Doumbia Amidou n’a que 19 ans. Rapatrié de Libye avec beaucoup de ses compatriotes grâce au président Alassane Ouattara, il y a, à peu près quatre mois, larmes aux yeux, il revient, dans un entretien exclusif, à L’Expression, sur ce qu’il a vécu avec ses amis dans l’enfer tunisien et libyen sur la route de « l’eldorado européen ». Témoignages émouvants d’un mineur…
A l’entame de la conversation, vendredi nuit, le jeunot éclate en sanglots en se rappelant son séjour en Tunisie et en Libye. Lui, qui, milieu de terrain, dans un centre de formation de football de la capitale, a mordu à un hameçon. Celui d’avoir une carrière professionnelle brillante en Europe. C’était à l’entame du mois de Ramadan de 2017, lorsque Ahmed Fofana, coursier d’une dame que nous appellerons N’Mah, lui fait miroiter des choses. Le gamin est intéressé par l’affaire. « Je suis allé en Tunisie grâce à une femme, une vieille mère.
Il y a un gars à Dioulabougou du nom d’Ahmed Fofana qui travaille avec cette vieille mère. Comme je suis footballeur, il m’a convaincu qu’en Tunisie, il y a du bon football là-bas. Je lui ai dit que moi, je joue au football mais que je me débrouille dans une boulangerie à Yamoussoukro à la gare routière. J’avais fait un peu d’économie. Ma maman vit à Abidjan. Quand je suis allé expliquer cela à ma maman à Abidjan, elle m’a répondu qu’il n’y a aucun problème », relate-t-il. Obsédé par une carrière de footballeur professionnel, il arrive à convaincre sa maman.
« Elle m’a demandé si c’était un bon réseau ? Je lui ai rétorqué que le gars qui est en Tunisie (A. Koné), vient de Yamoussoukro, et que nous le connaissions. Quand il vient ici (Yamoussoukro), il nous dit que lui, il joue au foot là-bas. Comme il est de Yamoussoukro comme nous, on ne pense pas qu’il puisse nous mentir. Donc, j’ai rassuré ma maman. Donc, deux autres copains Mory Sylla et Alassane Sylla, et moi sommes allés à Abidjan. Nous sommes, à trois, allés faire nos passeports à Abidjan avec la vieille mère N’Mah qui habite le quartier ‘’Bingo’’ à Dioulabougou ici à Yamoussoukro. Elle fait trafic donc.
Elle envoie même des migrants en Libye. Elle coordonne les activités avec son correspondant en Tunisie. Elle nous a dit que Tunisie est à côté de France. Elle m’a fait rêver. Ahmed Fofana qui travaille avec la vieille mère N’Mah nous a accompagnés à l’aéroport. Il nous a expliqué que pour aller en Tunisie, c’est 1 million de Fcfa. On s’est rendu compte après que ce n’était pas 1 million. Il a pris 1 million avec chacun de nos parents. Cela faisait 3 millions pour nous 3. On s’est rendu compte après que quitter la Côte d’Ivoire pour la Tunisie, le billet d’avion coûte seulement 200.000 Fcfa », se sont-ils rendu compte.
Yamoussoukro, un autre épicentre de l’émigration clandestine
Mais, c’est à l’aéroport de Tunis que les trois aventuriers auront un avant-goût de ‘’L’Aventure ambigüe’’ qui les attendait. « Quand on est rentré à Tunis, on est allé dans notre quartier. Quand Dieu a fait qu’on a pu arriver, nous étions trois. Mais, nous avons été arrêtés à l’aéroport de Tunis par la police. Le correspondant en Tunisie, le nommé A. Koné, devait venir nous chercher. Il est venu mais chez les Tunisiens, il faut que tu aies au moins 500 euros pour accéder à leur territoire. Ce que nous avions ne valait même pas 100 euros.
Ahmed Fofana, à l’aéroport d’Abidjan, nous a simplement dit que si on arrive à l’aéroport, et qu’on nous demande combien nous avons sur nous, de leur répondre 500 euros. C’est ce qu’on fait. Mais, comme, ils nous ont vus jeunes, ils ont voulu s’assurer qu’on avait effectivement cette somme. Donc, on passait un à un pour présenter la somme qu’on avait sur nous avant qu’on appose le cachet sur notre passeport.
Moi, j’avais moins de 40 euros. Ils ont dit que ce n’est pas normal parce qu’officiellement, on devait faire une semaine en Tunisie et on devait dormir dans des hôtels. Avec 500 euros, ça réglait le problème. Mais comme on n’avait pas cette somme, les policiers de l’aéroport nous ont arrêtés ! Notre correspondant (A. Koné) qui devait venir nous chercher, on ne l’a même pas vu. De 6H jusqu’à 12H, on passait notre temps à prier. Le plus âgé d’entre nous s’appelait Ladji Mori. Comme il avait suffisamment d’argent, il a pu sortir de l’aéroport.
