Drôle. L’adjectif revient à chaque conversation sur Le Sky. « Franchement, il me casse de rire », se marre Gossou, 20 ans. « Il utilise plein de gros mots en nouchi (l’argot ivoirien de la rue, ndlr) dans son rap, il « n’arrête pas de parler de sexe ! » rajoute l’étudiante de l’université catholique de l’Afrique de l’Ouest, mi-gênée, mi-hilare avant de fredonner « Djinzin » l’un des morceaux du rappeur.
Génération DIY
Natif de Yamoussokro, Dieudonné Daniel Gany, son vrai nom, baigne dans les ordinateurs, les jeux vidéo et le coupé-décalé dès son plus jeune âge. « Mes stars, c’étaient DJ Arafat, Serge Beynaud, j’écoutais que ça » se souvient le fils d’informaticien, arrivé dans le hip hop par hasard. Avant d’être chanteur, Le Sky est surtout un pur produit de la génération Do It Yourself. Par intérêt et par curiosité, il s’autoforme dès l’adolescence à l’utilisation de FL Studio, l’un des logiciels les plus connus de création de musique son souhait : produire du coupé-décalé. « Sauf que mes potes du lycée, ils étaient plus dans le rap, ils écoutaient PNL, Booba, ils faisaient des freestyles… », rembobine le débrouillard. « Alors comme les instrus de coupé-décalé, c’était très complexe, j’ai commencé à sortir des beats de rap. » Peu à peu, Le Sky décide lui-même d’écrire ses textes et de les chanter, en tirant son inspiration des conversations avec ses amis « Au début, c’était nul » admet-il, « j’envoyais mes morceaux à une fille de mon quartier, elle me disait juste d’arrêter ».
Révélation avec L’Organisation
À l’époque, Le Sky s’enregistre lui-même avec son smartphone, oreillettes branchées pour entendre les beats. Ces maquettes, il les partage ensuite à son groupe de potes de la cité d’Adjamé Chicane à Abidjan. Fin 2019, deux démos aux rythmes répétitifs, aux refrains entêtants et aux textes explicites sortent du lot : « LPFOPC » et « Jeux de reins ». Elles sont très vite suivies de vidéos amateurs tournés aux smartphones, premières traces de Le Sky sur YouTube. Des clips qui vont finalement devenir viraux à force de tourner sur les réseaux sociaux… jusqu’à arriver aux yeux et aux oreilles de Koffi Masta, ami et producteur de Widgunz. « Quand tu regardes les vidéos, elles peuvent paraître ridicules au premier coup d’œil » se rappelle le patron du label L’Organisation, « Mais moi, j’ai vu un gars passionné, qui arrive à faire de la musique sans moyens… et ça ne ressemblait à rien de ce que je connaissais. » Dès 2020, L’Organisation prend Le Sky sous son aile, pendant que le rappeur mène un BTS (réussi) de géomètre-topographe. « Je peux dire que je connais le terrain », s’en amuse-t-il. « Ces études, ça me permettait surtout d’avoir du temps libre pour travailler mes beats. » La persona du rappeur s’affine : celle d’un fêtard, feignant, aux thèmes souvent en dessous de la ceinture. S’ajoute à cela des gimmicks comme le « Ouwô », un « cri » devenu signature vocale, ainsi que l’utilisation de l’Auto-Tune pour renforcer le timbre juvénile et nasillard du rappeur.
Succès underground
Le Sky enchaîne les clips courts pour occuper le terrain en permanence. Les mixtapes et EP se succèdent : Le Vrai cabri (2021), Ouwô Boy (2022), Le Sky is the limit (2023), Le Tchepô (2023), Mr Ouwô (2024), etc. La tracklist s’étoffe avec « Djinzin », « Méchant, méchant de Cocody » – l’une des chansons les plus connues du rappeur et qui devient l’origine d’une trend (« Demain, je menhai donner mon cui ») sur le Tiktok ivoirien. Sans promo, « Méchant, méchant de Cocody » atteint le million d’écoutes sur la plateforme Boomplay en janvier 2023. « Bien sûr que c’est une fierté », s’enflamme Koffi Masta. « On l’a fait en indé, en comptant sur le bouche à oreille… juste en rentrant dans les portables des jeunes. » La chaîne WhatsApp de Le Sky compte aujourd’hui près de 30 000 abonnés. Derrière son image, « Le Sky c’est un gros bosseur » assure Koffi Masta. En plus des concerts, de son autopromo, de « la vie avec [sa] go », Le Sky reste le plus souvent cloitré face à un ordinateur dans son home studio du quartier d’Angré. Entouré de cannettes de boissons énergétiques vides, il travaille ses maquettes la nuit sur FL Studio, et aurait « des dizaines » de morceaux en stock.
Passer une étape
Les fans de rap ivoire reconnaissent aujourd’hui la singularité de Le Sky. « Il a une place à part » estime Etienne, amateur. « C’est un style très différent des gros noms comme Himra ou Didi B. Tout le monde n’aime pas, mais c’est devenu un rappeur respecté », juge-t-il. Au point de se produire le 8 février prochain au mythique Palais de la Culture, et sa salle en plein air de 5000 places. « L’idée, c’est de passer une étape » explique Stéphane Dédi, du label Star Factory. « Le Sky a déjà rempli le Yelam’s (salle de 1500 places à Treichville, ndlr), et l’esplanade du centre commercial Cosmos de Yopougon… ça ne lui sert à rien de refaire des concerts là-bas. Mais il faut qu’il soit prêt », avertit le promoteur de concerts. Pour cela, le rappeur travaille depuis plusieurs mois avec le patron de Star Factory, Serge Beynaud, en plus de L’Organisation. L’objectif de la star du coupé-décalé : accompagner Le Sky en vue de la sortie de sa prochaine mixtape, pour le moment intitulée Le Vrai Cabri 2. Dans le même temps, le rappeur multiplie les apparitions sur les scènes et les plateaux TV. Les clips se sont professionnalisés, les chansons légèrement moins subversives. Ses titres récents « Son Cui » ou « Placali » sont diffusées sur le petit écran et en radio. De quoi vendre son âme d’indé ? « C’est son défi : parvenir à lisser son image… sans perdre son authenticité » analyse Koffi Masta. De quoi tester Le Sky et ses limites.
Rfi.fr.