Le ministre gouverneur Cissé Bacongo a accordé une interview au quotidien quotidien Fraternité Matin, N° 18 100, de ce mercredi 30 avril 2025, sur l’actualité socio-politique en Côte d’Ivoire. Nous vous proposons l’intégralité.
Fraternité Matin: L’actualité socio-politique a été marquée par plusieurs faits récents que vous avez commentés, notamment la fête de la Renaissance à Dabou, le comité central du FPI, ainsi que la radiation de Monsieur Thiam. Mais avant d’évoquer tout cela, on observe le dynamisme du RHDP sur le terrain. Après plusieurs réunions, vous-mêmes étiez à Yamoussoukro, puis à Koumassi le week-end dernier. Qu’est-ce qui vous fait bouger ?
Cissé Ibrahima Bacongo : L’élection présidentielle aura lieu dans six mois, soit précisément le 25 octobre 2025. Au regard des événements qui ont émaillé l’élection présidentielle d’octobre 2020, du fait de l’attitude insurrectionnelle de l’opposition, le RHDP a décidé de prendre des dispositions, en particulier en se réorganisant et en se renforçant sur le terrain.
Ce qui nous fait courrir ou bouger, c’est la volonté de gagner au premier tour de l’élection présidentielle d’octobre 2025.
Pendant ce temps, les adversaires, qui sont sans programmes ni arguments convaincants, n’arrêtent pas d’ameuter l’opinion sur des sujets qui ne devraient pas faire l’objet de polémiques.
On peut citer, par exemple, les critiques non fondées contre la CEI. C’est cette CEI qui a pourtant organisé, en 2021, les élections législatives qu’ils avaient voulu remporter et pour lesquelles ils ont obtenu de nombreux sièges. Elle a également organisé les élections municipales et régionales de 2023. Le RHDP ne court pas, il travaille pour une victoire démocratique dans les urnes au soir du 25 octobre 2025. Il ne prépare ni marches, ni troubles, encore moins des plans funestes devant conduire à la mise en place d’organes de transition comme le tristement célèbre CNT, dont certains sont encore nostalgiques.
FratMat: Quel est votre regard sur l’interprétation de l’article 48 du Code de la nationalité ivoirienne, notamment à la lumière des arguments avancés par les avocats et partisans de Tidjane Thiam ?
CIB: Ce que Monsieur le directeur des affaires civiles et pénitentiaires a dit a été bien dit. Je renvoie les Ivoiriens et les Ivoiriennes à ses propos. Ce que le porte-parole de notre parti, le RHDP, a dit a également été bien dit. Il y a aussi le porte-parole du gouvernement qui s’est prononcé. J’ai donné mon point de vue à Yamoussoukro et à Koumassi. Nous disons la même chose, chacun avec ses mots et son style : ce n’est pas une affaire du RHDP. C’est une question de justice et de droit. C’est une application de la loi. Le débat se poursuit et peut se poursuivre, mais la loi n’a pas été votée par le RHDP : elle a été adoptée depuis 1961 sous l’exercice du pouvoir d’État par le président Félix Houphouët-Boigny. Les arguments des avocats de monsieur Thiam sont que la juge est incompétente, car il s’agit d’une question préjudicielle. De plus, ils affirment que Monsieur Tidjane Cheick Thiam est français par filiation et de naissance, donc non concerné. Il se trouve qu’ils n’ont pas été en mesure de prouver, selon la justice, qu’il est français de naissance, d’autant plus qu’il a bénéficié d’une naturalisation, étant majeur, une naturalisation qu’il n’aurait pas demandée selon eux, mais qu’il a acceptée. Pourtant, il pouvait ne pas l’accepter, ou encore exiger ultérieurement d’être reconnu comme Français de naissance, ou par filiation, tout comme il est Ivoirien par filiation, sans qu’il ait besoin d’être naturalisé ivoirien par surabondance. Cela n’est pas possible.
Fratmat: Pourquoi, selon vous, le PDCI-RDA insiste-t-il pour faire croire que la radiation de Tidjane Thiam équivaut à une remise en cause de son ivoirité, ou plutôt de sa nationalité ivoirienne d’origine ?
