Dans son discours de meeting à Ficgayo, Laurent Gbagbo a lancé un défi audacieux : « Je suis candidat contre le quatrième mandat ».
Cette déclaration, à première vue un acte de résistance, révèle à l’analyse une tension complexe entre droit, démocratie et stratégie discursive . Elle porte en son sein une contradiction fondamentale.
Laurent Gbagbo se proclamant candidat tout en étant juridiquement inéligible, transforme son geste en un paradoxe politique où la rhétorique l’emporte sur la réalité institutionnelle.
Une candidature fictive : l’impossible éligibilité
Condamné pour sa complicité au casse de la BCEAO, Laurent Gbagbo est frappé d’une inéligibilité qui le prive de toute participation légale aux élections en Côte d’Ivoire.
Sa proclamation, selon la terminologie de J.L. Austin, s’apparente à un « performatif creux ». En d’autres termes, des mots qui résonnent avec force mais demeurent dénués d’effet juridique.
En se déclarant « candidat contre », Gbagbo ne propose pas une alternative viable au pouvoir en place, mais érige une chimère, une candidature fantôme qui n’existe que dans le verbe. Cette posture, purement rhétorique, ne vise pas à ouvrir les portes des institutions, mais à entretenir l’écho de sa propre voix dans l’arène politique.
Le mot « contre » comme subversion de la démocratie
Aristote définissait la démocratie comme un système où chaque citoyen peut, dans le cadre des lois, être alternativement gouvernant et gouverné.
Laurent Gbagbo, par son geste, renverse cette logique.
Il ne se présente pas comme un « candidat à » la gouvernance, mais comme un « candidat contre » un quatrième mandat qu’il juge illégitime, s’arrogeant ainsi le rôle d’un juge constitutionnel autoproclamé.
Ce refus, loin de s’inscrire dans l’élégance d’une compétition démocratique, apparaît comme une machination destinée à gripper la mécanique électorale.
Par ce message, il galvanise ses partisans en leur soufflant : « Point de quatrième mandat ! » Cette injonction, loin de proposer un projet, attise les tensions sociales et promet l’orage d’une crise électorale, où les passions risquent de fissurer les fondations mêmes du scrutin.
Le « jamais » comme absolu politique
Le terme « jamais », martelé dans son discours par l’affirmation « nous n’acceptons jamais », agit comme une barrière infranchissable, fermant radicalement le champ du débat politique.
En écho à la pensée de Carl Schmitt, qui définissait la politique par la distinction entre ami et ennemi, ce « jamais » trace une ligne de fracture nette.
Alassane Ouattara n’est plus un adversaire à affronter dans les urnes, mais un ennemi à exclure du jeu politique.
La candidature imaginaire de Gbagbo se mue alors en une candidature à la confrontation, voire au désordre , l’arme électorale lui étant juridiquement interdite.
Ce positionnement transforme le processus démocratique en un champ de bataille symbolique, où le refus devient la seule arme.
Une dérive du débat politique
Cette déclaration s’inscrit dans une dérive plus large de la scène politique ivoirienne, où la rhétorique du rejet prend souvent le pas sur l’adhésion aux règles démocratiques.
La candidature de Laurent Gbagbo n’est pas une proposition de gouvernance, mais un acte symbolique de résistance qui réduit la démocratie à une dialectique du refus.
En se disant « candidat » tout en étant inéligible, il transforme le processus électoral en un théâtre de confrontation symbolique, où le mot « jamais » devient l’alpha et l’oméga d’un programme inexistant.
Cette posture révèle une transformation majeure : en Côte d’Ivoire, la politique n’est plus seulement une arène de compétition pour le pouvoir, mais un théâtre où l’on se proclame champion du refus, du déni et du désordre.
Kalilou Coulibaly. Doctorant EDBA, Ingénieur