Cinq mois avant l’élection présidentielle prévue en octobre prochain, Mamadou Touré, le ministre ivoirien de la jeunesse et porte-parole adjoint du gouvernement était l’invité du journal de Tv 5 monde Afrique du lundi 6 mai 2025.
Tout d’abord, comment est-ce que le gouvernement perçoit-il la mobilisation de l’opposition qui a été annoncée aujourd’hui et prévue pour la fin du mois ?
La Côte d’Ivoire est un État démocratique où les partis politiques exercent librement leurs activités. D’ailleurs, ce week-end, le PDCI a organisé des activités, des meetings un peu partout, même s’il n’y a pas eu de très grande mobilisation. Mais les partis politiques sont libres d’organiser leurs activités, à condition que ces activités et ces manifestations respectent les principes d’un État de droit.
Certains organisateurs de cette mobilisation prévue le 31 mai demandent un dialogue politique. Envisagez-vous de dialoguer avec eux ?
Mais nous avons dialogué en 2021, monsieur. Et tous les points qui font l’objet des revendications de l’opposition ont été passés au peigne fin. Et à l’issue de ce dialogue politique en 2021, il y a quand même un certain nombre de principes qui ont été arrêtés. D’abord sur la Commission électorale indépendante, puisque c’est une des revendications de l’opposition.
Ils estiment que la CEI, la Commission Electorale Indépendante, est inféodée au pouvoir. Que répondez-vous à ces observations ?
Mais ils ont tort, puisque le pouvoir est sous-représenté au sein de cette Commission électorale indépendante. Et d’ailleurs, lorsqu’elle avait été jugée déséquilibrée, je rappelle que cette Commission électorale indépendante a fait l’objet de beaucoup de modifications.Et qu’avant la présidentielle de 2020, elle a été modifiée. Et même après la présidentielle, à l’issue du dialogue politique que nous avons eu en 2021, c’est ce qui a permis au PPACI d’avoir un représentant. Donc nous avons eu un consensus sur la Commission électorale indépendante en 2021. Il fallait juste ajouter le PPACI.
D’où vient-il que cette opposition, avec qui nous avons eu un consensus, la Commission électorale indépendante, dans le sens de son équilibre, vienne remettre en cause aujourd’hui le choix ? Et parle de la liste électorale, qui est aujourd’hui composée de près de 9 millions de personnes ?
Je voulais rappeler que cette liste électorale a fait l’objet d’un consensus en 2010.Rappelez-vous qu’en 2010, dans la quête de la paix, cette liste électorale a été la base. Cette liste électorale a été consensuelle et certifiée par les Nations Unies.
Donc vous n’envisagez pas de dialogue avec les opposants ?
Non, si le dialogue s’entend par un cadre d’échange pour remettre en cause les acquis démocratiques et ne pas organiser les élections dans le temps passé, c’est ce qu’ils veulent en réalité.Vous savez, cette opposition, c’est le même narratif qu’en 2020. En 2020, c’est la même revendication. En réalité, c’est une opposition qui rechignait aux combats politiques, qui a peur de la compétition et qui s’est battue déjà une élection présidentielle et qui est dans la surenchère pour éviter de se lancer dans un jeu démocratique.
En parlant de compétition, l’opposition, notamment par la voix de Simone Ehivé, affirme que le système électoral actuel ne peut aucunement garantir la paix en Côte d’Ivoire. Comprenez-vous ces préoccupations ?
Mais si le système électoral n’a pas changé, est-ce que nous n’avons pas la paix en Côte d’Ivoire ? C’est le même système électoral que nous avons depuis de nombreuses années. Nous avons organisé l’élection législative en 2021.D’abord, en 2015, la présidentielle s’est passée dans de très bonnes conditions. En 2020, en dépit des actions anti-républicaines et anti-démocratiques, nos actions sont restées en place. En 2023, nous avons eu des élections locales, saluées par toutes les partis.Les élections législatives 2021 et l’élection locale 2023 ont été saluées par toutes les parts. C’est de la mauvaise foi.
Quelques milliers de personnes se sont rassemblées, c’était samedi dernier, à Abidjan pour soutenir Tidjane Thiam, le chef du PDCI-RDA, qui se trouve désormais exclu de la course électorale après une décision judiciaire.Comment est-ce que vous réagissez aux accusations selon lesquelles le pouvoir aurait orchestré, aurait, « dirigé la justice pour éliminer » Tidjane Thiam de la compétition électorale ?
Parce que le pouvoir aurait anticipé, en 1961, que M. Tidjane Thiam, qui en est né un an après, serait candidat à 2025 ?Ce que je veux dire, c’est que la loi aujourd’hui, qui fait obstacle à l’ambition de Tidjane Thiam, est une loi qui a été adoptée en 1961, quand notre pays obtenait nouvellement son indépendance. Et c’est la loi sur la nationalité.Je ne voudrais pas ici commenter une décision de justice, monsieur. Mais ce que je veux dire, c’est que cette loi est antérieure à la naissance de Tidjane Thiam. Il a traité, et je trouve ça choquant, la loi sur la nationalité de notre pays, de loi sombre, mais je vais rappeler que c’est son grand-oncle, Félix Houphouët Boigny, et les pères fondateurs qui ont instauré cette loi.Et c’est cette loi qui a permis à son père, Amadou Thiam, de devenir ivoirien, d’être naturalisé. Lorsqu’on aspire à gérer un pays, lorsqu’on aspire à gouverner un pays, on n’insulte pas les lois de son pays.
