Vous êtes spécialisé dans la prise en charge des personnes atteintes de l’autisme. Qu’est-ce que l’autisme?
Les approches définitionnelles ne vont pas nous permettre de comprendre l’autisme. La meilleure façon de définir l’autisme et de le faire comprendre au grand public, c’est de pouvoir cerner les signes caractéristiques de la maladie. Selon le manuel médical qui classifie les maladies, en général, et les maladies mentales, en particulier, le code de l’autisme est le 299.00. Mais parlant plus spécifiquement des critères de l’autisme, il y a un certain nombre de comportements qui nous permettent de savoir et de de déterminer qu’une personne a l’autisme. Il y a trois critères essentiels.
Dans le premier cas, la personne doit avoir un déficit profond en communication et en interactions sociales. Deuxième situation, le patient doit s’engager de façon récurrente dans des comportements répétitifs qui, malheureusement,n’ont pas de fonction sociale. Par exemple, la personne peut bouger la main ou la tête ou les deux simultanément pendant une certaine période; s’arrêter momentanément et reprendre aussitôt. Cela devient comme une routine pour lui.
Troisièmement, la personne autiste présente un déficit profond de langage, c’est-à-dire qu’elle parle très peu ou pas. Comme vous pouvez le constater, une personne qui réunit tous ces handicaps ne peut pas fonctionner normalement dans un environnement social. C’est à partir de ce moment qu’on peut dire que la personne présente les traits caractéristiques de l’autisme.
En observant ces signes, peut-on, soi-même, affirmer qu’un enfant est atteint de l’autisme ?
Vous ne pouvez pas,vous-même,établir un diagnostic. Vous devez voir un spécialiste. L’autisme, c’est un problème de santé publique, c’est un problème médical. Il faut voir les spécialistes, généralement un pédopsychiatre, un neurologue ou un médecin spécialiste de l’enfance. Ce sont eux qui peuvent vous aider à faire le diagnostic de l’autisme. Dans le contexte américain, le thérapeute n’est pas habilité à faire le diagnostic de l’autisme. Mais dès que le diagnostic est établi, nous faisons des tests complémentaires pour identifier les fonctions les plus déficientes chez l’enfant et c’est sur la base de ces tests encore appelés évaluation fonctionnelle qu’on peut établir un plan de prise en charge.
Certains disent que l’autisme est provoqué par des pratiques mystiques. Quelle est l’origine réelle de cette pathologie?
Jusqu’à preuve du contraire, il n’a pas été établi une cause définitive de l’autisme. Ce n’est pas l’œuvre des sorciers, ce n’est pas du mysticisme. Il n’est pas, non plus, causé par les vaccins comme certains l’ont soutenu dans les pays développés comme les Etats-Unis, parce qu’il y a quand même une vague de théories, d’idées très répandues là-bas aussi qui présentent l’autisme comme un problème causé par les vaccins. Jusqu’à présent, aucune recherche n’a pu soutenir ces thèses. Les thèses les plus probables qui sont mises en avant aujourd’hui par les professionnels de la santé, c’est que l’autisme est un problème génétique. Beaucoup d’études ont montré que l’autisme est lié à un faible chromosome X. Et selon les spécialistes, ce chromosome déficient est à l’origine de l’autisme qui est aussi présenté comme un problème héréditaire en ce sens que très souvent, il affecte plusieurs enfants de la même famille.Ce qui peut confirmer, à la fois, la thèse du chromosome déficient et de l’hérédité. On peut avoir une série d’autistes dans la même famille. Dès que vous avez un enfant autiste, le risque d’avoir un autre est très élevé. Ce qui permet d’admettre que l’autisme est un problème génétique et non un problème mystique ou de médicament.
