À moins d’un an de l’élection présidentielle de 2025, les ambitions personnelles au sein du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) mettent à rude épreuve l’unité du vieux parti et l’héritage d’Henri Konan Bédié. Tidjane Thiam parviendra-t-il à faire rentrer Jean-Louis Billon dans le rang ?
Jean-Louis Billon ne répondra pas à la convocation du conseil de discipline du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), le 4 décembre à Abidjan. Dans un courrier officiel adressé à sa présidente, Me Lynda Dadié-Sangaret, son avocat évoque « un déplacement à l’étranger prévu de longue date » et sollicite un report au 9 ou au 10 décembre. L’ancien ministre du Commerce (2012-2017) est appelé à s’expliquer sur des « actes d’atteinte à l’unité du parti et d’insoumission [aux] décisions du parti ».
Il est en effet décidé à en être le candidat à l’élection présidentielle d’octobre 2025, en dépit du fait que son président, Tidjane Thiam, porte les mêmes ambitions. En coulisses, plusieurs médiations ont cours. Une délégation de personnalités du Grand Nord, dont est issu Jean-Louis Billon, a ainsi entrepris des démarches informelles auprès du parti pour suspendre la procédure disciplinaire. Ces intervenants ont proposé, lors d’une réunion le 2 décembre, une résolution à l’amiable du différend. Sans succès pour le moment.
Les « sages » en première ligne
À moins d’un an de la présidentielle de 2025, cette lutte interne fait résonner de manière particulière les derniers conseils d’Henri Konan Bédié (HKB) aux cadres du parti : « Que vos ambitions personnelles n’entravent en aucune manière la marche collective. » Si Tidjane Thiam en a été élu président avec un peu plus de 96 % des suffrages, l’ambition présidentielle affichée de Jean-Louis Billon n’en finit plus de créer des remous. « La posture politique de Jean-Louis Billon pose un grave souci au PDCI », analyse le politologue Geoffroy Julien Kouao, qui préconise l’organisation de primaires « pour éviter l’implosion ». Comme lui, d’autres cadres du parti militent pour de telles élections, à l’instar de Maurice Kakou Guikahué, l’ex-bras droit de Bédié.
Face aux divisions au sein du plus vieux parti de Côte d’Ivoire, un groupe « informel » de sages s’est constitué. « La barque tanguait et continue de tanguer », confie l’un des membres de ce comité composé d’une dizaine de personnalités, comme les anciens ministres Moïse Koumoué Koffi et Assana Sangaré, ainsi que l’ex-ambassadeur aux Nations unies Youssoufou Bamba. Coordonné par Kouamé Kra, secrétaire exécutif adjoint en charge des délégations extérieures et de la diaspora, ce groupe de « bons samaritains », dont le but est « la recherche d’un consensus entre le président Thiam et les autres membres du PDCI », a déjà entrepris plusieurs démarches, notamment une rencontre avec Jean-Louis Billon le 8 octobre. « Nous ne sommes mandatés par personne », précise l’un des médiateurs. « C’est comme dans une famille. Quand on voit que les choses ne vont pas, on n’a pas besoin d’être missionné pour agir. »
Sauf que trois jours plus tard, le 11 octobre, le député Kouassi Kouakou Eugène a demandé une première fois la convocation de Jean-Louis Billon devant le conseil de discipline. Sa demande a été rejetée pour vice de forme. La rupture a cependant été vite consommée, après que le député de Dabakala a accordé le 24 octobre une interview fleuve au quotidien Fraternité Matin. Il y qualifiait notamment la nouvelle direction d’« inexpérimentée » et affirmait qu’« il ne se passe pas grand-chose au parti » depuis l’arrivée de Tidjane Thiam. Le lendemain, dans une lettre cinglante, Sylvestre Emmou, le secrétaire exécutif, a dénoncé une « propagande personnelle ostentatoire » et une « campagne prématurée », accusant Billon d’être « en mission contre les intérêts du parti ».