Un autre opposant s’est exprimé ces dernières heures, il s’agit de Guillaume Soro, l’ancien premier ministre ivoirien, qui estime, je cite, qu’une « dérive autoritaire est actuellement assumée par le pouvoir ivoirien, qui a choisi l’injustice comme méthode, l’arbitraire comme politique, la peur comme stratégie ». Est-ce votre stratégie ?
Mais chacun est libère de ses commentaires, et après on a les indicateurs, monsieur. Regardez un peu tous les indicateurs internationaux. Aujourd’hui, on vient d’avoir récemment le classement de Reporter Sans Frontière, qui a permis de constater une avancée de la Côte d’Ivoire, qui est en 9ème place aujourd’hui, alors qu’il y a quelques années, nous étions en 133ème.Regardez les indicateurs de bonne gouvernance, les indicateurs sur la corruption. La Côte d’Ivoire est en 9ème pays aujourd’hui, là où nous étions en 144ème il y a quelques années. Et donc aujourd’hui, vous avez des citoyens en Côte d’Ivoire qui vaquent à leurs occupations.Vous avez rappelé, vous-même, les manifestations organisées par l’opposition en Côte d’Ivoire, notamment par le PDCI. Ces manifestations n’ont pas été empêchées. Donc, la liberté est une réalité dans notre pays.Mais la liberté, partout dans le monde, est encadrée par des lois et par des règles.
Venons-en à la situation du pouvoir. À cinq mois de la présidentielle désormais, le Parti au pouvoir n’a toujours pas désigné son candidat.En janvier dernier, le président Alassane Ouattara déclarait « je suis en pleine santé et désirait de continuer à servir le pays ». S’agissait-il, selon vous, d’une annonce implicite de candidature ?
Le président Alassane Ouattara, président de notre parti et président de la République, a fait l’objet de sollicitations d’abord de la part des militants de son parti et des cadres que nous sommes et de nombreux Ivoiriens qui estiment qu’au regard du bilan de ces 15 dernières années, vous savez, lorsqu’il avait la tête de ce pays, on avait 55% des pauvres en Côte d’Ivoire. Aujourd’hui, nous avons 37% des pauvres en Côte d’Ivoire.Cela veut dire que si on n’avait pas baissé ce taux de pauvreté, on aurait 5 millions de personnes qui ne seraient pas sorties de la pauvreté. Aujourd’hui, 5 millions de personnes sont sorties de la pauvreté. Ce que je veux dire, c’est que neuf localités, monsieur, sur 10, sont électrifiées en Côte d’Ivoire.Quand le président Ouattara est arrivé, nous avions 1,5 million d’abonnés à l’électricité. Aujourd’hui, nous avons 4,5 millions. Ce que je veux dire, c’est que nous avons aujourd’hui près de la moitié de notre production en cacao qui a été transformée.Aujourd’hui, le prix du cacao est à 2.000. Au regard de tous ces indicateurs, de performance économique, de stabilité politique, de paix, de nombreux Ivoiriens estiment que le président Ouattara a le leadership nécessaire pour conduire encore le navire ivoirien pendant 5 ans. Il lui reviendra dans un mois nous donner sa réponse sur cette requête des populations et de son parti.
De quelle manière est-ce que vous recevez les accusations d’illégalité formulées par certains de vos opposants au sujet de ce qui est présenté comme une quatrième candidature pour le président Ouattara ?
Mais c’est une accusation fallacieuse. On ne peut pas aspirer à gérer un pays et ne pas être respectueux de ses institutions. Lorsque le Conseil Constitutionnel qui est le seul arbitre du jeu électoral et qui d’ailleurs est la seule instance à même d’interpréter la constitution dit qu’avec la nouvelle constitution M. Ouattara a la possibilité d’être candidat, il ne revient pas à des partis politiques fût-ce de l’opposition ou de M. Sonko. Je l’ai rappelé, comparaison n’est pas raison.Vous savez que quand M. Wad a modifié la constitution au Sénégal à l’époque et que l’opposition avait commencé à manifester et que le Conseil constitutionnel a été saisi et que ce Conseil constitutionnel estimait que M. Wad avait la possibilité de faire un autre mandat, Macky Sall est allé aux élections, une élection organisée par le ministre de l’Intérieur, il a battu M. Wad. Lorsque M. Sonko, leader charismatique de l’opposition au Sénégal s’est vu condamné et n’était pas éligible, il n’a pas mis le Sénégal à feu à sang, il a choisi son numéro 2, M. Diomaye Faye qui est le président de la République actuelle. Donc les Sénégalais ont toujours eu la maturité démocratique dénoncé lui, mais quand les institutions ont pris une décision, ils trouvent les mécanismes internes pour pouvoir pousser leurs idées et créer l’alternance.En Côte d’Ivoire, on a tout sauf des démocrates. Vous avez en Côte d’Ivoire des putschistes, vous avez en Côte d’Ivoire des personnes qui ne respectent pas les règles démocratiques et qui rêvent aujourd’hui à ce qu’on n’aurait pas des élections dans les délais constitutionnels. Mais rappelez-vous qu’au Sénégal, c’est l’opposition et toute la classe politique qui s’est battue pour le maintien du délai constitutionnel pour organiser des élections.Mais en Côte d’Ivoire, vous avez une opposition qui se bat pour que les élections n’aient pas lieu dans les délais impartis pour nous entraîner dans l’incertitude. On ne l’a pas accepté en 2020, on ne l’acceptera pas en 2025.
Mamadou Touré, M. le ministre, merci d’avoir répondu à nos questions ce soir.