L’audience reprend, le couperet est tombé.
Damien T. est reconnu coupable de «violences sans incapacité sur personne dépositaire de l’autorité publique» pour avoir giflé Emmanuel Macron mardi. Il a été condamné à dix-huit mois de prison, dont quatre ferme, avec une probation de deux ans. Il reçoit également l’obligation de recevoir des soins psychologiques et l’interdiction de détenir des armes pendant cinq ans. Il est en outre privé pendant trois ans de ses droits familiaux, civils et civiques, et de manière définitive de la possibilité d’exercer des fonctions publiques. Il a dix jours pour faire appel.
Damien T., «un militant dans le respect», selon son avocate.
La défense réfute la préméditation et rappelle qu’il s’agit d’un «jeune homme totalement inconnu de la justice, un militant actif pourtant, mais un militant dans le respect». «Il a pris conscience de la gravité des faits, de l’impact qu’ils ont pu avoir, on peut être sûrs qu’il ne les reproduira pas», déclare Me Elodie Guellier, avant de conclure : «Je vous demande de le sanctionner mais de ne pas l’incarcérer.» Fin de la plaidoirie, tout le monde sort.
C’est au tour de l’avocate de la défense, Me Elodie Guellier, de plaider.
Elle commence par dénoncer l’emballement général. «Ce procès a déjà eu lieu dans la presse, il faut distinguer le temps de la justice et le temps des médias.» Et d’expliquer qu’elle est harcelée par les journalistes depuis deux jours «jusque devant chez elle», tout comme l’entourage de Damien T., qui «vit un enfer».
Et le procureur d’enfoncer le clou.
Au-delà de la gifle, c’est le coup symbolique porté à la République qu’il dénonce : «Il n’y a pas d’ITT mais c’est un acte violent, parfaitement inadmissible par rapport à l’institution qu’est la présidence de la République, il y a clairement la volonté de l’humilier, de la rabaisser.» Il requiert dix-huit mois de prison ferme, l’interdiction définitive d’exercer des fonctions publiques, cinq ans de privation d’exercice des droits civils et civiques, mais aussi d’interdiction de détenir des armes. «Il faut une peine forte, significative et qui protège les institutions», affirme-t-il.
Retour au calme. Le procureur de la République de Valence, Alex Perrin, commence sa réquisition.
«Il y a une volonté de ne pas banaliser ces faits-là, nous n’avons pas intérêt à banaliser ces violences verbales, physiques, qui plus est commises à l’encontre du président de la République», assène-t-il d’une voix grave.
Un homme se présente, il souhaite se porter partie civile à la dernière minute.
Il s’appelle Stéphane Espic, il est un militant gilet jaune. Vêtu d’un blouson en cuir blanc, l’homme se présente comme étant candidat aux élections départementales et régionales en Haute-Savoie, en tête de la liste «Union essentielle». Il demande «1 euro de dommages et intérêts» pour «promouvoir la parole plutôt que la violence gratuite». Une tension s’installe dans la salle d’audience, les forces de l’ordre s’approchent. La présidente l’interrompt et rejette sa constitution en partie civile. «Ce n’est pas une tribune monsieur», tance-t-elle.
La présidente du tribunal enchaîne avec l’examen de la personnalité du prévenu.
Damien T. est fils unique, il toujours vécu à Saint-Vallier, dans la Drôme. Titulaire d’un baccalauréat scientifique, il a rencontré des difficultés scolaires liées à sa dyslexie et sa dysorthographie. Il a poursuivi une formation de maître cérémonie dans les pompes funèbres mais a échoué au concours pour devenir thanatopracteur. Après le décès de son père il y a sept ans, il travaille quelque temps comme intérimaire puis décide de partir au Japon pendant deux mois. Un «voyage» marquant dans sa vie, le pays le «passionne». Depuis son retour, il y a deux ans, il n’a pas eu d’emploi. Il a malgré tout créé trois associations liées à ses centres d’intérêt, le Moyen Age, les arts martiaux et le Japon. Aujourd’hui, il vit grâce au revenu de solidarité active (RSA) et à l’allocation adulte handicapée de sa compagne, qui est malvoyante. Lors de la perquisition de son domicile, les enquêteurs n’ont procédé à aucune saisie.
«Je pense pouvoir dire que l’acte est regrettable»,
concède Damien T. L’homme de 28 ans n’était pas connu des services de police avant d’être mis en cause mardi dans l’agression physique du président de la République à Tain-l’Hermitage (Drôme). Il affirme que ça «ne se reproduira plus», souligne qu’il en «comprend les conséquences» dans «sa vie personnelle et par rapport aux médias».
