La vente de jus de fruits se repend à des coins de rues, dans les marchés du District autonome d’Abidjan. Leur mise en bouteille soulève des polémiques. D’où viennent les récipients dans lesquels sont conditionnées les boissons ?Les règles d’hygiène sont-elles respectées ? Dossier.
Vendus aux abords des grands axes de la capitale, leur prix oscille entre 250, 500 et 1000 Fcfa. Conditionnés dans des bouteilles de 0,45 ;0,5 ; un litre, 1,5 litres, les jus à base d’orange, d’ananas, raisins sont exposés sur des glacières. Ces fruits proviennent des marchés d’Adjamé, Yopougon, d’Abobo, de Marcory, de Port-Bouët, du quai fruitier situé dans la commune du Plateau etc. A Abobo, les vendeurs installés sous des hangars n’attendent que les potentiels clients. La marre de boue qui y est formée n’entame en rien leur volonté d’écouler leur produit. «De nombreux acheteurs viendront se ravitailler à la mi-journée. Hier nuit, un camion venu de Gagnoa a livré de nombreux fruits», déclare Abdoulaye K, grossiste. Aminata Coulibaly est vendeuse d’orange depuis 11 ans au quartier Plaque 1 (Abobo). En plus de vendre des fruits pellés, elle a renforcé son offre commerciale. En 2020, elle s’est offert un presse-agrume, pour vendre des jus de fruits. Le mardi 21 décembre 2021, elle a acheté pour 5.000 Fcfa d’oranges. Après s’être procurée de fruits, elle met le cap le secteur des vendeuses de bouteilles vides. «J’achète les bouteilles chez une seule personne pour vendre mes jus. Elle me propose des articles dont la propreté est garantie», affirme-telle.
Entourée de sacs en plastiques transparents, Awa K. installée à proximité d’une ruelle de Plaque 1 place minutieusement ses articles. Ils sont composés de bouteilles en plastiques, de flacons de parfums et de récipients en verres. «Je vends les bouteilles depuis plusieurs années. Les petites bouteilles d’eau (330 ml) sont vendues par tas de 5 à 100 Fcfa», déclare-t-elle.
Aminata Coulibaly assure s’approvisionner par ce circuit car les objets coûtent moins chers et on rencontre moins de tracasserie. «J’achète ma marchandise avec Awa parce qu’elle me revient moins cher. Ici, je choisis moi-même mes bouteilles», poursuit-elle.
Une provenance qui fait débat
La provenance de ces récipients suscite des interrogations et par la même occasion des inquiétudes. Awa K. certifie les désinfecter avec de l’eau de javel et les nettoie avec de la poudre à laver. «Je les trempe dans de l’eau de javel et du savon en poudre avant de les laver», garantie-t-elle. Cette méthode élimine-t-elle efficacement les bactéries ? La commerçante est incapable de le dire. Pour elle, c’est le rôle de l’eau de javel que de désinfecter les bouteilles.
Elles les achètent auprès d’enfants et d’adultes qui viennent les proposer contre une modique somme d’argent. Ces derniers les trouvent au cours des cérémonies de mariages, baptêmes et funérailles ou dans des poubelles, des buissons, sur les routes et même dans des bureaux. Moussa a 12 ans, avec ses amis, ils trainent toute la journée à la recherche de bouteilles. «Nous les prenons et les proposons aux tanties qui nous donnent 25 Fcfa pour 3 bouteilles», relate l’adolescent.
Sur le boulevard de l’Indénié à Adjamé, Zokou Rolande, vendeuse d’oranges se ravitaille auprès de Charles I., un trentenaire qui la livre une fois par semaine. Elle soutient ne pas connaitre l’origine de ces bouteilles, mais les préfère à ceux vendu sur les marchés. «Charles me vend le sac de 100 bouteilles à 7000 Fcfa. C’est plus économique et je sais que mes bouteilles sont plus propres comparées à celles des femmes qui utilisent les bouteilles d’eau minérale ou de boissons (sucrerie)», avance-t-elle. Des acheteurs rencontrés dans la ville font savoir qu’ils sont plus regardants sur l’environnement dans lequel travaillent les vendeurs. Assistant de direction, Solange Aka indique qu’elle scrute l’espace de l’étal du vendeur et ensuite ses bouteilles avant de s’en offrir.
Une hygiène douteuse
Selon elle, l’hygiène laisse à désirer pour les bouteilles d’eau. «Ils sont pleins de bactéries et impropres à une réutilisation. Les vendeurs ne les nettoient pas suffisamment avant d’y mettre le jus», déplore-t-elle. Un avis qui révolte Rolande Zokou, cette dernière martèle que seule une minorité de vendeurs ne prennent pas toutes les dispositions pour préserver la santé de leurs clients. «Nous consommons aussi ces rafraichissements, comment pourrions-nous les commercialiser dans des bidons sales ? Je ne sais pas pour les autres, mais moi je lave et rince proprement mes bouteilles», lance-t-elle. Pour éviter toutes les suspicions autour de la provenance des contenants, certains consommateurs produisent eux-mêmes leurs boissons à la maison ou achètent des fruits. Lassina Sanogo habitant à Treichville fait partie de ceux-ci. Il évite tous les produits mis en bouteille dans les rues. «J’ai acheté un presse-agrume à 50.000 Fcfa et ma femme l’utilise pour faire des jus pour toute la famille. Notre méthode nous évite de nous exposer aux maladies et aux produits de mauvaise qualité», explique-t-il.
Faire plus de bénéfices
Les vendeuses rencontrées dans le District d’Abidjan s’en tire à bon compte. De fait, autant la vente de fruit que la fabrication de cocktail leur rapporte des bénéfices. En effet, pas très confiante lors de l’acquisition de cet appareil électro-ménager (presse-agrume), Fatoumata Sidibé se frotte les mains. Pour cette jeune mère de famille, il est plus facile d’écouler les jus que les fruits. «Par jour, je peux vendre 20 bouteilles de 500 Fcfa à un rythme lent. J’écoule les fruits également de nombreux fruits, mais je cours des risques en utilisant mon couteau. Il arrive que je me blesse avec», développe-t-elle. La commerçante fait savoir qu’il faut entre 8 et 10 fruits pour faire une bouteille de 0,75 litre de jus d’orange.
En Côte d’Ivoire, les fruits inondent les marchés entre les mois de mai et de juillet. Le pays ne disposant pas d’infrastructures de transformation, ils s’abiment et sont mis à la poubelle. La production ivoirienne en termes d’agrumes est estimée à environ 41.000 tonnes par an, loin derrière les 16,5 millions de tonnes du leader Brésilien. Cette production est écoulée sur le marché local. L’utilisation de presse-agrume est donc salutaire, car elle permet de sauver une part importante de ceux-ci. De plus, le fait de presser les fruits directement devant le client permet d’instaurer une relation de confiance avec les acheteurs. Pour Maxime Kouassi, consommateur rencontré dans la commune d’Adjamé, les jus naturels ne contiennent pas de colorants et évitent de les «transporter partout. C’est plus discret. En plus, ils sont frais. On peut en consommer sans danger et sans modération», insiste-t-il. En dépit des critiques faites sur la propreté des bouteilles, la vente de jus naturel est en plein essor. Cette nouvelle habitude de consommation permet de les conserver en période de forte production.
Salimata Koné