Le Coordonnateur des Coalitions de l’Afrique francophone pour la CPI (CAF-CPI) analyse dans cette interview les enjeux de la volonté affichée par le procureur Karim Khan de poursuivre deux dirigeants d’Israël et trois du Hamas.
Pour une première fois, le Procureur de la CPI a demandé lundi 20 mai l’émission de mandats d’arrêt contre le Premier ministre, du ministre de la Défense d’Israël et de trois dirigeants du Hamas. Peut-on dire que la CPI vient de frapper un grand coup ?
Effectivement, ce lundi 20 mai, le procureur de la CPI, Karim Khan et son bureau ont soumis aux juges de la chambre préliminaire des requêtes aux fins de délivrance de mandats d’arrêt concernant la situation dans l’Etat de Palestine. Il s’agit de mandats d’arrêt contre le Premier ministre israélien et son ministre de la Défense, et également contre trois dirigeants du Hamas. Le Bureau du procureur a mis en accusation ces différentes personnes portant la plus lourde responsabilité dans cette situation, MM. NETANYAHU et GALLANT de l’Etat Hébreux et MM. SINWAR, DEIF et HANIYEH du Hamas, en tant que coauteurs et supérieurs hiérarchiques, en vertu des articles 25 et 28 du Statut de Rome. Il faut reconnaitre qu’eu égard au drame et aux massacres qui se déroulent à Gaza, et après l’adoption par le Conseil de sécurité des Nations unies d’une résolution demandant un cessez-le-feu immédiat, et aussi, après que la Cour internationale de justice (CIJ) a indiqué de nouvelles mesures conservatoires dans l’affaire de la plainte pour génocide déposée contre Israël par l’Afrique du Sud, la CPI ne pouvait pas rester sourde et aveugle par rapport à cette situation cauchemardesque que vit au quotidien les populations de Gaza. La Cour a été interpellée par plusieurs pays, institutions, organisations et ONG dont la nôtre (Les Coalitions de l’Afrique Francophone pour la CPI à travers deux déclarations adressées au procureur) pour se saisir de cette situation de violations graves et massives qui choquent la conscience humaine.
Notre espoir, est que les juges entérinent ces différents mandats. Cela pourra certainement avoir un impact pour l’arrêt des hostilités, pour la lutte contre l’impunité dans le monde quel que soit la puissance d’un pays ou la qualité officielle de l’acteur.
Après le mandat d’arrêt contre le président Russe Vladmir Poutine, c’est donc la première fois qu’un dirigeant occidental est soumis à un mandat d’arrêt de la CPI. Cela est un signal fort que lance la Cour à toutes les puissances du monde, états parties comme non parties. On pourrait dire que c’est un grand coup d’autant plus que le Bureau du procureur vient de prouver à travers cet acte qu’il n’y a pas d’intouchable en matière de justice.
Quelles sont les chances que la procédure arrive à terme, c’est-à-dire l’émission de mandants d’arrêt contre les cinq personnes soupçonnées d’avoir commis des crimes qui sont du ressort de la CPI ?
Dans sa déclaration de dépôt de requêtes aux fins de délivrance de mandats d’arrêt concernant la situation dans l’État de Palestine, le Procureur de la CPI, Karim Khan a signifié que les requêtes présentées sont l’aboutissement d’une enquête menée par son Bureau en toute indépendance et en toute impartialité. Compte tenu de son obligation d’enquêter tant à charge qu’à décharge, le bureau a travaillé méticuleusement pour faire la part des choses entre les allégations et les faits et pour présenter les conclusions de manière équilibrée en se fondant sur les éléments de preuves soumis à la Chambre préliminaire. En tout cas, le procureur estime avoir mis toutes les chances de son côté en documentant les violations des droits humains avec des éléments de preuves consistants et en plus en s’entourant en guise de précaution supplémentaire, d’un groupe impartial d’experts en droit international qui ont accepté de participer à l’examen des preuves et à l’analyse juridique en lien avec ces requêtes aux fins de la délivrance de mandats d’arrêt. Ce groupe est composé d’éminents spécialistes en droit international humanitaire et en droit pénal international. La balle est donc dans le camp des juges qui nous espérons valident ces différents mandats dans quelques semaines. Dans cette situation, c’est la crédibilité de la CPI qui se joue.