Damien T. parle d’une voix très posée, prend le temps de peser méticuleusement ses mots.
Avec beaucoup de calme, il détaille les motivations de son geste à l’égard du président de la République : «Je ne l’apprécie pas. Quand j’ai vu son regard tout à fait sympathique et menteur, qui voulait faire de moi un de ses électeurs, j’ai été empli de dégoût.» Il ajoute qu’il aurait «eu du mal à rentrer» chez lui «tête haute» en se disant «j’ai juste serré la main d’Emmanuel Macron». Il reconnaît une réaction «impulsive» et «violente», tout en affirmant : «Je pense que mes paroles auraient eu moins d’impact à la fois sur Emmanuel Macron, et sur les Gilets jaunes et les patriotes.»
«Quel commentaire avez-vous à faire ?» introduit la présidente du tribunal
après la rediffusion de la vidéo. «Je découvre les images en même temps que vous. Dans mon souvenir, il ne me semblait pas que je lui prenais le bras», répond Damien T. La magistrate poursuit en lui demandant de «décortiquer» son geste. Le prévenu raconte qu’il a vu le président de la République «arriver de loin» et «se diriger vers [lui]», le «regarder pour prendre contact», peut-être lui «serrer la main». «Quand il est arrivé en face de moi, je dis “Saint-Denis Montjoie, à bas la macronie !”» et je le gifle. «Comment qualifiez-vous la gifle ?» l’interroge la juge. Réponse nette : «Plutôt violente.»
L’audience commence.
La salle d’audience du tribunal correctionnel est pleine à craquer. Une quinzaine de journalistes sont venus assister à l’épilogue de «l’affaire de la gifle». Damien T. est là, ses cheveux bruns lâchés sur ses épaules. Il porte le même attirail – tee-shirt vert et lunettes – que sur la vidéo. Il accepte d’être jugé immédiatement. Sur des écrans télés installés aux murs, les images de l’agression d’Emmanuel Macron repassent, au ralenti.
Il a un gros faible pour «l’histoire médiévale, les arts martiaux et les jeux vidéo»,
et a même fondé deux associations pour assouvir ses passions. Sa biographie aurait pu s’arrêter là. Un garçon sans histoire, inconnu des services de police, «proche de la mouvance des gilets jaunes» et des idées «de droite, et d’ultradroite», sans être pour autant un militant. Depuis mardi, il est aussi l’auteur présumé de la gifle infligée à Emmanuel Macron, lors d’un déplacement à Tain-l’Hermitage (Drôme), un village de la région. Il a ensuite crié un slogan de guerre royaliste, réactualisé au goût du jour : «Montjoie Saint Denis ! A bas la macronie». Pour ces faits, Damien T. doit être jugé ce jeudi en début d’après-midi au tribunal judiciaire de Valence en comparution immédiate pour «violences sans incapacité sur personne dépositaire de l’autorité publique», a indiqué mercredi soir le procureur de la République Alex Perrin, dans un communiqué.
Lors de sa garde à vue, Damien T. a reconnu son geste et admet avoir «prononcé des paroles dénonçant la politique».
Pour autant, il a assuré avoir «agi d’instinct» et «sans réfléchir», une manière peu courtoise et très médiatique «d’exprimer son mécontentement», a précisé Alex Perrin. Damien T., «en couple, sans enfant, sans profession», risque jusqu’à trois ans de prison et 45 000 euros d’amende.
Le deuxième homme interpellé, Arthur C., «a pu expliquer sa présence sur les lieux sans pour autant participer à l’agression», a précisé le procureur. Agé de 28 ans, ami de Damien, «célibataire, sans enfant, intérimaire», il est lui aussi «inconnu des services de police» et a simplement filmé la scène. A son domicile, les enquêteurs ont retrouvé des armes et «des livres anciens sur l’art de la guerre et Mein Kampf ainsi qu’un drapeau à fond rouge avec faucille et marteau jaune et un drapeau de la révolution russe». Il sera simplement convoqué «à la fin du deuxième semestre 2022 pour répondre des infractions en lien avec les armes détenues illégalement».
Que risque-t-on à gifler un président ?
A deux heures du début de l’audience, plusieurs dizaines de journalistes attendaient aux abords du tribunal judiciaire de Valence. L’accès au bâtiment ne leur sera pas autorisé avant 13 h 15.
Saint Cyrille avec Libe