Refonte d’Ivoir’santé, grogne des fonctionnaires, fraudes, le Président du conseil d’administration de la Mugef-ci, Mesmin Komoé, dit tout dans cette interview.
Vous avez, lors d’une AG, pris des décisions concernant la refonte d’Ivoir’santé. Peut-on savoir ce qui a motivé cela ?
Dès notre prise de fonction et après l’état des lieux que nous avons effectué, nous avons constaté que le produit complémentaire Ivoir’santé connaît des problèmes d’équilibre financier. Le total des cotisations ne pouvait plus couvrir les charges de prestations, alors nous avons commandé une étude actuarielle. C’est donc suivant les recommandations des actuaires que l’Assemblée générale mixte du 7 juin 2018 a adopté les principales résolutions notamment : la fixation de la cotisation au Régime Ivoir’santé à 15 000 Fcfa pour les mutualistes de moins de 40 ans et à 25 000 pour ceux de 40 ans et plus, les adhérents issus du portefeuille actuel du produit Ivoir’santé gardent le même taux de cotisation : 15 000 Fcfa ; la limitation du délai d’adhésion à trois ans pour les nouveaux fonctionnaires, à compter de leur premier mandatement ; l’ouverture à titre exceptionnelle et sans prorogation des souscriptions au produit Ivoir’santé du 1er juillet au 31 décembre 2018 à tous les fonctionnaires et agents de l’Etat en activité comme à la retraite ; la suppression des parts adhérents à savoir remboursement des tickets modérateurs pharmacie à compter du 1er juillet 2018 et l’interdiction pour les nouveaux souscripteurs au produit Ivoir’santé de déclarer des concubins ou des concubines.
Est ce que la décision d’augmentation de 4,5% au Régime de base est la bienvenue?
Pour rappel, dans le cadre de la politique de Couverture maladie universelle (Cmu), un décret a été pris pour instituer, à l’intention des fonctionnaires et agents de l’Etat, un régime complémentaire obligatoire au régime de base de la Cmu. Le décret vient répondre clairement à toutes les préoccupations des fonctionnaires et fixer la place de la Mugef-ci dans ce processus. La Mugef-ci ne va pas disparaître et les fonctionnaires ne paieront pas une seconde fois. Dans ses nouvelles missions, elle ne prendra plus en charge 70% des médicaments. La Mugef-ci va soustraire la cotisation qui était précomptée aux fonctionnaires au titre de son régime de base, pour payer la contribution de chacun des fonctionnaires au financement de la Cmu. Le reliquat des cotisations, après déduction de cette part allouée à la Cmu, va être utilisé par la Mugef-ci pour financer des prestations complémentaires à celles de la Cmu. C’est à ce système que les fonctionnaires seront obligatoirement assujettis dans le cadre de la Cmu. D’où l’appellation de « système complémentaire obligatoire » contenu dans le décret. La Mugef-ci couvre une population totale de bénéficiaires, adhérents en plus leurs ayants-droit, de près de 900 000 personnes.
La cotisation à la Cmu s’élevant à 1000 Fcfa par personne, cela signifie que pour le financement de leurs cotisations à la Cmu, il y aura à payer 900 millions de francs Fcfa. Lorsqu’on déduit 900 millions de 1,7 milliard, il restera acquis à la Mugef-ci la somme de 800 millions de Fcfa. Cette somme ne pourra évidemment pas permettre de continuer à offrir les prestations de base initiales qui l’étaient avec 1,7 milliard de francs Fcfa. C’est pourquoi, les actuaires préconisent une augmentation de 4,5% de la cotisation afin de permettre à la mutuelle de maintenir le confort dans l’accès aux prestations de ses mutualistes.
Des fonctionnaires s’opposent déjà à la mesure avant même son application…
La mesure prend effet dès le début des précomptes de la Couverture maladie universelle. Nous tenons à rassurer les mutualistes que l’augmentation de 1,5% représente un taux de 500 à 3000 Fcfa maximum pour le fonctionnaire. C’est un avantage pour les fonctionnaires contrairement aux autres bénéficiaires de la Cmu. La Cmu, c’est 1000 Fcfa par individu. Une famille de dix membres se retrouve avec une cotisation de 10 mille Fcfa par mois, ce qui ne sera pas le cas avec les fonctionnaires. C’est pour cela que nous proposons cet arrimage intelligent. Mais, le conseil d’administration que j’ai l’honneur de présider n’est pas réfractaire à cet arrimage. Seulement, nous demandons la modification du décret du 22 mars 2017 qui fixe le montant des cotisations. La complémentaire obligatoire est une bonne chose. Mais quand un décret fixe la cotisation des adhérents, il y a un problème avec le règlement communautaire car il stipule que ce sont les mutualistes qui fixent le montant de la cotisation.
Que répondez-vous à ceux qui s’inquiètent sur ‘’la bonne santé’’ de la Mugef-ci qui serait, selon eux, au bord du précipice ?
Non, la Mugef-ci n’est pas au bord du précipice malgré les déficits des exercices précédents. Elle demeure en règle vis-à-vis de l’ensemble de ses prestataires médicaux ainsi que de ses fournisseurs. Toutes les factures de prestations de services exécutées et de fournitures livrées ainsi que tous les engagements dûment contractés, sont honorés. Elle assure également une bonne maîtrise de ses dépenses de fonctionnement qui sont à 15% largement en dessous de la norme de 20% des cotisations fixées par le Règlement Communautaire. La Mugef-ci aujourd’hui, c’est plus de 1 500 000 feuilles de soins traités par an et près de 1 500 000 000 Fcfa de prestations payées le mois.
La révocation de l’ancien Dg a fait couler beaucoup d’encre et de salive, quelles sont les raisons qui ont motivé son départ ?