Plusieurs pays qui soutiennent Israël dans sa guerre contre le Hamas, notamment les USA, la Grande Bretagne, l’Allemagne ont exprimé leur désaccord avec la CPI qui selon eux, établit une «équivalence inacceptable » entre les deux parties en conflit. La CPI pourrait-elle résister aux pressions de ces grandes puissances qui ne resteront pas surement les bras croisés ?
Ce n’est pas la première fois que la CPI fait l’objet de pression de certaines grandes puissances. Cela s’est déjà passé sous la mandature de la procureure Fatou Bensouda par rapport aux enquêtes en Afghanistan. La Cour à l’époque avait pu résister aux sanctions à lui imposées par les USA. Il s’agissait de sanctions contre l’ancienne procureure et de quelques fonctionnaires de la Cour. Il n’y a donc pas de raison que la CPI ne puisse pas résister encore cette fois-ci. D’ailleurs, face aux menaces actuelles des USA sur la CPI, 121 organisations internationales dont la nôtre viennent d’envoyer une lettre au président Joe Biden et au Congrès américain pour demander de soutenir la Cour et d’éviter de lui imposer des sanctions.
Pour ce qui est d’« équivalence inacceptable » entre les deux parties en conflit, c’est un faux débat et une fuite en avant. Il y a deux protagonistes dans ce conflit. Tous les deux ont commis des crimes. Tous doivent répondre devant la justice au même titre. Une victime demeure une victime, quel que soit son camp.
La France affirme qu’elle soutient la CPI dans sa volonté de poursuivre des dirigeants israéliens et du Hamas. Faut-il voir en cela la volonté de la France de transférer les deux dirigeants israéliens s’ils mettent le pied dans ce pays ?
Nous ne sommes pas surpris par la position de la France qui demeure quoiqu’on dise le pays où la déclaration des droits de l’homme et du citoyen a été adoptée en 1789. Conformément à l’article 81 du Statut de Rome de la CPI, les Etats parties ont l’obligation de coopérer pleinement avec la Cour dans les enquêtes et poursuites qu’elle mène pour les crimes relevant de sa compétence. La France étant un des 124 Etats parties, elle ne devrait pas se déroger de cette règle en principe.
L’année dernière, la CPI a émis un mandat d’arrêt contre Vladimir Poutine et depuis lundi contre Benyamin Netanyahu. Est-ce la fin de l’impunité pour les « grands » qui jusque-là n’étaient pas inquiétés ?
Il faut savoir que le travail de la CPI a deux volets : le dissuasif et le répressif. La CPI étant complémentaire des juridictions pénales nationales selon l’article 1 du Statut ; c’est lorsque l’Etat partie n’a pas la capacité juridique ou la volonté de poursuite que la CPI intervient, sauf pour les Etats non parties où c’est le Conseil de sécurité qui demande l’ouverture d’enquête. En l’état d’espèce, Israël n’est pas Etat partie, mais la Palestine a reconnu les compétences juridictionnelles de la CPI. La guerre a lieu sur son territoire, à Gaza. La Cour peut donc poursuivre des ressortissants Israéliens parce que les victimes sont des ressortissants d’un Etat partie et les crimes aussi ont lieu dans un Etat Partie.
Nous espérons tous que ce soit la fin de l’impunité pour tout Etat, petit comme grand.
Cette réaction de la CPI va-t-elle avoir un impact sur la guerre menée par Israël contre Gaza depuis le 8 octobre 2023 qui a fait plus de 35.000 morts, essentiellement des civils pour la plupart des femmes et des enfants ?
C’est notre espoir à tous qu’à travers cette demande du procureur les uns et les autres, puissants comme faibles comprennent que nul ne peut commettre des crimes graves impunément.
Notre souhait le plus absolu, c’est que la démarche du procureur parvienne à faire cesser les hostilités, que les bourreaux puissent rendre compte et les victimes obtiennent justice.
Nomel Essis