Cependant, certains médicaments utilisés dans le passé, il y a 30 à 40 ans de cela aux USA pour traiter l’épilepsie, ont été cités comme des facteurs qui augmentent le risque. Des études ont démontré que les femmes qui ont été traitées avec ces médicaments, comme l’acide valproïque et lathalidomi dépendant qu’elles étaient en grossesse, ont multiplié les risques d’avoir des enfants autistes. En ce qui concerne les causes de l’autisme, la recherche fait son chemin.
Comment peut-on traiter cette maladie qui est peu connue en Côte d’Ivoire?
Il faut être franc, il n’y a pas de guérison de l’autisme. Mais, il y a des traitements suffisants qui permettent d’améliorer les conditions de vie des personnes autistes. Il y a des traitements qui permettent aux personnes autistes de pouvoir fonctionner, de pouvoir communiquer, de pouvoir être productif dans la société. Et je peux vous le confirmer, il y a des secteurs d’activités où les personnes autistes sont beaucoup plus productives que les personnes dites normales. Notamment, dans les activités qui impliquent des tâches spécifiques comme le travail à la chaîne, les montages, par exemple, dans les usines de fabrication d’ordinateurs où il faut assembler des pièces spécifiques.
Aux Etats Unis, certaines entreprises recrutent principalement les personnes autistes en raison de leurs dons qui font qu’ils excellent dans certaines tâches. Donc la personne autiste peut s’intégrer sur le plan professionnel et être très productive.
Le diagnostic de l’autisme se fait à bas âge, entre 18 mois et trois ans. Lorsque le traitement commence tôt, les chances de succès sont plus élevées. Le diagnostic et la prise en charge précoces sont très déterminants. Les parents, en particulier, jouent un rôle primordial dans la détection car ils sont plus en contact avec leurs progénitures. Lorsque vous détectez des signes anormaux tels que l’absence de sourire, la détresse au toucher ou l’absence de contact visuel, il faut immédiatement contacter les spécialistes pour établir un diagnostic. Nous avons un problème fondamental, qui est que notre système de santé n’est pas outillé pour faire un diagnostic et une prise en charge effective. En plus, les coûts de la prise en charge sont très élevés. Aux Etats Unis, ce coût est estimé entre 4 et 6 mille dollars (entre deux et trois millions de FCFA) par an et par enfant.
J’insiste là-dessus, la formation des parents est essentielle sinon cruciale dans la prise en charge de l’autisme. A cela, s’ajoute la formation des enseignants ainsi que celle de toute personne qui interagit avec l’enfant de façon régulière. Cette formation est essentielle car elle permet d’appliquer les consignes et les protocoles de façon constante en minimisant les risques de confusions. Une chose à retenir, les personnes autistes fonctionnent mieux dans un environnement structuré avec une routine bien établie. Elles sont réfractaires au changement.
Un peu plus haut, j’ai parlé de l’évaluation fonctionnelle. C’est la pierre angulaire de la prise en charge car elle se trouve en aval et en amont de toute prise en charge qui se veut effective. L’évaluation fonctionnelle permet d‘identifier, non seulement, les handicaps, mais aussi les valeurs intrinsèques ; ce qui, au demeurant, va permettre au thérapeute de créer un plan de prise en charge qui reflète les capacités réelles de l’enfant. Je prends, par exemple, cet enfant qui très souvent pique une colère et casse tout ce qui lui passe sous la main. L’évaluation fonctionnelle va identifier, par exemple, que la cause de la colère réside dans l’incapacité de l’enfant à exprimer ses besoins. A partir de ce constat, le thérapeute va élaborer une méthode de communication non verbale à base d’images pour permettre à cet enfant d’exprimer ses besoins.Ce qui va réduire le stress et les comportements violents. Le thérapeute peut aussi orienter les parents vers un orthophoniste dans le cas d’un déficit de langage très sévère.
