Le sujet fait beaucoup jaser. La dizaine de cas d’effondrements d’immeubles enregistrés en Côte d’Ivoire de 2020 à ce jour inquiète les populations, et plus particulièrement les acteurs de la chaîne de construction. Dans cette interview accordée à L’Expression, Maître Liadé Mimi Georges, expert immobilier diplômé agréé près des tribunaux et cours d’Appel de Côte d’Ivoire, propose ses solutions pour endiguer le fléau.
En votre qualité d’expert immobilier diplômé agréé près des tribunaux et cours d’Appel de Côte d’Ivoire, quelles sont vos impressions lorsque vous avez échos des cas d’effondrements d’immeubles ?
C’est un sentiment de désolation. Dans un pays qui se veut émergent, l’on ne peut qu’être désolé voire choqué quand on assiste à la mort d’innocentes personnes dans des effondrements d’immeubles. Nous nous inclinons devant la mémoire des victimes. Mais au-delà, nous devons tirer des enseignements que l’on soit expert immobilier, citoyen lambda, responsable administratif, maître d’ouvrage. Cette situation nous enseigne qu’il faut confier à chacun le rôle qui est le sien. Si j’ai de l’argent pour bâtir, je dois faire confiance aux architectes, ingénieurs, sociétés de construction et tous les autres acteurs intervenant dans la chaîne de la construction.
Donc vous estimez que c’est la mise à l’écart des acteurs du bâtiment par les maîtres d’ouvrage qui occasionne ces incidents ?
Oui la faute incombe aux maîtres d’ouvrage ou propriétaires de bâtiments à construire. Généralement nous avons affaire à une caste de fortunés qui, pour réaliser un ouvrage donné, préfèrent se fier à leurs amis ou connaissances qui ont fait des études en bâtiment au lieu d’un architecte, habilité pour concevoir le plan, faire un appel d’offre aux entreprises outillées pour réaliser l’ouvrage. Voilà le nœud du problème. C’est la raison pour laquelle le phénomène est devenu récurrent.
Les fortunés dont vous parlez, sont-ils réellement les seules personnes à indexer dans cette affaire ?
Comment voulez-vous qu’on indexe une autre personne que les maîtres d’ouvrages ? Vous avez certainement l’œil tourné vers le ministère. Mais voici comment se déroule le processus. Quand vous voulez réaliser un projet immobilier, le ministère vous demande de vous procurer un permis de construire. C’est là l’outil de contrôle de l’administration pour la réalisation de bâtiments sur les terrains constructibles. Quand elle délivre un permis, cela veut dire que les dossiers que vous avez déposés sont conformes. Vous verrez sur les chantiers où il y a des effondrements que certains maitres d’ouvrage ne disposent pas d’un permis, si bien que les bâtiments ont été construits au mépris des règles élémentaires des normes de la construction : absence d’études de sol, mauvais dimensionnement des éléments de structures, etc. Si ces études n’ont pas été faites dans les règles de l’art, les maîtres d’ouvrage ne doivent s’en prendre qu’à eux-mêmes. L’intervention des professionnels du bâtiment, l’architecte, ingénieurs, entreprises de construction, experts assurant la maitrise d’œuvre des projets de construction est indispensable et salutaire pour éviter l’effondrement des immeubles dans l’avenir. Enfin, tous ces professionnels du bâtiment encourent une responsabilité civile professionnelle lorsqu’un ouvrage fait par ces derniers s’écroule ; c’est pour quoi les maitres d’ouvrage devraient confier leur sort à ces professionnels dans la réalisation de leurs projets.
« Un architecte qui intervient pleinement sur un ouvrage encourt une responsabilité décennale (10 ans) »
Mais il se trouve que les professionnels du bâtiment sont trop chers.
Moi que vous interrogez, je suis un professionnel de haut niveau. Je suis un expert immobilier agréé, tout comme les architectes, les urbanistes, les géomètres, les ingénieurs (…). Au-delà de nos objectifs financiers, nous sommes des humains, il y a des gens qui nous approchent et admettent qu’ils n’ont pas les frais de prestations que nous demandons. Mais qui plaident à l’aide. Il arrive parfois que nous fassions des remises à certaines personnes. En tout état de cause, il faut approcher les professionnels du bâtiment pour se faire conseiller et nous aider à solliciter les autres intervenants dans la construction à des tarifs forfaitaires. Il ne faut pas nous juger du haut de la tribune sans nous avoir sollicités.