CIB: Est-ce à moi de dire pourquoi ? Cela les arrange de jouer la thématique de l’exclusion et de la persécution. Ils se fondent sur le cas du président Alassane Ouattara, qui a été victime de ces situations avant de devenir président. Ils espèrent nous complexer en suggérant que le président Ouattara, ayant été lui-même victime de la remise en cause de sa nationalité, reproduirait des schémas identiques. Pourtant, ils disent eux-mêmes que le parcours de Monsieur Thiam est différent de celui du président Alassane Ouattara. En même temps, ils tentent de rappeler le parcours du président de la République pour le comparer à celui de Monsieur Thiam. Le RHDP n’a aucun complexe. La justice a fait son travail. Ce n’est pas le RHDP qui a pris une décision contre Monsieur Thiam, qui est victime de ses propres turpitudes. Retenons que personne n’a remis en cause la nationalité de Monsieur Thiam.
Fratmat: Comment réagissez-vous aux propos de militants du PDCI-RDA qui, en réaction, traitent des militants et dirigeants du RHDP d’étrangers ?
CIB: Cette affaire trahit les pensées profondes des uns et des autres. Ils disent haut et fort ce qu’ils pensent réellement. Personne n’a dit que Monsieur Thiam est étranger ou n’est pas Ivoirien. Eux, ils dénient quotidiennement la nationalité ivoirienne à des citoyens. Un de leur avocat parle de deux ou trois millions d’étrangers sur la liste électorale, et le Pdci soutient ceux qui disent qu’il y a 6,2 millions d’irrégularités sur la liste électorale. Tout le temps, ce sont eux qui affirment à tort que des gens ne sont pas Ivoiriens, que la nationalité ivoirienne est bradée. Ils dévoilent ce qu’ils sont réellement et tentent désespérément, mais en vain, de faire passer notre parti pour ce qu’il n’est pas. La haine de l’autre, ivoirien ou non, de son propre frère ivoirien, on sait de quel côté cela se trouve, mais certainement pas au RHDP. En voici une preuve avec ces propos graves diffusés en boucle.
Fratmat: La contestation de nationalité était-elle vraiment au cœur du contentieux électoral ou n’était-elle qu’un moyen juridique utilisé par les avocats des plaignants ?
CIB: Un moyen selon la justice. Un moyen selon les plaignants et leurs avocats. Selon moi également, c’est un moyen. Il s’agit de la mise en œuvre des dispositions du Code électoral. D’ailleurs, pour ce qui conduit à la question de la nationalité abordée en principale ou en dehors de la loi électorale, la justice a sollicité le ministère public, conformément au Code de la nationalité ivoirienne. Pour rappel, à ceux qui évoquent des contributions antérieures (je salue au passage la courtoisie de Maître Dadjé, qui a cité mes écrits pour tenter d’établir une jurisprudence, en signalant qu’il me considère comme un éminent juriste), sachez que, par exemple, en 2000, le juge constitutionnel avait traité de la nationalité du président Alassane Ouattara… comme le Conseil constitutionnel l’a fait en 2021 pour les législatives. Nous n’étions assurément pas d’accord en 2000, mais voyez-vous, la décision s’est imposée à nous. Tout comme elle s’est imposée en 2011 à Monsieur Tioté. Le Code électoral relativement au contentieux sur la liste électorale se déploie en autonomie, pourvu qu’il ne soit pas contraire à la Constitution. C’est une loi qui n’a jamais été contestée et ses dispositions sont connues de toutes les parties.
Fratmat: Dans le dossier Thiam, le certificat de nationalité ivoirienne présenté a-t-il encore une valeur probante après la découverte de sa naturalisation française en 1987 ?
CIB: Monsieur Tidjane Thiam pourra assurément établir un certificat de nationalité ivoirienne conforme à sa nouvelle situation, après s’être libéré de son allégeance à la France, à la nationalité française. La justice a estimé, pour l’heure, que le certificat établi alors qu’il était français – sans l’être de naissance ou par filiation – n’est pas recevable pour une inscription sur la liste électorale en décembre 2022. Elle n’a pas dit ce que les gens veulent lui faire dire.