Comment nous pouvons aider les personnes autistes ? Cela commence par la prise de conscience, la sensibilisation pour démystifier la maladie de sorte que les personnes autistes, à l’instar de tous les autres personnes vivant avec un handicap, soient perçues comme des êtres humains et non comme des monstres ou des damnés. Ensuite, il faut aider et supporter les organisations publiques, privées et les vraies Ong qui se sont investies dans ce domaine. Il faut des moyens véritables pour assister ces organisations, notamment les écoles en matière d’éducation spécialisée, de sorte que les enfants autistes ne soient pas abandonnés dans le système éducatif normal.
Quel message d’espoir lancez-vous aux parents des enfants autistes ?
Je veux leur dire que l’espoir existe pour les parents d’enfants autistes. Il y a 20 ans, aux Etats Unis ou en Europe, l’autisme était considéré comme un mystère. Beaucoup de mariages se sont dissous, des familles ont éclaté aux Etats Unis pour avoir eu un ou des enfants autistes parce que c’est difficile. Lorsque vous avez un enfant autiste, c’est comme vous avez un boulot en temps plein. L’espoir pour les parents d’enfants autistes, c’est qu’aujourd’hui, il y a des remèdes qui aident à traiter certains aspects des troubles autistes comme l’agressivité, la passivité ou le déficit d’attention ou l’hyperactivité. Il y a aussi des techniques thérapeutiques qu’on enseigne aux parents qui peuvent les aider dans la prise en charge effective de leurs enfants. Par exemple, les techniques de prévention et de contrôle des comportements agressifs et destructifs. Connaitre son enfant, c’est le point de départ de toute prise en charge. Si, par exemple, votre enfant a des difficultés de communication, il faut trouver des ressources alternatives pour améliorer sa communication et cela résout en partie son problème. Si vous savez, par exemple, que les bruits aigus perturbent votre enfant, vous trouverez les moyens pour réduire le bruit dans son environnement et cela résout beaucoup de problèmes. Il y a des appareils conçus à cet effet qui aident à réduire le bruit et partant le stress et les comportements agressifs.
Il y a une variété de méthodes d’apprentissage qui ont été développés qui permettent aux autistes d’interagir et de fonctionner. Un exemple est ce qu’on appelle en anglais “ Task break “. Il est parfois très difficile à certaines personnes autistes à rester concentrées sur une activité pendant plus 15 minutes. Pour leur faciliter la tâche, on leur fait faire ses activités de manière séquentielle en portion de 15 minutes. Ce qui réduit considérablement le stress et accroît son rendement. Il y a beaucoup d’espoir aujourd’hui pour les autistes et leurs familles. Nous sommes encore en phase d’apprentissage dans notre pays ; cela va prendre du temps, mais je sais qu’en Côte d’Ivoire et dans certains pays de la sous-région où je suis passé, les gens ont compris que l’autisme n’est pas une malédiction ou une fatalité. Les personnes autistes, avec un peu d’attention, peuvent faire beaucoup de progrès et évoluer dans la société. Un enfant qui a des problèmes de langage peut corriger ce handicap avec l’aide d’un orthophoniste. En tant que parents, vous pouvez enseigner le langage à votre enfant en restant constamment avec lui, en lui faisant répéter les mots de façon successive. Ce sont des personnes extrêmement intelligentes qui apprennent très vite; ils apprennent souvent plus vite que vous et moi. Ce que je peux dire à chaque parent, si vous avez un enfant autiste, il faut avoir du temps ; il faut être patient et persévérant. Il faut avoir l’amour, l’affection et l’empathie. Le temps et le dévouement sont deux éléments essentiels dans la prise en charge de la personne autiste.
De traitement, vous avez parlé de la méthode ABA. Expliquez-nous cette méthode?
La méthode ‘‘ABA’’ est une méthode expérimentale. ‘‘ABA’’ est un terme anglais qui veut dire « Applied Behavior Analysis ». L’équivalent en français,c’est ‘‘ACA’’qui signifie « Analyse du comportement appliqué ». Cette méthode part du principe que tout comportement a une cause et que si vous agissez sur la cause du comportement, vous avez assez de chance de le changer. Ce changement est opérant et se fait à partir de renforcements qui sont de deux ordres: les renforcements positifs et les renforcements négatifs. Ces renforcements sont utilisés selon qu’on veut encourager ou décourager un comportement.
