A la suite du dernier conseil de ministres, les démolitions et autres destructions des quartiers précaires d’Abidjan sont désormais mis en suspens. Plus de machines à casser dans les rues de la ville. Donc, stop au projet d’embellissement de la ville. La goûte d’eau ayant débordé le vase étant venue d’un affrontement de deux équipes de deux pontes du pouvoir qui ont raté de peu pour s’abattre à l’abattoir de Port-Bouët. Et pourtant, il faut désengorger Abidjan. Il faut retracer la ville pour lui coller son vrai nom de Perle des lagunes. Il y a 170 ans, sous le Second Empire, la France l’a fait. Paris, première moitié du XIXe siècle : une population qui dépasse le million d’habitants, des rues étroites, sinueuses et mal éclairées, des épidémies, dont une de choléra en 1832. Il est littéralement impossible de traverser en ligne droite la capitale du nord au sud ou d’ouest en est, tant les contournements de tel édifice ou de telle maison sont nécessaires. Louis-Napoléon, rentré de son exil londonien en 1848 et élu président de la République française, avait été fortement impressionné par l’architecture aérée et moderne des quartiers ouest de la capitale anglaise, reconstruite à la suite de l’incendie qui l’avait ravagée au XVIIe siècle.
Pour lui, c’est le modèle à suivre.
Devenu empereur, Napoléon III cherche l’homme de la situation, capable de faire aboutir son grand dessein urbanistique pour Paris. Son ministre de l’Intérieur, Victor de Persigny, lui présente Georges Eugène Haussmann, alors préfet de la Gironde. À ce poste, Haussmann s’est notamment illustré par des opérations d’embellissement de Bordeaux : percement de nouvelles voies rectilignes, réfection de l’éclairage au gaz et de l’adduction d’eau (via la construction de trois fontaines monumentales). Napoléon III apprécie les initiatives d’Haussmann, qui est alors nommé préfet de la Seine le 22 juin 1853, avec comme première mission d’« embellir Paris ». Les travaux sont colossaux, ils concernent d’abord la voirie. Au total, 64 kilomètres sont percés dans Paris. C’est ainsi que naissent des artères bien connues des Parisiens : notamment l’extension de la rue de Rivoli, le bd de Sébastopol, le bd Saint-Michel, l’aménagement des Champs-Élysées, l’avenue de l’Opéra (qui n’est d’ailleurs pas terminée sous l’Empire), etc. Des travaux qui conduisent à la disparition quasi complète des derniers vestiges de la ville médiévale de la capitale… à l’exception des églises. En dix ans, Haussmann fait également procéder à la destruction de 25 000 maisons et promeut la reconstruction de milliers d’immeubles du fameux « style haussmannien ». Comme quoi, on ne peut faire d’omelette sans casser les œufs. Abidjan sera difficilement là Perles des Lagunes comme on le souhaite, si aucune famille ne doit pleurer sa maison cassée.
Sam Wakouboué