(…) L’Eglise, notre Eglise est en deuil ! Le 31 décembre 2022, une double page de l’histoire de notre humanité s’est fermée ! En effet, ce jour-là, alors que le monde entier se préparait à accueillir la nouvelle année et que s’ouvrait l’heure des échanges de vœux pour l’année 2023, la nouvelle brusque et inattendue du rappel à Dieu de notre bien-aimé Pape émérite Benoît XVI, a retenti : d’abord comme une rumeur pour certains ! Ensuite comme une certitude pour tous ! Benoît XVI venait de rejoindre la maison du Père éternel ! L’homme, nous le savions avancé en âge, malade et très affaibli, mais nous espérions qu’il continuerait de veiller sur l’Eglise depuis sa retraite, où il ne manquait certainement pas, de prier pour elle et pour monde !
Assurément, c’est une énorme perte, tant pour l’Eglise que pour notre humanité, dont nous devons faire face désormais ! Un passionné de Dieu et des hommes vient de s’en aller ! Un intellectuel hors pair vient de ranger sa plume ! L’ami, le frère, le professeur, le théologien, l’érudit ne parlera plus jamais et si nous voulons l’entendre, il nous faudra relire ses nombreux écrits ! Mais, plutôt que ressasser le souvenir de celui qui aura été le Pasteur Suprême de l’Eglise catholique durant huit (8) années, de 2005 à 2013, ne faut-il pas voir dans son absence, un signe pour notre monde ?
En ces instants, il m’est venu à l’esprit, le message-testament que notre vénéré Pape émérite a adressé à l’Archidiocèse de Munich le 8 février 2022. Je le cite : ‘‘Bientôt, je serai face au juge ultime de ma vie. Bien que, regardant en arrière ma longue vie, je puisse avoir beaucoup de motifs de frayeur et de peur, mon cœur reste joyeux parce que je crois fermement que le Seigneur n’est pas seulement le juge juste mais, en même temps, l’ami et le frère qui a déjà souffert lui-même mes manquements et qui, en tant que juge, est en même temps mon avocat (Paraclet).
À l’approche de l’heure du jugement, la grâce d’être chrétien me devient toujours plus claire. Être chrétien me donne la connaissance, bien plus, l’amitié avec le juge de ma vie et me permet de traverser avec confiance la porte obscure de la mort. À ce propos, me revient sans cesse à l’esprit ce que Jean rapporte au début de l’Apocalypse : il voit le Fils de l’homme dans toute sa grandeur et tombe à ses pieds comme mort. Mais Lui, posant sur lui sa main droite, lui dit : “Ne crains pas ! C’est moi … ” Fin de citation.
Excellences,
Frères et sœurs,
De Benoît XVI, l’on peut dire beaucoup de choses et écrire à souhait ! Mais, à entendre les propos que je viens de citer, on ne peut rester de marbre face à la très grande lucidité mais aussi à la sérénité qui habitait celui pour qui nous sommes réunis ce soir et pour qui est célébré cette messe de suffrage ! Lucidité de celui qui sentant ses forces l’abandonner, avait un jour de l’année 2013, surpris le monde entier par la renonciation à sa charge de Pasteur Suprême de l’Eglise universelle ! Cette même lucidité, il la gardera jusqu’à affirmer, il y a moins d’une année que, ‘‘bientôt, il sera face au juge ultime de sa vie’’, ce que beaucoup veulent ignorer de nos jours ! Cette lucidité, c’est celle qui manque aujourd’hui encore à beaucoup de personnes qui oublient ou feignent d’oublier que lorsque l’on a épuisé son utilité, la joyeuse acceptation de notre inutilité est un service grandiose ! Enfin, cette lucidité nous enseigne à tous qu’il faut savoir partir car les éternels permanents finissent un jour ou l’autre par agacer !
Sérénité également de l’homme qui entrevoit sa fin, sa mort non, pas comme un anéantissement, mais bien comme une rencontre avec l’ami et le frère qui a déjà souffert lui-même nos manquements et qui, en tant que juge, est en même temps notre avocat (Paraclet).
Excellences,
Frères et sœurs,
Imagine-t-on quelqu’un qui ait peur de son ami, de son frère qui plus est avocat ? Cette sérénité, c’est également celle qui doit habiter le cœur des hommes de notre temps, si enclins à vouloir riposter à tout et pour n’importe quel motif, fut-il le fait le plus banal ! De tout cela, il nous faut finalement faire acte de foi, car c’est la confiance et rien que la confiance qui permet d’engager une vie à la suite de Jésus-Christ pour relever les défis qui se présentent à vous !
Dans l’évangile de ce jour, l’évangéliste Marc, nous fait remarquer que Jésus, après avoir regagné en barque l’autre rive, une grande foule s’assembla autour de Lui. Il était au bord du lac et là, sur la terre ferme, il va manifester une fois encore que jamais, la mort n’aura le dernier mot sur la vie même s’ils sont divers et variés les obstacles à la foi ! Dans cette même page d’évangile, l’on peut relever trois obstacles : la mentalité des hommes, la foule et la honte de cette femme.