Donc, nous sommes restés deux seulement. Par miracle, quand on a pu sortir pour rejoindre notre correspondant, c’est là-bas qu’on a trouvé un de nos amis Sylla Raï », se souvient-il. Puis, de faire d’autres précisions : « Quand on est sorti de l’aéroport, Dieu a fait qu’on a rencontré un noir dans les rues de Tunis. Après avoir échangé avec lui, il nous a donné son numéro de téléphone et nous avons appelé Ahmed Fofana en Côte d’Ivoire parce que nous n’avions pas le numéro de notre correspondant. C’est ainsi que lui a appelé A. Koné à Tunis pour venir nous chercher.
Nous sommes allés chez lui et on a trouvé Sylla Raï que nous connaissions très bien à Yamoussoukro. Tout ce qui était sur nous, A. Koné a tout pris. Il a fait un coup avec un autre Ivoirien vivant en Tunisie pour dire que nous sommes sortis de l’aéroport grâce à ce dernier. Que celui-ci a un ami policier à l’aéroport de Tunis et que c’est avec ce dernier qu’il a négocié notre libération de l’aéroport. Il a demandé à nous deux de payer chacun 100 000 Fcfa parce qu’il a donné 200 000 Fcfa au policier. Donc, on devait rembourser cette somme.
Il a aussi ajouté qu’il peut nous faire partir en Libye. Pourtant, il ne connaît rien dans ce domaine. On était encore obligé d’appeler nos parents à Abidjan pour qu’ils nous apportent un peu d’argent. Pour manger, c’était difficile parce qu’on était nombreux dans la chambre. Nous étions au total 12 venus de la Côte d’Ivoire. ».
Les ‘’négriers’’ usent de tous les moyens pour se faire de l’argent
Leurs conditions difficiles de vie en Tunisie les obligent à changer de destination pour la Libye avec pour objectif l’Italie. Ce n’est que le début d’un autre calvaire fait d’exploitation et de souffrance. « Comme nous avons trouvé que la Tunisie était difficile, on a tous voulu aller en Libye pour traverser la mer. Mes parents m’ont envoyé 600 000 Fcfa. (…), les parents de mon camarade lui ont envoyé 650 000Fcfa. (…). Le jour où nous partions en Libye, c’était un jour du mois de Ramadan 2017. A. Koné, notre correspondant à Tunis, nous a demandé d’aller nous laver. Or, en réalité, pendant qu’on se lavait, il a soustrait quelques sommes dans notre argent et il a mis le reste dans une enveloppe en insistant pour qu’on ne l’ouvre pas. Il a remis cette enveloppe à mon frère qui était plus âgé que moi. Or, ce qu’on ignorait, c’est qu’il venait de nous vendre ainsi à quelqu’un d’autre. (…).
Il n’y avait seulement que 100 000 Fcfa dans l’enveloppe pour nous deux. A la frontière entre la Tunisie et la Libye, quand celui qui devait nous faire traverser a vu le contenu de l’enveloppe, il nous a dit que notre argent n’est pas suffisant. Ce dernier est allé nous vendre en Libye. Celui à qui il nous a vendus a appelé A. Koné en Tunisie pour déplorer son attitude. A. Koné répond pour dire qu’il nous a donnés l’argent au complet et que c’est certainement nous-mêmes qui avons camouflé l’argent. (…). Malgré tout, on a pu embarquer à bord d’un Zodiac pour l’Italie mais qui s’est brisé en mer. Nous étions 180 personnes à bord.
« Je ne sais pas par quel miracle je me suis retrouvé sur la berge. Quand, j’ai pris conscience, je me retrouvais dans une prison en Libye », a-t-il dit entre deux sanglots. « Nous avons fait 9 mois de prison. Notre correspondant en Tunisie (A. Koné), selon ce qu’on nous a dit, priait pour que nous mourions en mer pour ne pas qu’on ait à le dénoncer », rapporte-t-il. C’est le dernier rapatriement initié par le président de la République, précise-t-il, qui nous a permis de retourner au pays.
« Je suis revenu avec Alassane Sylla mais le 3ème Sylla Mori, nous n’avons aucune nouvelle de lui », regrette-t-il encore avec les yeux embués de larmes. Il invite tous ses compatriotes à ne pas emprunter ce chemin. Ce qui est considéré comme un « eldorado » est un véritable enfer sur terre, avoue-t-il. Il appelle les autorités à neutraliser tous les négriers des temps modernes qui prospèrent en Côte d’Ivoire en se disant disposer à fournir des informations sur cette filière dans la capitale politique ivoirienne.
Traoré Yacouba Diarra