Les difficultés rencontrées par Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) face aux putschs au Mali et en Guinée sont décortiquées dans cette contribution qui donne des pistes de solutions pour permettre l’organisation sous régionale de gagner l’adhésion des populations.
Le 15 Novembre 2021, les 27 Ministres des Affaires Etrangères de l’Union Européenne ont adopté une série de sanctions ciblées contre « ceux qui font obstruction à la transition, n’en respectent pas les engagements, et menacent donc la paix, la sécurité et la stabilité » du Mali. Cette initiative de la France est réputée appuyer les efforts de la CEDEAO qui peine à amener à composition les militaires qui dirigent le pays. Il ne fait aucun doute que la CEDEAO aura également besoin de l’Union Européenne ou d’autres institutions internationales et étrangères dans sa gestion de la même problématique en Guinée. Sauf que ces démarches produiront exactement l’effet contraire de ce que la CEDEAO espère, justement parce qu’elles sont l’illustration canonique de ce que les peuples de l’Afrique de l’Ouest lui reprochent, à savoir être au service d’intérêts étrangers.
En effet, si les juntes maliennes et guinéennes résistent aux pressions, menaces et autres promesses de sanctions de la CEDEAO, c’est parce qu’elles jouissent d’un immense soutien populaire notamment des jeunesses de leur pays mais également de la sous-région et même au-delà. Dès lors, la CEDEAO est condamnée à n’exercer que des pressions et des menaces car toute intervention militaire (peu probable d’ailleurs) sera similaire à l’opération « Restore Hope » menée par les Etats-Unis en Somalie en 1992-1993. Les « marines » qui attentaient être reçus en héros ont fédéré contre leur présence non seulement tous les belligérants mais pire encore, la population entière et la suite malheureuse est suffisamment connue de tous pour vouloir jouer un remake de cette erreur d’appréciation.
La CEDEAO doit cesser la politique de l’autruche et voir et tenir compte de la réalité si elle ne veut pas perdre définitivement la main sur la fondation de l’Histoire dans la sous-région pour des populations qui la prennent de plus en plus en grippe. Dans un monde qui fait de la constitution d’ensembles géopolitiques solides pour pouvoir compter, la CEDEAO formidable outil d’intégration à la différence de l’Union Africaine qui est un simple instrument de coopération, a déjà à son actif des avancées notables et hautement appréciables dans les domaines économique, financier, militaire, social, politique et bientôt monétaire avec la création de sa monnaie. Elle est donc légitime à vouloir fonder l’Histoire des populations des 15 Etats qui la composent. Dès lors comment comprendre et expliquer la défiance dont elle est l’objet de la part de ses populations ?
Si cette institution commandait une étude sur les impacts de ses actions sur les populations et le regard que ces dernières portent sur son fonctionnement, elle saura exactement ce que les populations pour lesquelles elle travaille, attendent d’elle et surtout lui reprochent. L’Union Européenne a effectué la même démarche pour comprendre les raisons de la montée du sentiment anti-européen dans les opinions publiques de ses membres et rectifier ce qui devait l’être aussi bien dans sa communication que dans ses actions. La CEDEAO ne doit pas s’exonérer d’un tel exercice si elle veut comprendre ce qui au-delà des accusations de slogans d’être un syndicat de chefs d’Etats (dont elle semble s’être accommodée), ce que les populations attendent réellement d’elle.
Mais d’ores et déjà ce qui saute aux yeux et qui revient dans toutes les attitudes de défiances envers la CEDEAO est d’abord le reproche de sa propension à n’agir qu’en aval alors que les populations attendent qu’elle soit très réactive en amont et à l’écoute des peuples afin de tirer la sonnette d’alarme dès l’amorce d’une situation confligène au sein d’un Etat membre qui porte en elle la promesse du chaos.
Ensuite ce qui braque les populations contre la CEDEAO est le sentiment qu’elle agit au nom et pour le compte d’intérêts étrangers au détriment de ceux des populations concernées. Que cela soit réel ou pas, c’est un élément sensible et prégnant plus spécifiquement au sein des pays francophones face auxquels l’organisation doit se déterminer sans faux-fuyants afin d’améliorer son image auprès des populations et espérer leur adhésion à ses mesures et préconisations. C’est précisément en cela que les mesures de l’Union Européenne seront contreproductives car elles donneront du grain à moudre à ceux qui pensent que la CEDEAO au Mali agit uniquement pour préserver les intérêts français et non ceux des populations.
En effet, les 27 ministres de l’Union Européenne expliquent que la société Wagner et les sociétés qui travaillent directement avec elle, seront également sanctionnées. Lorsqu’on met en parallèle cette annonce avec le fait que la lutte contre les activités de cette société en Afrique est le leitmotiv du Ministre français des Affaires Etrangères Le Drian pour qui : « Cette société mène des actions de déstabilisation pour le compte d’autres. Et par ailleurs, se sert directement sur le pays et développe des actions de prédation. (…) », nul besoin de savoir traduire le De Bello Gallico pour comprendre les véritables enjeux qui fondent cette aide de l’Union Européenne à la CEDEAO qui sonne comme une douce musique à ses oreilles pour l’amener à une grande détermination pour mettre au pas les militaires maliens dans une guerre par procuration.
L’immixtion constante de puissances étrangères dans la définition des choix des pays africains a fini par créer à la longue une habitude mentale chez les Africains dont la CEDEAO à son corps défendant fait les frais. Pour ne pas perdre la confiance de ses populations, la CEDEAO doit donc affirmer son indépendance et ne participer qu’à des « guerres » pour et dans l’intérêt premier et supérieur des populations ouest-africaines. Il y va de sa crédibilité auprès des jeunes qui disposent de l’énergie pour manifester et prendre d’assaut les places et les boulevards pour défendre ce qu’ils pensent être leurs intérêts contre vents et marrées. Les militaires maliens et guinéens l’ont compris, il faut que la CEDEAO également le comprenne et crée les conditions pour pouvoir bénéficier de ce soutien populaire qui est en définitive sa seule source légitimité à vouloir présider aux destinées de la sous-région.
Moritié CAMARA
Professeur Titulaire d’Histoire des Relations Internationales