A ce sujet, je voudrais faire une précision. C’est le Conseil d’Administration qui nomme le Directeur général et il peut mettre fin à ses fonctions à tout moment selon les Statuts et Règlement intérieur de la Mugef-ci. Maintenant comme vous voulez des précisions et que nous n’avons rien à cacher, sachez que cette révocation est consécutive à la dégradation des résultats techniques et financiers de la Mugef-ci de 2012 à 2017 d’une part, et d’autre part, d’une faiblesse criarde dans le management organisationnel ayant entraîné un climat délétère et démotivant à la Mugef-ci. Je voudrais souligner que ce n’est pas moi qui le dis, c’est l’audit mené par le cabinet Deloitte qui a fait ce constat.
Par ailleurs, pendant que la Mugef-ci traverse les moments de déficit et que le Conseil d’Administration a consenti au sacrifice de baisser de façon drastique ses indemnités, le Directeur général réclamait une augmentation de son traitement rétroactif avec rappel de 2013 à 2017. En outre, sur le processus électoral, alors que le Conseil d’Administration avait adopté un budget de 371 millions de Fcfa couvrant l’ensemble du processus, sans s’en référer à l’audit conseil, il a autorisé un dépassement avoisinant les 200 millions de Fcfa.
Peut-on en savoir un peu plus sur le nouveau Dg ?
Le nouveau Dg s’appelle Traoré Brahima, économiste de la santé et expert en mutualité sociale. En Côte d’Ivoire et dans la sous-région, il est connu par tous les acteurs de la mutualité sociale. En Côte d’Ivoire, il a accompagné de nombreuses structures publiques et parapubliques notamment le Fonds de prévoyance militaire (Fpm), le Fonds de prévoyance de la police nationale (Fppn), la Mutuelle des Douanes de Côte d’Ivoire (Mudci), la Mutuelle des agents de la Direction Générale des Impôts (Madgi), l’UNACOOPEC-CI, la Rti, le Cnra, l’Anader, la Sodexam, la Sir etc., dans la mise en œuvre de leur mutuelle de santé. En avril 2010, il est retenu par le ministère de la Famille, de la Femme et des Affaires sociales en qualité d’expert-national en Mutualité sociale et Vice-président du Comité d’organisation de l’atelier d’information et de sensibilisation sur le Règlement communautaire de la mutualité sociale dans l’espace Uemoa.
Son expertise en mutualité sociale est reconnue par les experts mutualistes de la sous-région. Depuis février 2013, il est membre du Groupe de Travail Restreint du Comité Consultatif de la Mutualité Sociale (GTR/CCMS) de la Commission de l’Uemoa en tant qu’expert en mutualité sociale chargé d’élaborer les projets de décisions relatifs aux ratios prudentiels de répartition des excédents, aux indicateurs et aux normes de fonctionnement, de gestion et de viabilité des mutuelles sociales. Il a appuyé également la Mutuelle des agents de l’administration douanière du Burkina Faso (Maado), les acteurs du projet santé pour tous en Guinée, la mutuelle Transvie du Sénégal etc. Consultant rigoureux, minutieux et méthodique, il a assisté l’Agence ivoirienne de Régulation de la Mutualité Sociale (Airms) en qualité d’Assistant technique depuis Février 2015.
Vous êtes plusieurs fois revenu sur les fraudes au niveau de la Mugef-ci. A combien peut-on évaluer les pertes causées par ces personnes à votre Mutuelle ? Les avez-vous identifiées et que leur réservez-vous concrètement ?
Nous le savons, il y a eu des abus. Nous continuons la sensibilisation au quotidien car les risques moraux se sont multipliés. Des mutualistes s’adonnent à des utilisations frauduleuses avec leur carte de mutuelle en faisant bénéficier des prestations des personnes qui ne sont pas des ayants-droit. La fraude a augmenté, elle se chiffre à près de 30% des charges de prestation. Donc il faut que les mutualistes soient davantage responsables, qu’ils se comportent avec leur mutuelle comme un bon père de famille le ferait. Nous lançons aussi un appel aux médecins prescripteurs. Ils sont des ordonnateurs de dépenses de la Mugef-ci puisque tout part d’eux. Si certains médecins continuent de pré-signer des bons de mutuelle comme c’est le cas actuellement, cela équivaut à signer des chèques en blanc pour faciliter la fraude et les abus de toutes sortes.
Quelles sont vos perspectives pour la Mugef-ci ?
Les perspectives sont bonnes. Avec les dernières décisions de l’Assemblée générale, nous espérons retrouver très rapidement l’équilibre financier du produit Ivoir’santé. Sous notre mandat, le développement de la mutuelle va se poursuivre et s’intensifier. Déjà, nous aurons dans quelques jours le centre optique mutualiste, le processus de réalisation de la carte unique et intelligente qui nous permettra de maîtriser les prestations de la mutuelle est en net progression et les mutualistes auront leurs cartes avant la fin de l’année.
Peut-on en savoir un peu plus sur le magasin d’optique et la carte intelligente?
Le magasin d’optique est en finition, nous allons le livrer au cours de ce mois de juillet 2018 aux mutualistes. Concernant la carte unique et intelligente, nous pouvons vous rassurer que les premières cartes seront disponibles dès le mois d’août et son volet monétique d’inclusion financière sera déjà opérationnel. Le pilote du volet santé de la carte intelligente démarrera dès début octobre.
Lorsque vous avez été élu, vous avez tendu la main à vos adversaires mais l’on remarque qu’ils ne sont pas à vos côtés. Qu’est ce qui explique cela ?
Nous continuons de tendre la main. Nous aurons à ce sujet des échanges avec toutes les organisations de fonctionnaires. Nous restons ouverts et demandons leur franche collaboration.
Réalisée par Napargalé Marie