Il y a des questions qui, sous couvert d’une fausse ingénuité, trahissent davantage l’ignorance que la curiosité. Ainsi, lorsque Tidjane Thiam, en apôtre de la lucidité soudaine, demande au président Alassane Ouattara de faire le bilan de ses quinze années à la tête de la Côte d’Ivoire, on peine à contenir un sourire amusé.
Ce sourire n’est pas celui de la moquerie, mais plutôt celui que l’on réserve aux rhétoriques maladroitement stratégiques, aux feintes d’innocence qui trahissent, en réalité, une méconnaissance frappante ou une mauvaise foi savamment entretenue.
Si un bilan doit être demandé avec une telle insistance, c’est bien que celui qui le réclame n’a pas daigné observer ce qu’il y avait à voir.
Nul besoin de le dire à voix haute que pour interroger l’évidence, il faut avoir été éloigné des réalités ou s’être enfermé dans une posture de déni si obstinée, qu’elle en devient presque obsessionnelle . Car, convenons-en, pour s’étonner d’un changement, encore faudrait-il avoir été présent à son avènement.
Observer la Côte d’Ivoire depuis son balcon Suisse
Pendant que la Côte d’Ivoire avançait, Tidjane Thiam observait certainement depuis son balcon genevois, les bras croisés, songeur devant la brume du lac Léman. Loin du tumulte ivoirien, des chantiers qui poussent , des routes qui se tracent, des ponts qui s’érigent, des indicateurs qui grimpent, il a préféré cultiver l’art du scepticisme de salon, ce doute aristocratique qui sied tant à ceux dont l’éloignement confère une posture commode.
Mais comment peut-on juger l’évolution d’une terre lorsque l’on n’y a mis le pied qu’en visiteur lointain, en hôte de passage, en spectateur occasionnel ?
Il est piquant de constater que ceux qui, hier encore, regardaient la Côte d’Ivoire avec la distance pudique des exilés volontaires, s’étonnent aujourd’hui de ne pas en reconnaître les contours. Mais faut-il s’en étonner ? Après tout, si l’on passe quinze ans à regarder ailleurs, il est naturel d’être surpris par ce qui a changé en son absence.
Plus amusant encore, Tidjane Thiam qui réclame un bilan se croit en position d’arbitre, distribuant bons et mauvais points sans s’apercevoir qu’il n’a aucune autorité à le faire comme l’électeur qui est le témoin direct des réalisations de Alassane Ouattara.
Une stratégie de l’amnésie sélective
Ce questionnement répond plus d’une stratégie savamment calculée que d’un doute. Car si l’on feint de ne pas voir, si l’on exige un bilan comme un professeur interroge un élève timide, c’est bien pour semer l’idée que ce bilan pourrait être douteux, ceci est une vieille recette politique consistant à poser la question non pas pour obtenir une réponse, mais pour suggérer qu’elle pourrait être embarrassante.
Une manière habile de jeter le trouble dans l’esprit de l’opinion publique, d’introduire subrepticement le doute sur ce qui, autrement, serait une évidence.
Mais cette feinte d’amnésie a ses limites. Car la Côte d’Ivoire n’a pas attendu une question posée sur un plateau de télévision pour exister et évoluer.
Elle n’a pas eu besoin d’un retour théâtral pour construire ses routes, développer ses infrastructures, stabiliser son économie ou moderniser ses institutions. Le silence de celui qui était loin ne rend pas le progrès invisible, il ne fait que révéler son propre éloignement.
Si Tidjane Thiam n’a pas vu ces changements, c’est peut-être qu’il ne les a pas cherchés. Ou pire, qu’il ne voulait pas les voir. Il est toujours plus facile d’ignorer ce qui ne sert pas son récit. Et dans cette posture, le scepticisme devient une arme, l’aveuglement un outil, et l’indifférence un calcul. Demander un bilan, ce n’est plus s’informer, c’est insinuer. Ce n’est plus chercher la vérité, c’est la modeler selon ses intérêts.
L’Ivoirien de passage et le musée des Souvenirs
Il existe des hommes qui reviennent dans leur pays comme on visite un musée. Avec un regard d’explorateur égaré, cherchant à retrouver une époque révolue, s’étonnant que le paysage ait changé, que les rues aient été redessinées, que les visages aient rajeuni.
Tidjane Thiam a figé la nation dans un instant du passé, c’est-à-dire une Côte d’Ivoire d’avant sa fuite , un pays qu’ils croyaient immobile, attendant patiemment son retour pour reprendre vie.
Mais le monde ne fonctionne pas ainsi. Les nations avancent, les peuples se transforment, les économies évoluent.
Ce que Tidjane Thiam semble ignorer ou feint de ne pas comprendre, c’est que la Côte d’Ivoire ne l’a pas attendu pour se moderniser. Elle n’a pas suspendu son souffle en espérant le retour du fils prodigue. Elle a grandi, s’est relevée des crises, a construit des ponts et des autoroutes, a attiré des investisseurs, a consolidé ses institutions.
L’ironie ultime, c’est qu’en demandant ce bilan avec une morgue distante, c’est lui-même qu’il expose. Il révèle qu’il ne sait plus ce qu’est devenue la Côte d’Ivoire parce qu’il ne l’a pas vue évoluer. Il parle d’un pays qu’il croit connaître, mais qui ne ressemble plus à celui qu’il a quitté. Comme un voyageur nostalgique découvrant que la maison de son enfance a été rénovée, il est pris au dépourvu, cherchant ses repères dans un environnement qui lui échappe.
Mais la Côte d’Ivoire n’est pas un musée, et elle n’a que faire des visiteurs qui ne regardent que dans le rétroviseur. Elle avance. Avec ou sans ceux qui, trop occupés à scruter le passé, en oublient de voir le présent. Oui la Côte d’Ivoire sous le leadership du président Alassane Ouattara a su être résiliente.
Kalilou Coulibaly Doctorant EDBA, Ingénieur.