Peut-on imaginer un seul instant, à l’approche de la présidentielle en France (mai 2021), voir la présidente du Front national, Marine Le Pen, passer un accord avec le Parti socialiste (PS) dans la seule intention de chasser le Président Emmanuel Macron du pouvoir ? Même dans leur rêve les plus fous, et quelles que soient leurs frustrations du moment, les Français, dans leur grande majorité, n’adouberont jamais cette alliance contre nature. Sous nos tropiques, et précisément en Côte d’Ivoire, ce qui paraissait impensable, il y a quelques années, est en train de prendre forme.
Si le président du Pdci-Rda, Henri Konan Bédié, voulait rompre totalement avec l’héritage du père fondateur Félix Houphouët-Boigny, il ne s’y serait pas pris autrement. En décidant, en effet, de tourner le dos à la famille houphouétiste, le Rhdp, que lui-même et le Président Ouattara ont patiemment bâti, pour se jeter dans les bras du Fpi de Laurent Gbagbo, le ‘‘Bouddha de Daoukro’’ commet là sa plus grosse erreur politique. Après l’épisode de l’ivoirité qui a fini par emporter son pouvoir, le 24 décembre 1999. Explication.
C’est une autre histoire de notre jeune démocratie qui s’écrit en ce moment à Daoukro : celle d’un parti, doyen de la scène politique nationale, qui n’arrive pas à assumer convenablement l’héritage idéologique que lui a légué Félix Houphouët-Boigny, le père fondateur. Par la faute des errements d’un homme : Aimé Henri Konan Bédié. En pilotant le projet d’alliance avec les refondateurs, Bédié et le Pdci prennent une nouvelle direction aux contours assez flous.
Un si long combat de diabolisation
Quelle est la vision politique et l’orientation idéologique de cette majorité que les deux anciens chefs de l’Etat comptent bâtir par rapport à la présidentielle de 2020 ?
A moins de deux ans de l’échéance 2020, cette opposition de tous les contraires peut-elle concevoir un programme commun de gouvernement digne de ce nom ? Pas si sûr, car le seul véritable programme des ‘‘anti Rhdp’’, c’est faire partir Ouattara du pouvoir. Le reste, on verra. En tendant la main à la refondation, ce n’est pas qu’un revirement.
C’est également un grand saut dans le vide. Notre regretté confrère de Le Patriote, Bakary Nimaga, dans un de ses nombreux articles, retraçait justement le long combat de diabolisation entrepris par Laurent Gbagbo et le Fpi contre le père fondateur et son principale arme de combat : le Pdci-Rda. « D’Houphouët Boigny à Bédié, écrivait-il, Laurent Gbagbo s’est acharné à salir le Pdci, à dénigrer ses cadres et à le détruire par des pratiques bien malsaines. Comment demander alors au Pdci de prendre langue avec son plus grand pourfendeur et adversaire ? La mauvaise foi a tout de même des limites à ne pas franchir. Même en politique! »
A presque 85 ans, Bédié a certainement des trous de mémoire. Qu’il nous soit permis, pour l’aider sur la route de sa nouvelle aventure, de lui faire quelques piqûres de rappel puisées dans le riche répertoire de la refondation. Voici ce que disait Laurent Gbagbo de son allié politique. « Il (Ndlr, Bédié) était incompétent, dictateur, quelqu’un qui faisait fi de l’avis de l’entourage, Henri Konan Bédié était tout ça à la fois. Il était franchement inapte à diriger notre pays.
Et ce n’est pas un sentiment nouveau chez moi. Cela remonte à notre première rencontre, en décembre 1990. Il était Président de l’Assemblée nationale et j’étais député. A la sortie de l’entretien, j’ai dit à mon épouse : cet homme-là n’est pas fait pour gouverner. Il est faible, léger, susceptible et, je pèse mes mots, intellectuellement incompétent. » Pascal Affi N’Guessan, président du Fpi, qui multiplie, ces derniers jours, les « va et vient » à Daoukro dans le cadre de la nouvelle plateforme de l’opposition, n’a jamais porté le leader du Pdci-Rda dans son cœur.
Le 5 mai 2002 à Daloa, alors Premier ministre, Affi avait tenu des propos particulièrement dégradants, voire injurieux à l’endroit de Bédié, à l’occasion de la « Fête de la liberté ». « Henri Konan Bédié, c’est un véhicule fatigué, dont les pneus ont été réchappés et bon pour la casse », disait-il. A propos de la réélection de Bédié à la tête du Pdci face à Fologo, Affi avait martelé que « le Pdci-Rda aurait dû choisir un autre personnage pour le diriger, eu égard au triste passé de M. Bédié ». Aujourd’hui, Affi et son parti sont prêts à retourner sans aucune gêne à la casse pour récupérer le vieux pneu réchappé pour espérer accéder au pouvoir en 2020. Qui ne se souvient de la célèbre boutade : « Le serpent n’est pas encore mort.
Ne laissez pas tomber le bâton » ? Après des années passées à tenter, en vain, de couper la tête du serpent, la bête fatiguée, a décidé de se faire hara kiri en rentrant dans la cage. Pour le grand bonheur du grand dompteur qui, depuis La Haye, tire les ficelles. Bédié et ses nouveaux amis sont à la manœuvre. Le couple pourra-t-il effacer un demi-siècle d’histoire parsemé de crocs en jambes, de peaux de banane et de noms d’oiseaux ? Souhaitons tout simplement un « heureux mariage » à ce couple que tout oppose.
Jean Roche Kouamé