Fratmat: Les avocats de Monsieur Thiam évoquent la possibilité d’un recours. Peut-on réellement contester cette décision, alors même que la perte de nationalité est automatique selon l’article 48 du Code de la nationalité, et que la décision du juge en matière de contentieux électoral n’est pas susceptible de recours ?
CIB: Au-delà de ce que j’ai déjà dit, je rappelle que c’est vrai que je suis juriste de formation et enseignant en droit ; c’est aussi vrai que Monsieur Dadjé Rodrigue a dit que je suis un éminent juriste, cependant, je préfère laisser l’opportunité aux juridictions concernées et aux avocats des parties de répondre à cette question du point de vue technique, juridique, et même doctrinal. Cela est une bonne chose de faire un recours devant la justice et de continuer à jouer le jeu de la justice, au détriment de la « ruecratie », du pouvoir de la rue que des gens veulent faire subir aux populations et aux institutions. Je souhaite tout simplement que cela se déroule dans un climat de paix et de tranquillité. Que ceux qui font un recours devant la justice acceptent, à un moment donné, les décisions de justice et s’y conforment.
Fratmat: S’agissant de l’article 48 du Code de la nationalité, peut-on considérer que la découverte de la circulaire interministérielle sur l’interprétation de la loi peut justifier l’évolution de votre propre appréciation de cette question ?
CIB: En effet, à l’époque, lorsque j’écrivais qu’il fallait un décret pour constater la perte de la nationalité, je faisais la même lecture littérale que les avocats de Monsieur Thiam, font actuellement. Mes contradicteurs de l’époque, qui avaient affirmé que le président Alassane Ouattara était de nationalité douteuse (une notion qui ne signifie rien et qui a été inventée pour éviter de dire qu’il n’est pas ivoirien alors que le juge électoral et constitutionnel n’était pas compétent à cet effet dans le fond), n’avaient pas brandi la circulaire interprétative et explicative de 1963, qui décrit l’esprit et la lettre du Code de la nationalité ivoirienne. C’est un élément important à verser au dossier. Ceux qui évoquent nos propos de l’époque oublient que nous n’avions alors pas obtenu gain de cause et, surtout, qu’au fond la justice civile ou le tribunal compétent n’a jamais déclaré ni établi que Monsieur Alassane Ouattara n’est pas ivoirien. À ce titre, le juge constitutionnel comme le juge électoral ne peut rendre une décision au-delà de l’action électorale (être sur la liste électorale, être candidat ou non).C’est ce que la justice a fait concernant le contentieux électoral. Je rappelle qu’il n’a jamais été question de dire que Monsieur Thiam n’est pas, en ce moment, ivoirien, ni demain sauf s’il redevient français. Cela dépend de lui. Son passé et son parcours , il doit l’assumer.
Fratmat : Vous vous étiez aussi adressé aux militants du PDCI-RDA dans vos derniers meetings. Pourquoi et qu’attendez-vous d’eux ?
CIB: J’attends d’eux de la vigilance et davantage de maturité. Je leur ai dit que nous sommes de la même famille houphouëtiste, que nous avions fait chemin ensemble par le passé. Hier, les présidents Bédié et Ouattara, qui avaient été des collaborateurs du président Houphouët, ont connu des divisions et des divergences. Pourtant, ils se sont retrouvés ensemble plus tard. Rien n’est à exclure entre le PDCI-RDA et le RHDP. Tout reste possible à condition que notre pays reste en paix. J’appelle donc à la vigilance, à la responsabilité et à la préservation de la paix. Nous ne devons pas compromettre les acquis de notre pays, pour des divergences sur l’application de la loi.
Fratmat: Quelles consignes ou mots d’ordre pouvez-vous conseiller aux militants et partisans du RHDP dans les débats actuels ?