Bédié autrefois contesté
Malgré tout, les cadres du PDCI tentent de donner le change. « Ce que certains qualifient de crise n’est en réalité qu’un choc des ambitions naturelles dans un grand parti comme le nôtre. La démocratie interne s’en trouve même renforcée », tempère ainsi le député Marius Konan, proche de Maurice Kakou Guikahué. Pour l’homme d’affaires Hamed Koffi Zarour, qui a récemment rejoint le parti fondé par Félix Houphouët-Boigny, « l’intérêt supérieur du PDCI et de la Côte d’Ivoire exige que nous dépassions les querelles internes pour construire un avenir commun ».
Cela est-il encore possible d’ici à 2025 ? « L’héritage de Bédié, c’est un PDCI vivant », affirme Simon Doho, président du groupe parlementaire du PDCI-RDA. Face aux divisions actuelles, il évoque la métaphore traditionnelle du balai : « Les brindilles séparées sont inefficaces, mais ensemble elles forment un outil puissant. » Il souligne que Bédié a toujours privilégié le dialogue et la paix. Et pourtant, l’autorité du « sphinx de Daoukro », à la tête du parti de 1994 jusqu’à son décès en août 2023, a été contestée à plusieurs reprises. Il en est ainsi de Gnamien Yao, qui a été radié pour avoir contesté l’éligibilité de HKB en 2009, ou encore de Kouadio Konan Bertin en 2020.
Sa succession et le processus de renouvellement générationnel ont débouché sur des tensions avec certains, après l’élection de Tidjane Thiam avec 96,5 % des voix en décembre 2023, à Yamoussoukro. Au début de la même année, une discrète tentative de rapprochement avait pourtant été initiée entre les équipes de l’ancien directeur général de Crédit Suisse et Jean-Louis Billon, quelques semaines après le retour du premier à Abidjan. Une rencontre a eu lieu entre les différents émissaires, aboutissant à une prise de contact entre les deux hommes.
Après le décès d’HKB, c’est Aziz Thiam, le frère de Tidjane, qui a contacté Jean-Louis Billon pour solliciter son soutien en faveur de son frère. « Ces personnalités attendaient que le président Thiam les appelle dès son retour en Côte d’Ivoire. Cela n’a pas été le cas », confie une source proche du dossier. Le 19 décembre 2023, quatre jours après la suspension et le report du congrès extraordinaire par la justice ivoirienne, Kouassi Kouamé Patrice dit KKP, l’actuel maire de Yamoussoukro, a fait une nouvelle tentative de dialogue. À son initiative et à celle du député Jean-Michel Amankou, une réunion s’est tenue dans un hôtel à Abidjan. Les deux rivaux y ont participé, mais là encore, n’ont pas réussi à s’entendre.
« Ce n’est pas un jugement »
Aujourd’hui, l’affrontement est monté d’un cran. Le 28 novembre, Jean-Louis Billon a donc reçu l’appel d’un huissier qui a tenté de lui remettre une convocation devant le conseil de discipline du PDCI. Ce jour-là, il siégeait à l’hémicycle pour l’adoption du budget 2025. Il s’est ensuite rendu au Salon international des ressources extractives et énergétiques (Sirexe) en compagnie de la députée de Cocody Yasmina Ouegnin. C’est finalement l’un de ses proches qui est allé retirer le document.
Entre Tidjane Thiam et Jean-Louis Billon, l’impossible choix de Jacques Ehouo ?
Loin de faire profil bas, Jean-Louis Billon enchaîne les apparitions publiques : réception du Collectif des enseignants démocrates le 29 novembre, meeting à Andokoi-Yopougon le 30 novembre malgré l’opposition de la délégation locale du PDCI. « C’était prévisible », analyse un cadre du parti. « Ils vont juste lui rappeler la déontologie, les règles internes et la nécessité d’être tous ensemble. Ils vont l’écouter et lui rappeler les règles. Ce n’est pas un jugement».
Jeune Afrique