Il est bon de souligner que dans la mentalité juive de cette époque, cette femme était considérée comme impure selon la loi de Moïse (cf. Lv15, 25). Par ailleurs, en touchant les vêtements de Jésus, elle fait quelque chose d’interdit. Enfin, si la foule savait, tout le monde s’écarterait d’elle avec horreur et c’est ainsi que nous vivons trop souvent, non pas pour Dieu mais pour les autres ! Avoir la foi est donc nécessaire pour affronter les épreuves de la vie et éviter ainsi de sombrer !
Mais, avoir la foi, c’est pouvoir s’abandonner totalement entre les mains du Seigneur qui seul peut conduire la destinée de notre barque sur la mer agitée de ce monde qui veut se réaliser sans Dieu ainsi que les vents contraires auxquels nous sommes confrontés, pour ne pas sombrer. Ainsi, si avoir la foi, c’est connaître le Christ, celui qui l’a connu a conscience d’être devenu en lui une créature nouvelle. Il peut et doit alors mettre le Christ au centre de toute sa vie, en fixant son regard sur le monde nouveau qui, un jour, se révèlera en pleine lumière.
Par ailleurs, vous aurez constaté que la présence de la foule n’a pas empêché la femme de toucher le Christ. Ici, l’invitation est claire : il nous faut passer sur l’autre rive. En effet, le grand calme du lac après les paroles du Christ, pourrait nous faire rêver d’une vie tranquille où Dieu interviendrait constamment au niveau des causes naturelles pour nous éviter les épreuves, la mort. En fait, le Christ nous invite à purifier notre foi dans les épreuves de la vie : en passant par le sommeil de la mort, Jésus nous délivre des puissances infernales et mortifères. En tout état de cause, ce n’est que la foi en Jésus Christ mort et ressuscité, qui apaise véritablement nos tempêtes.
L’invitation à aller sur l’autre rive nous révèle que le salut auquel nous croyons ne nous fait pas échapper, par miracle et de façon privilégiée aux souffrances inhérentes à notre nature humaine. La certitude de la puissance du Christ ne l’aura pas empêché de passer lui-même par le sommeil du tombeau. C’est en passant nous aussi par l’épreuve que nous passerons sur l’autre rive. C’est en comprenant le départ de notre bien-aimé Pape émérite Benoît XVI comme un rendez-vous d’amour avec son Maître et Seigneur, que nous lui rendrons le meilleur des hommages !
Dans la Bible, l’histoire de la tempête apaisée, de même que celle de la maison bâtit sur le roc, nous révèlent que le disciple du Christ traversera presque toujours des épreuves tout comme nous aujourd’hui avec le rappel à Dieu de notre Bien-aimé Pape émérite Benoît XVI, d’affectueuse mémoire. Mais Jésus est là avec nous dans nos épreuves !
Excellences,
Frères et sœurs,
Si le rappel à Dieu du Pape émérite Benoît XVI est une épreuve, nous devons comprendre que c’est au moment de la tempête que Dieu sonde notre foi, qu’Il éprouve la réalité de notre confiance. Comme il est facile de suivre le Seigneur dans l’exaltation de participer à un monde nouveau, et quand Il manifeste sa puissance ! Mais, hier comme aujourd’hui, le Seigneur a besoin de disciples sur qui Il puisse compter ! En vérité, Il nous veut inébranlables dans la foi et nous éduque pour que nous n’ayons d’autre appui que Lui et Lui seul dans nos épreuves !
C’est bien ce qu’affirmait d’une certaine manière notre bien-aimé Pape émérite Benoît XVI dans le même message-testament que j’ai cité plus haut : ‘‘je comprends de plus en plus la répugnance et la peur que le Christ a ressenti sur le Mont des Oliviers, quand il a vu tout ce qu’il allait devoir surmonter intérieurement. Que les disciples dorment à ce moment-là, représente malheureusement la situation qui, aujourd’hui encore, se reproduit, et par laquelle je me sens aussi interpellé. Ainsi, je ne peux que prier le Seigneur, les anges et tous les saints et vous aussi, chères sœurs et frères, de prier pour moi le Seigneur notre Dieu.’’
Dès lors, les chrétiens ainsi que les hommes de foi que nous sommes, devons comprendre que c’est à l’heure où le Seigneur semble dormir, où la tempête est sur le point de nous engloutir, où nous ne pouvons plus rien contrôler et semblons éprouver le silence de Dieu, qu’Il attend justement de nous, de faire acte de foi, parce que Lui, veut nous enraciner dans la certitude qu’Il tient le monde dans ses mains et que toutes choses Lui sont soumises !
Excellences,
Frères et sœurs,
Rendons grâce Dieu pour sa présence inlassable à nos côtés. Disons-lui merci pour le don de son bien-aimé Serviteur Benoît XVI qu’il nous a donné pour conduire et guider son Eglise ! Enfin, supplions-Le pour que sa rencontre avec Celui qu’il considérait comme non seulement le juge juste mais, en même temps, l’ami et le frère, soit des retrouvailles joyeuses ! Puisse-t-il s’entendre dire à lui : Joseph ! Ne crains pas ! C’est moi ! Requiescat In Pace !
+ Jean Pierre Cardinal KUTWÃ
Archevêque d’Abidjan