L’annonce est tombée comme un couperet : les autorités nigériennes ont décidé le vendredi 9 mai 2025, jusqu’à nouvel ordre, d’interdire l’exportation de bétail. Une mesure qui jette un froid sur les préparatifs de la Tabaski 2025 en Côte d’Ivoire, pays fortement dépendant des cheptels sahéliens pour subvenir à la demande locale en viande et en animaux de sacrifice.
Cette décision vient, il faut l’avouer- bousculer les prévisions. En effet, avec une production locale qui ne couvre que 44 % des besoins nationaux en viande et en abats, la Côte d’Ivoire s’appuie massivement sur les importations de bétail en provenance du Burkina Faso, du Mali et du Niger pour combler le déficit, notamment en période de forte demande comme la fête de la Tabaski.
À elle seule, cette célébration religieuse concentre une part significative de la consommation annuelle de bétail, estimée cette année à 160 000 moutons et 80 000 bœufs.
Or, la montée de l’instabilité politique dans les pays sahéliens, aggravée par des mesures comme celles du Niger, met à rude épreuve l’approvisionnement.
Face à la situation, le gouvernement ivoirien n’est pas resté passif. Il anticipe
Depuis 2022, la mise en place du Groupe de Travail du Suivi de l’Approvisionnement du Marché (GTSAM) témoigne d’une volonté politique claire : anticiper les risques, coordonner les acteurs de la filière et garantir la continuité logistique. Ce cadre de concertation a notamment permis de fluidifier les tracasseries routières, de renforcer les contrôles sanitaires et de sécuriser les sites de transit et de vente du bétail.
Mais c’est sur le terrain diplomatique que la Côte d’Ivoire a frappé fort.
Le 9 mai 2025, à Noé, localité frontalière du sud-est ivoirien, un accord inédit a été signé entre l’Organisation internationale agricole (OIA, gros ruminants de Côte d’Ivoire) et l’Association nationale des éleveurs et commerçants de bétail du Ghana. Objectif : diversifier les sources d’approvisionnement et contourner l’impasse nigérienne.
Cette alliance transfrontalière marque un tournant stratégique. Elle ouvre la voie à une collaboration durable entre deux voisins, unis par des intérêts agricoles convergents. Pour Issiaka Sawadogo, président de l’OIA, cette initiative s’inscrit dans la droite ligne des orientations du Premier ministre ivoirien, Robert Beugré Mambé, en faveur de la modernisation de la filière élevage.
Le Ghana, par la voix de Aladji Moro Akakadé, s’est engagé à jouer pleinement son rôle de partenaire de substitution, assurant aux consommateurs ivoiriens un ravitaillement à la hauteur des attentes. Au-delà de l’approvisionnement, les discussions ont porté sur la sécurité des transactions, la traçabilité du bétail et la simplification des procédures douanières – autant d’éléments clés pour une coopération fluide et durable.
En 2024, la Côte d’Ivoire a importé près de 194 900 tonnes de viande, toutes espèces confondues, pour une valeur de 167,7 millions de dollars. L’enjeu est donc aussi économique que social : maintenir les prix, éviter la spéculation, préserver le pouvoir d’achat des ménages et garantir la tenue d’un rite religieux central pour des millions de fidèles.
La crise actuelle met en lumière une nécessité structurelle : renforcer la production nationale de bétail pour réduire la dépendance aux importations. Si des efforts sont déjà en cours, la consolidation de la filière passe par des investissements massifs dans l’élevage local, l’encadrement des éleveurs, l’aménagement de parcs à bétail et la promotion de chaînes de valeur locales.
En attendant, la Tabaski 2025 se profile à l’horizon avec ses incertitudes, mais aussi avec une volonté politique renforcée de garantir la paix sociale autour du mouton.
Fulbert Yao