L’appel à la désobéissance civile lancé par l’opposition pour empêcher l’élection présidentielle du 31 octobre 2020 s’est traduit par la commission, dans plusieurs localités du pays, d’actes de terrorisme, meurtres, coups et blessures volontaires, diffusion de nouvelles fausses, incendie de moyen de transport public de personnes, destruction par incendie de véhicules appartenant à autrui, vol et destruction du matériel électoral, apologie des crimes de meurtre, pillage et incendie, destruction d’édifices, troubles à l’ordre public, entraves à la liberté de circuler par la pose de barricades de toute nature sur la voie publique…
Pour situer les responsabilités afin que de tels actes ne puissent plus se reproduire, le gouvernement a mis sur pied une cellule d’enquête. En attendant les résultats, le journal L’Expression apporte de l’eau au moulin des enquêteurs sur le déroulement des événements dans le département de Tiébissou. La désobéissance civile démarre timidement le 12 octobre 2020. Face au peu d’engouement, la Jpdci urbaine monte au créneau pour secouer la base jugée trop amorphe. Le but recherché par les partisans de l’opposition, c’est la paralysie totale de la ville de Tiébissou afin de couper Bouaké et les villes du Nord du reste du pays. Le délégué Pdci, Kouamé Kouadio Séraphin, rencontre le président de la Jpdci rurale, Boha Jean-Luc ainsi que d’autres jeunes de la Jpdci rurale pour peaufiner la stratégie à mettre en place pour que le département de Tiébissou s’engage à 100% dans la danse de la désobéissance civile. Ce même 12 octobre, un élu du vieux parti, le député Assa Houphouët reçoit les jeunes de la Jpdci qui le rassurent quant à la chute inévitable du pouvoir Rhdp et de son président. «La fin du règne de Ouattara est très proche», fanfaronnent-ils. Rassuré, le député remet un peu de moyens aux meneurs et part se planquer à Yamoussoukro. Pour attendre patiemment la chute du ‘‘Bravetchè’’. C’est depuis la capitale politique, à 25 Km de son Tchéwi natal, qu’il suit l’application du mot d’ordre de Bédié, le président du Pdci-Rda, sur le terrain. Mais les jeunes peinent à mobiliser. Echec et mat ! Le coup est dur pour les organisateurs contraints de revoir leur stratégie. Une réunion secrète est convoquée au cours de laquelle la décision est prise de faire convoyer vers la ville, les jeunes des villages environnants.
Le 17 octobre, la tension, déjà palpable dans le département, monte de plusieurs crans quand le secrétaire d’Etat en charge de l’Enseignement technique et de la Formation professionnelle, Brice Kouassi, se rendant à Didiévi dans le cadre de la préparation de la rencontre entre le Président Ouattara et les chefs baoulé à Bouaké, est bloqué à un barrage tenu par des manifestants. Un gros arbre abattu lui barre la route. Les chefs, l’âme en peine, ne pourront pas effectuer le déplacement sur Bouaké. En application du plan commun, des centaines de jeunes des villages environnants convergent le 19 octobre, vers Tiébissou. Le jeune Boha Jean-Luc coordonne la marche en suivant les instructions du président du Conseil régional, Yobouet Kouamé Pascal. Mais les organisateurs ‘‘tapent’’ poteau. Deuxième échec ! Ils ne désespèrent pas. Une délégation est dépêchée auprès d’un opérateur économique de la région, propriétaire d’un complexe hôtelier afin qu’il mette des moyens financiers à la disposition des partisans de l’opposition. La mission est confiée à un certain Mesmin Irié, homme de main de Yobouet Pascal. Il faut, coûte que coûte, arriver à faire un blocus autour de cette ville carrefour. Pour appuyer les efforts des partis politiques et des associations de la société civile à la traine sur le terrain, un ancien fesciste est copté : Gérard Bohoussou. A peine son nom évoqué, les militants du Pdci s’y opposent. Arguant que ce dernier est une taupe du Rhdp. «C’est un espion du Rhdp qui viendra semer la zizanie dans notre stratégie. C’est le cousin direct d’un collaborateur d’un ministre, homme fort du pouvoir actuel. Animateur du mouvement ‘‘Job’’ (Jeunesse Ousmane Bamba), il a fait perdre le Pdci aux dernières élections municipales, il travaille toujours avec le maire N’Dri Germain même si, ces derniers temps, les relations se sont détériorées entre les deux hommes», chargent les détracteurs de Gérard Bohoussou. Il a fallu du tact à Ambroise Kouamé pour les convaincre qu’il leur faut de véritables meneurs d’hommes pour réussir leur combat.
Contre mauvaise fortune, les jeunes font bon cœur et acceptent Gérard Bohoussou en leur sein. Le noyau dur se donne rendez-vous dans le complexe hôtelier de l’opérateur économique pour mettre sur pied un vrai plan d’action. Les partis membres de la plateforme sont convoqués illico à la résidence du président du Conseil régional du Bélier en présence des cadres locaux du Pdci-Rda. Les députés Kouamé Victor et Assa Houphouët, N’Guessan Koffi Eugène (candidat aux législatives du 6 mars) assistent à la rencontre qui définit les actions concrètes à poser sur le terrain. Dans le canton Nanafouè (2e plus grand groupe ethnique), les présidents de jeunesse réunis dans le village de N’Gangoro se chargent de poser des corridors aux entrées et sorties des principaux villages : N’Gangoro, Taki-Salékro, Prôprônou, Kondrobo).
A dix jours de l’élection présidentielle, les organisateurs sont dos au mur. Il faut parer au plus pressé. Dans l’après-midi du 21 octobre, les partis de l’opposition et des membres de la société civile se concertent au domicile du président des jeunes, Yao Théodore. A l’issue de la rencontre, d’importantes décisions sont arrêtées. Entre autres décisions, les jeunes décident de faire tomber des troncs d’arbre sur les corridors, la zone de Prôprônou et d’Assuikro est confiée au jeune N’Guessan Koffi sous la supervision de Kouassi Ignace avec pour principal bailleur de fonds, Kouamé Victor, député sortant. La zone de N’Gangoro est sous le contrôle du président des jeunes de la localité, Seze Djanhan. Quant au village de Taki-Salékro, il est confié à un certain Alain. La sous-préfecture de Molonou tombe dans l’escarcelle du jeune Piazza, militant Fpi-tendance ‘‘Gor’’. Pour coordonner les actions, Kouadio Kouamé Séraphin est nommé porte-parole de la plateforme de l’opposition et de la société civile. Une cotisation exceptionnelle est levée pour financer les opérations. Sur le terrain, la nouvelle stratégie commence à porter ses fruits. La région devient hostile au Rhdp, le parti au pouvoir et à ses cadres interdits de campagne dans les villages. Des équipes munies de tronçonneuses sillonnent le département pour abattre les troncs d’arbre pour couper les principales voies de circulation. Racket, extorsion de fonds, intimidations sont le lot quotidien des usagers.
Le 31 octobre, le département de Tiébissou est déclaré « zone rouge». Barrages, routes coupées, urnes saccagées, matériel électoral bloqué, affrontements intercommunautaires… transforment la région en zone de guerre. On dénombre un mort, 27 blessés dont 13 atteints grièvement et transportés au Chu de Bouaké (centre Nord). «Il y a beaucoup de blessures par balles et aussi à l’arme blanche», a confié un militant du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix. La désobéissance civile est passée par là.
Correspondance particulière