CIB: Un appel à des militants houphouëtistes du PDCI-RDA est valable pour le RHDP et ses militants. Vigilance, et maturité egalement chez nos militants et militantes, qui ne doivent avoir aucun complexe, aucun face à ce qui se passe. Ce dont le président Alassane Ouattara a été victime, ce que le président Alassane Ouattara a subi, n’est pas du tout comparable à la situation de Monsieur Thiam, qui n’est pas victime d’un harcèlement de la part du RHDP ou du gouvernement. Contre qui aucune loi, aucune constitution n’a été votée. Souvenez-vous : à partir de 1995, les lois ont été modifiées ou crées uniquement pour écarter le président Alassane Ouattara. Est-ce le cas aujourd’hui à l’égard de Monsieur Tidjane Thiam ? Non. Au contraire, depuis decembre 2023, ce sont des militants de sn parti politique qui ont saisi chaque fois la justice.
Fratmat : Que pensez-vous des dernières déclarations du PPA-CI, notamment du projet Trop c’est trop ?
CIB: À Yamoussoukro et à Koumassi, comme déjà à d’autres occasions, je m’étais interrogé sur les propos du président du PPA-CI. Il dit à son représentant de sortir de la CEI ; il refuse la CEI, il refuse la liste électorale. Il n’est pas électeur et n’est pas éligible. Pourtant, il dit qu’il sera candidat et qu’il va gagner l’élection présidentielle. J’ai fait ressortir la contradiction et je me suis demandé comment il peut le faire si la CEI reste, si la liste électorale demeure et que sa situation ne change pas. J’ai alors employé une expression connue chez nous pour dire que là où ils dorment, nous on dort après ce lieu, au-delà de ce lieu. On dit que derrière village, il y a village. On se comprend. En tout cas, chacun est averti. Le PPA-CI dit qu’il ne va pas aller dans les rues, alors que l’adversaire l’attend dans les rues. En même temps, il faut savoir que l’adversaire ne va pas cesser d’attendre le PPA-CI et tous ceux qui veulent utiliser des moyens non légaux, pour obtenir ce qu’ils souhaitent alors que le gouvernement est bel et bien dans l’esprit du 5 ème dialogue politique qu’ils tentent de remettre en cause par leurs agissements. Le RHDP veut la paix, mais le RHDP n’a pas peur de la rue. Je le dis autrement : le RHDP n’a pas peur de la rue, mais le Rhdp veut la paix.
Fratmat: Plus largement, que souhaiteriez-vous dire à tous les Ivoiriens de façon générale, et spécifiquement à ceux vivant à l’étranger, dont le chef de l’État a toujours été soucieux, organisant le retour et l’intégration au pays de plusieurs Ivoiriens de la diaspora ?
CIB: En effet, lors de plusieurs de ses voyages, le Chef de l’État ne manquait pas l’occasion de rencontrer la diaspora et de l’inviter à rentrer au pays. Au passage, je vous dis qu’il a vivement incité Monsieur Thiam à retourner dans le pays qui l’a vu naître et l’a formé pour le servir à nouveau, et a contribué à faciliter son retour, à le rassurer alors qu’il avait toujours en tête le traumatisme du coup d’Etat de 1999 qui l’avait dégouté de la politique en Afrique et en Côte d’Ivoire, avait-il dit à l’époque.
Avec le Président Alassane Ouattara, il y’a une direction générale des Ivoiriens de l’étranger, de la diaspora. Il y a eu des assises et des forums de la diaspora. Les Ivoiriens de l’étranger votent toujours à l’élection présidentielle. Les Ivoiriens et les Ivoiriennes de la diaspora sont représentés au Sénat. Ancien lui-même de la diaspora, le président de la République a été plébiscité en 2010 par la diaspora, en remportant l’élection présidentielle de façon générale à l’étranger.
Comment un tel dirigeant peut-il mener une politique défavorable aux Ivoiriens et aux Ivoiriennes de l’étranger ? Il s’agit d’une intoxication de plus, de personnes en difficulté qui cherchent des soutiens de tous les côtés. Je demande aux Ivoiriens et aux Ivoiriennes de se mobiliser pour maintenir le climat de paix qui prévaut dans notre pays.
Je voudrais terminer en disant merci à votre rédaction pour l’opportunité qui m’a été offerte, à travers cette interview, de faire des clarifications et de rassurer l’opinion publique sur la position du RHDP par rapport à l’actualité socio-politique dans notre pays.
Source : Fraternité Matin
N.B: le titre est de la rédaction