L’auto-entretien que Tidjane Thiam s’est accordé sur sa chaîne YouTube, repris par Le Nouveau Réveil du 14 octobre 2025, se voudrait un moment de clairvoyance politique.
Pourtant, derrière le ton posé et les apparences de maîtrise, transparaît une tension constante entre le discours moral et la falsification historique.
L’homme politique qu’il cherche à incarner se heurte encore au technocrate qu’il est, incapable d’assumer pleinement les contradictions de sa propre narration.
Le paradoxe narratif du moralisateur
Tidjane Thiam s’érige en porte-voix des libertés publiques et condamne la répression des manifestations interdites. Toutefois, cette posture, teintée d’un humanisme emprunté, révèle une incohérence morale.
En opposant la « bonne gouvernance » au « déploiement de forces », il établit une antinomie artificielle. L’ordre républicain n’exclut pas la fermeté. Il en dépend incessamment.
Ainsi, son discours moral relève moins d’une doctrine que d’une mise en scène rhétorique, une ruse destinée à vouloir se démarquer politiquement plutôt qu’à démontrer une réelle cohérence de pensée.
Houphouët-Boigny et la Baule : la mémoire réécrite
En invoquant le président Félix Houphouët-Boigny, Thiam s’efforce d’ancrer sa légitimité dans une filiation symbolique. Il affirme que le « Vieux » a autorisé Laurent Gbagbo à se présenter contre lui en 1990, comme gage de tolérance et d’amour du pays.
Or, la réalité historique contredit ce tableau. Houphouët Bobigny n’a pas choisi le multipartisme par conviction, mais sous la pression de facteurs contraignants complexes.
Plutôt qu’un acte de foi libérale, cette décision de Houphouet Bobigny fut un geste de maîtrise. Il s’agissait de canaliser le changement, non de le subir.
En idéalisant ce moment, Tidjane Thiam déforme le legs houphouétiste et le réduit à une figure morale, vidée de sa subtilité politique. Quel dommage.
La logique de l’incompatibilité : un miroir retourné
Tidjane Thiam reproche à Alassane Ouattara de confondre longévité au pouvoir et vitalité démocratique. Pourtant, sa propre attitude au sein du PDCI contredit cette critique. En s’imposant comme candidat unique, il a privé son parti d’un débat interne qui aurait pu en renouveler les élites et raviver la confiance des militants.
Ainsi, la logique qu’il brandit contre le président Ouattara se retourne contre lui.
Si la légitimité découle réellement du peuple, pourquoi avoir redouté l’épreuve du vote interne au PDCI ?
N’a-t-il pas, par orgueil ou calcul, empêché le PDCI de prendre part à cette présidentielle, préférant la posture solitaire à la confrontation démocratique ?
Sa dénonciation de l’hégémonie se transforme alors en justification de sa propre domination, fragilisant d’autant la portée morale de son discours.
L’Houphouëtisme véritable : rigueur, non incantation
Se réclamer de Félix Houphouët-Boigny, c’est d’abord accepter la discipline de l’ordre républicain. L’houphouëtisme historique ne tolère ni désordre ni improvisation. N’est-ce pas le président Houphouët-Boigny lui-même ne déclarait-il pas ceci : « Entre l’injustice et le desordre, je choisis l’injustice ! ».
Le disant, il valorise la hiérarchie, le respect des institutions et la stabilité. C’est d’ailleurs au nom de cette rigueur que des figures comme Laurent Gbagbo, Zadi Zaourou, Anaky Kobenan, etc. furent emprisonnées ou contraintes à l’exil dans les années 1980.
L’héritage d’Houphouët n’est donc pas celui d’une liberté sans règle, mais d’un équilibre exigeant entre autorité et dialogue.
Tidjane Thiam semble l’oublier lorsqu’il transforme cette doctrine en slogan pacifiste dénué de substance.
Le récit d’un héritier de raison
Sous les apparences d’un plaidoyer moral, l’auto-interview de Tidjane Thiam révèle une tension entre la fidélité revendiquée à l’héritage houphouétiste et la stratégie personnelle d’un dirigeant en quête de légitimité.
En réécrivant la mémoire politique de la Côte d’Ivoire pour mieux s’y inscrire, il discrédite son propre discours.
La posture de Tidjane Thiam dissimule mal les calculs d’une ambition travestie. Le récit d’un héritier de raison, mal inspiré, chancelle sous le poids de ses contradictions et finit par dévoiler la fausseté de la réalité qu’il prétend incarner.
Kalilou Coulibaly, Doctorant EDBA , Ingénieur