La révolution numérique ne fait pas le bonheur de tous. Dactylographes et horlogers traditionnels sont sinistrés et disparaissent peu à peu.
A Abidjan, les quelques rares dactylographes publiques qui s’accrochent, tant bien que mal, à leur métier se trouvent à Abobo (Nord d’Abidjan). Plus précisément, devant le bureau de la Poste situé à quelques encablures de la mairie.
Solange Kouamé a choisi ce lieu où elle exerce son activité depuis dix-huit ans, avec un savoir-faire transmis par un ancien. Pour ne pas passer inaperçue, Solange, la quarantaine révolue a pris ses quartiers en plein air, sous un parasol et une table de fortune, adossée aux grilles de la Poste.
Voir cette jeune dame travailler est un plaisir car il lui suffit de quelques minutes pour satisfaire sa clientèle. Elle manipule avec habileté sa machine mécanique : la frappe rapide et légère, le retour du chariot et le tour est joué.
« Je fais des documents administratifs, factures, des demandes d’emploi, des cartes professionnelles, des profama etc.» confie-t-elle, fière d’avoir rendu assez de services à ses clients qui sont de toutes les générations.
Malheureusement, Solange Kouamé se désole qu’aujourd’hui ce savoir-faire subit de plein fouet les effets de la révolution galopante du numérique. Les clients qui avaient recours, il y a quelques décennies, à ses services, se comptent aujourd’hui, sur le bout des doigts. Conséquence : les revenus ont drastiquement baissé.
«Avant, un client pouvait venir taper toute une page à 500 FCFA. Aujourd’hui, quand tu lui dis de donner 500 FCFA, il va négocier jusqu’à 200 FCFA. Tu es obligé de le faire. A la fin de la journée, je peux avoir entre 1500 et 5.000 FCFA. C’est tellement insignifiant qu’il est difficile de louer un magasin», soupire-t-elle, sous ses lunettes noires.
S’adapter ou périr
Pour suivre le rythme de l’évolution numérique, Kouamé Solange a dû s’adapter. En plus de sa machine à écrire, elle a désormais une photocopieuse et un ordinateur. Un matériel qui lui permet de fidéliser sa clientèle.
Comme Solange, Angora Moïse exerce le métier de dactylographe depuis vingt-six ans. Mais contrairement à la dame, il hésite à prendre le train du tout numérique.
Sous son parasol, Angora scrute l’horizon en se tournant les pouces. La clientèle se fait rare.
L’homme regrette que le métier de dactylo ne fasse plus rêver la nouvelle génération branchée sur les nouvelles technologies.
« J’ai eu à former des dames. Aujourd’hui, pour avoir un emploi dans une entreprise, on te demande si tu as une formation en informatique, les jeunes ne s’intéressent plus au métier. C’est dommage», soupire-t-il.
« De nos jours, je ne peux pas demander à des proches d’apprendre la dactylographie. Ce n’est plus possible parce que cela ne leur servira à rien. Moi, je suis dans le métier, il y a longtemps. Je sais ce que ça peut me rapporter. Mais eux, c’est plus de leur époque », reconnaît le dactylographe blasé.
La dactylographie n’est pas la seule activité victime de la révolution numérique.
L’horlogerie, l’autre grosse victime
Le métier d’horloger est plus que sinistré. Dans les ateliers, le tic-tac des aiguilles semble s’être arrêté. Les montres à réparer qui s’empilaient sur les comptoirs ont disparu. Les clients ne se bousculent plus car la majorité préfère se fier à leur téléphone portable ou aux montres numériques.
La situation est devenue « insoutenable » à tel point que beaucoup d’horlogers traditionnels se sont reconvertis dans des activités plus florissantes.
N’Diaga Fall, résidant à Treichville (au Sud d’Abidjan), est nostalgique des bons moments de son petit métier d’horloger au Plateau. Face à la mort programmée de son gagne-pain, il s’est très rapidement reconverti dans la vente de chaussures. Un domaine plus lucratif, selon lui.
Bamba Hamed, une autre grosse victime qui a préféré tenter sa chance dans la vente d’accessoires et de réparation de portables à Adjamé. En changeant son fusil d’épaule, il a retrouvé le sourire qu’il a perdu depuis l’apparition des Nouvelles technologies de l’information et de la communication (Ntic).
«Je me suis très vite adapté et mon nouveau métier me permet de joindre les deux bouts. Ce qui n’était pas le cas il y a quelques années avec mon métier d’horloger. Je gagne entre 15.000 FCFA voire 35.000 FCFA par jour », révèle-t-il, le visage radieux.
Dans les écoles de formation aux métiers de dactylographie et d’horlogerie, un constat saute à l’œil : un désintérêt palpable des jeunes pour ces métiers.
Au Centre de formation en horlogerie d’Abidjan, seule école du genre en Afrique francophone, les jeunes ne se bousculent guère. Dans un entretien, la directrice, Kouakou Akissi, expliquait cette situation par « l’inadaptation de la formation et des techniques qui ne correspondent plus à l’évolution du marché ».
Le coupable est tout trouvé, l’inadaptation de la formation et des techniques qui ne correspondent plus à l’évolution du marché. Comme solution, elle souhaite que la main-d’œuvre soit préparée aux bouleversements entraînés par la révolution numérique. «Il faut créer une main d’œuvre avec des compétences pour l’avenir. Il faut aussi penser à mieux communiquer sur les métiers traditionnels tout en les adaptant aux évolutions actuelles», a-t-elle préconisé. En attendant les reformes, ces ‘‘petites mains’’ se meurent au profit du numérique qui continue d’étendre ses tentacules dans tous les secteurs d’activités. Pour le grand malheur des acteurs de ces petits métiers rangés dans les armoires du bon vieux temps.
Fulbert YAO (herrwall2007@yahoo.fr)