Il faut faire une analyse fonctionnelle du comportement (cela n’est pas exclusivement pour les enfants autistes car c’est la même procédure pour ceux qui souffrent du déficit d’attention et les hyperactifs) et identifier la cause des comportements anormaux. C’est à partir de ce moment que l’usage des renforcements intervient comme stratégie de prise en charge. C’est-à-dire qu’on étudie le comportement, on connait la cause du comportement, on agit sur la cause du comportement, soit pour promouvoir un comportement nouveau socialement acceptable, soit pour éliminer un comportement indésirable. C’est cela le fondement et la méthodologie‘‘ABA’’. Si votre enfant casse les verres parce qu’il pense que vous ne le compreniez pas ou qu’il pense être ignoré, si vous lui donnez l’attention désirée et les moyens de communiquer avec vous, en ce moment-là, vous réduisez son désemparement et la violence qui en résultent. Si cet enfant qui a appris la communication par les images, veut aller dans les toilettes, il va pointer du doigt l’image de la toilette pour vous dire : « Je veux aller dans les toilettes papa». Vous allez l’emmener aux toilettes et vous allez lui apprendre comment se nettoyer. Ce sont les principes de la méthode‘‘ABA’’.
Cela veut dire que tout comportement a un antécédent ; quand cet antécédent est présent, il provoque un comportement donné et ce comportement donné engendre une autre conséquence qui peut être désiré ou indésirable.
En plus de la méthode‘‘ABA’’, il y a celles de contrôle et de gestion des comportements agressifs. Ces méthodes sont essentiellement de deux ordres, les méthodes préventives et les méthodes de désescalade.
Les méthodes préventives contribuent à prévenir la crise et celles de désescalade consistent à la désamorcer. Si vous savez, par exemple, que votre enfant va le matin faire des problèmes pour aller à l’école, vous le préparez dès le soir ; vous lui rappelez les étapes et les taches à accomplir la veille et le matin jusqu’à ce qu’il devienne docile. A partir de là, il y a de fortes chances de réduire son angoisse et d’accroître son assurance et sa coopération. L’une des difficultés majeures dans la vie de la personne autiste, c’est l’angoisse et le stress face à la demande sociale. Quand la personne autiste sait qu’en sortant de la maison, elle va se frotter à des personnes non familières qui vont lui demander de faire ceci ou cela, elle est angoissée et est prête à tout faire pour ne pas sortir. Par conséquent, elle peut s’engager dans des comportements antisociaux pour éviter de sortir.
En dehors du traitement de l’autisme, parlez-nous des autres domaines dans lesquels vous intervenez.
Je voudrais remercier sincèrement la direction et la rédaction du journal l’Expression qui me donnent cette opportunité de partager mon expérience avec les Ivoiriens et en particulier les personnes autistes et leurs familles. Je voudrais leur faire comprendre que la tâche est, certes,énorme, mais pas impossible. Avec les progrès des sciences médicales et comportementales, il y a de l’espoir. L’expansion de la télémédecine offre aujourd’hui des possibilités jamais imaginées et jamais égalées. Pendant la pandémie du Covid,nous avons assisté nos patients à 100% avec la télémédecine,réduisant ainsi considérablement les risques d’expositions et les déplacements fastidieux. C’est une grande opportunité que je voudrais partager avec mes frères ivoiriens et africains en matière de prise en charge de l’autisme et surtout en ce qui concerne le renforcement des capacités des parents et des enseignants. Mon expertise ne se limite pas seulement à l’autisme. Je traite aussi les déficiences intellectuelles, le stress, l’anxiété et la dépression. La distance n’est plus un obstacle pour accéder à un service de qualité.
Nomel Essis