est-il tombé là-dedans ? Ayant grandi à Dakar, il est, à 18 ans, envoyé à Marseille par son père, huissier à l’ambassade de France. «Gaulliste de la première heure, il souhaitait que je fasse l’armée française.» Ça coince.
«J’ai dit non et joué du système D. Cherché une voie. J’avais rien.» Pape fait des petits boulots. S’inscrit à Sciences-Po. Sans suite. Réussit un concours aux PTT. Y rencontre un inspecteur qui collabore à la Marseillaise, quotidien communiste. Il y rentre comme journaliste pigiste. Le basket, puis le foot. L’OM, dix ans de sa vie. Une référence.
«Ecriture originale, libre, il ne s’emmerdait pas avec les conventions. Les vraies infos sur l’OM, c’était lui», témoigne un ancien collègue. «Rigoureux, pointilleux, attentif, moral», dit un autre. Et engueulades régulières avec Tapie. «Un jour, rapporte Pape, je lui ai dit : « Tu es fascinant parce que tu arrives à faire croire à des gens que deux et deux font cinq, mais je ne t’admire pas. »» Ensuite, il intègre le quotidien le Sport, brève tentative de concurrence à l’Equipe.
«L’expérience la plus forte. N’eût été la disparition du journal un an plus tard, je serais encore journaliste.»
Quand le Sport arrête, «coup de bambou». Que faire ? Des joueurs africains devenus amis Basile Boli, Joseph-Antoine Bell lui demandent de «prendre leurs affaires en main».
«Les footballeurs africains se faisaient copieusement exploiter. Il fallait y mettre un terme», explique un journaliste. Pape : «Question existentielle : est-ce que j’allais quitter le journalisme pour entrer dans un milieu qui n’avait pas bonne presse ?» Il réfléchit un an. Puis se lance. Solennellement.
«Les principes des journalistes peuvent valoir pour d’autres métiers : le refus de la compromission, du mensonge. Le sens de la parole. Le courage d’aller au bout de ses idées.» Pape se crée une petite écurie, sur «la connivence ethnique» afro-antillaise. «Puis d’autres sont venus. La compétence n’a pas de couleur ou d’ethnie.»
Il a monté une société, petite structure à Marseille avec cinq personnes. L’argent circule dans le foot, il en prend sa part. Jeu de ballon, jeu de pognon, «depuis que j’ai commencé, on me dit « jusqu’où ça va aller ? » Mais si cet argent est dans le milieu, il est normal que ce soit les principaux acteurs du jeu qui le touchent.»
Pape n’oublie pas pour autant le Sénégal. Il rêve de créer là-bas avec l’OM une école de foot «qui ne tiendrait pas seulement compte du rendu sportif» mais assurerait une formation alternative (agriculture, élevage, gestion comptable, informatique…). Il y a lancé un fugace hebdo, le Sportif, un échec. «Ne pas être concerné par le Sénégal, c’est nier une partie de moi-même. L’intégration en France est un problème mal posé.
J’ai beau m’intégrer, épouser tous les tics locaux, il y aura toujours des gens pour qui je serai le Noir débarqué d’Afrique. Pourtant, je suis de Marseille, je parle comme eux, je supporte l’OM… Pareil pour mes enfants. Ils grandissent avec leurs copains blancs, et puis, à 18 ans, font un voyage, et se rendent compte qu’on regarde deux fois leur passeport, et pas celui du copain.»
Pape, pour se détendre, lit Maurice Duverger, de la science politique, c’est un garçon sérieux. Pour rester détendu, il évite de parler de l’OM et de ses déboires. Pape a 50 ans, quatre enfants, aucun n’est footballeur. Il connaît la réussite, mais son histoire, tout compte fait, est-elle un conte de fées ? «Dans ce métier d’agent, tu mets les mains dans la merde, explique un proche. Ensuite, il y a une loi du silence qui relie tous les acteurs.
Des secrets de famille. Ils ont tous croisé des histoires pas claires, qu’ils ont acceptées. A un moment, tu ne peux plus jouer au moraliste.» Pape se pose toujours des questions, songe à raccrocher, n’en dit rien. Il n’écrira pas son parcours : «Ou on écrit tout, ou on n’écrit rien.» Dommage.
PAPE DIOUF EN 6 DATES
1951 Naissance à Abéché (Tchad). Ses parents rejoignent Dakar.
1969 Débarque à Marseille.
1975 Devient pigiste à «la Marseillaise».
1977 Commence à écrire sur l’OM.
1987 Quitte «la Marseillaise» pour «l’Hebdo à Marseille», puis «le
Sport».
1990 Devient agent de joueurs.
Libération