En tant qu’expert immobilier agréé, à quel moment intervient votre expertise ?
Nous intervenons une fois que le bâtiment a été construit. Mais il peut arriver qu’un expert immobilier, face partir d’une équipe de maitrise d’œuvre, c’est-à-dire ceux qui surveille l’exécution d’un ouvrage : c’est la maîtrise d’œuvre. En France par exemple, les experts immobiliers font partie des équipes de maîtrise d’œuvre. Mais avant tout, l’expert immobilier fait l’audit ou le diagnostic d’un bien immobilier quand la construction est achevée. Les experts immobiliers sont généralement connus pour l’expertise ou l’étude technique descriptive d’un bien immobilier en vue de la détermination de sa valeur.
En tant qu’expert immobilier agréé, quelles solutions proposez-vous pour ne plus qu’on assiste à la survenue d’un cas d’effondrement d’immeuble ?
Je pense que le code de la construction est venu encadrer les relations entre les maîtres d’ouvrage et les professionnels de la construction. Le code de la construction et de l’habitat a tracé un cadre formel et les maîtres d’ouvrages devront s’en inspirer. Pour construire son ouvrage il faut une convention de construction avec une entreprise ou une entité. Si nous nous conformons au code de la construction et de l’habitat, nous allons éviter beaucoup de choses. En matière de matériaux de construction, il faut recourir aux professionnels. Un architecte, expert immobilier, ingénieur conseille, n’accepterons pas des matériaux de contrefaçon parce qu’il y va de leur responsabilité. C’est vrai, en bâtissant un ouvrage, il y a ce qu’on appelle l’économie de la construction. C’est-à-dire on utilise des matériaux pour gagner et ne pas trop dépenser. Mais on ne fait pas une économie au hasard pour ensuite voir sa maison détruite. On fait une économie en agissant dans les règles de l’art. Malheureusement les maîtres d’ouvrage qui sont pour la plupart des non-sachants dans le domaine du bâtiment sont beaucoup portés vers cette pratique. Par ailleurs, en plus de la délivrance du permis de construire, le ministère, les communes et le district devraient accentuer leurs contrôles sur le terrain pour le respect des normes de construction.
Comment se fait-il que les travaux se poursuivent sur certains chantiers pendant qu’il est inscrit A.D (à détruire) sur le(s) bâtiment(s) ?
Les gens font beaucoup d’amalgame à ce niveau. Si vous voyez A.D c’est une inscription qui émane du ministère des infrastructures économiques qui gère les grands projets de l’Etat avec le BNETD et qui dispose du répertoire de tous les sites des grands projets de l’Etat de Côte d’Ivoire (projets routiers, projets d’ouvrages d’assainissement, etc.). Dans ce cas, soit l’ouvrage est dans l’emprise du site d’un projet étatique, soit sur un domaine public et donc vous connaissez la suite lorsqu’il est marqué A.D. Pour ce qui concerne le permis de construire, le ministère de la construction par ses services du permis inscrit l’initiale P.C avec un point d’interrogation pour amener le maître d’ouvrage à régulariser sa situation. Ce sont deux situations d’interpellation. Sinon la norme voudrait que les travaux s’arrêtent une fois les inscriptions sont marquées.
Votre dernier appel à lancer aux maîtres d’ouvrages.
C’est une question de démarche de manière d’être qui distingue les hommes dans la vie en société. Ainsi la manière de faire distingue un propriétaire d’un autre. Les maîtres d’ouvrage doivent savoir que les grands professionnels du bâtiment sont à leur disposition pour parfaire leurs actions et non pour être au centre des préjugés. Qu’ils n’aient pas peur de les rencontrer car cela est important et généralement ces professionnels du bâtiment disposent d’un réseau de compétence pratiquant des prix défiants toute concurrence. Les professionnels du bâtiment sont pour eux des conseillers. Aussi dans les quartiers, il faut étendre l’action du gouvernement en mettant à contribution les riverains pour interpeller les maîtres d’ouvrages quant à l’utilisation des matériaux de qualité et au recours aux professionnels du bâtiment.
Réalisée par Isaac Krouman