À l’ouverture de l’audience, Assalé Tiémoko fut le premier à s’exprimer. Le député-maire a exposé les raisons qui l’ont poussé à enquêter sur la famille Traoré. Selon lui, tout serait parti d’une vidéo d’un cyber-activiste dans laquelle il se dit injurié par l’un des enfants Traoré. Convaincu de la véracité de ses soupçons, Assalé Tiémoko aurait découvert des irrégularités dans les actes de naissance de Cheick Traoré et de sa sœur. En effet, les documents indiqueraient que leurs parents, Traoré Moussa et Mariam Koulibaly, sont tous deux de nationalité guinéenne, une information qui aurait éveillé ses soupçons.
Selon Assalé, C’est après cela que il a pris l’initiative de saisir Monsieur le Procureur, en sa qualité d’Officier de police judiciaire, conformément à l’article 31 du code de procédure pénale:
« Cet article stipule que les Officiers de police judiciaire sont tenus d’informer sans délai le Procureur de la République de toutes les infractions dont ils ont connaissance.
N’ayant pas eu de suite , j’ai alors informé Monsieur le Procureur de ma volonté de poursuivre mes investigations afin de rassembler d’autres éléments nécessaires à l’élaboration d’une plainte directe.
C’est ainsi que j’ai décidé d’effectuer des recherches à la sous-préfecture de Tiassalé concernant le nommé Mohamed Traoré, né en 1984, sachant qu’à cette époque, la mairie n’existait pas. Mais je n’ai pas eu de résultat. Je me suis donc dirigé vers l’état civil de la mairie de Tiassalé.
Là, j’ai retrouvé les registres de déclaration de naissance du dénommé Cheick Fakouman Traoré, né le 3 juin 1990 à Tiassalé, fils de Moussa Traoré, né en 1956 à Kiniebakoro/Siguiri (Guinée), et de Koulibaly Mariame, née le 28 août 1967 à Makly-Faraba/Siguiri (Guinée).
J’ai également découvert le registre de naissance de Traoré Mahady, née le 2 juin 1993 à Tiassalé, fille de Moussa Traoré et de Koulibaly Mariame, née le 28 août 1967 à Makly-Faraba en Guinée.
Les déclarations de naissance ont été effectuées par les deux parents. En marge de la déclaration de naissance de Traoré Mahady, il est précisé qu’une décision du procureur de Tiassalé a modifié le « K » de Koulibaly en « C », tout en maintenant inchangées les autres informations relatives à la date et au lieu de naissance de la mère.
Monsieur le Président, c’est en m’appuyant sur ces informations que j’ai porté l’affaire devant le parquet contre les trois accusés, pour faux et usage de faux dans des documents administratifs, faux qui leur a permis de s’inscrire sur la liste électorale et j’ai produit toutes les preuves en soutien à cette plainte. en présentant l’ensemble des preuves. Voilà Monsieur le président, c’est que j’avais à déclarer. » Fin de déclaration.
Tous les documents mentionnés par le maire, y compris la carte d’identité nationale de la mère, les copies intégrales des déclarations de naissance des enfants, ainsi que la preuve des études supérieures de Fakouman Traoré en Guinée, sont remis séance tenante au président et au procureur, de même qu’à l’avocat des accusés, par l’avocat de la partie civile.
C’est que tous ces documents qui se trouvaient dans le dossier au moment de la plainte, avaient disparu tant de celui du président, que de celui du procureur.
Le Président a ensuite interrogé Monsieur le Procureur pour savoir s’il avait des questions à poser à Monsieur Assalé Tiémoko. Ce dernier a répondu par la négative.
L’avocat des accusés a soulevé une question pour le maire, lui demandant s’il pouvait prouver que les enfants Traoré Mahady et Fakouman Traoré avaient été déclarés par leurs deux parents.
Le maire a fait remarquer qu’avant la nouvelle loi sur l’état civil de 2018, il était obligatoire que les deux parents se présentent pour déclarer leur enfant, tandis qu’après cette date, il était devenu possible pour un seul parent de le faire.
L’avocat a insisté pour obtenir une confirmation du maire quant à la déclaration des enfants par leurs deux parents. Ce dernier a déclaré s’en tenir aux exigences de la loi.
Le maire a alors été autorisé à quitter la barre.
Après la déclaration du maire, le Président et le Procureur ont débuté l’instruction du dossier à la barre. Le premier accusé appelé à la barre est Mohamed Traoré.
Celui-ci a dit ne pas reconnaître les faits de faux et usage de faux qui lui étaient reprochés.
Interrogé sur le lieu et la date de naissance de sa mère, il a affirmé que sa mère n’est pas née en Guinée, mais née le 1er janvier 1967 à Ndouci, tout en reconnaissant qu’il avait la même mère et le même père que les deux autres accusés.
Lorsque le President lui demande d’expliquer comment sa mère, ayant son propre lieu de naissance en Guinée, pouvait être la même personne que celle déclarée à Ndouci, Mohamed Traoré a exprimé son incompréhension face à cette situation tout en reafirmant que sa mère « n’est jamais née en Guinée ».
Mais sur le feu roulant des questions, il a tenté, en des termes peu respectueux, de jeter le discrédit sur les autorités municipales, avant d’être vigoureusement rappelé à l’ordre par le procureur.
Cheick Fakouman Traoré est appelé à la barre.
Interrogé à son tour, Cheick Fakouman Traoré a également rejeté les accusations.
Concernant la date de naissance de sa mère, qui, comme la copie intégrale de son acte de naissance , est née le 28 août 1967 en Guinée et non le 1er janvier 1967 à N’douci, il a tenté d’expliquer que c’était en effet le numéro d’enregistrement de l’extrait de naissance de sa mère (N061 du 28 août 1967) qui avait été inscrit dans le registre d’état civil de la mairie de Tiassalé, évoquant ainsi une possible confusion.
Interrogé ultérieurement par le président à ce sujet, il a fini par abandonner cette explication, admettant qu’il était trop jeune au moment de cette transcription pour en être certain.
Suite aux déclarations de Mohamed Traoré, qui affirmait que leur mère était née à N’douci et non en Guinée, l’avocat de la défense a remis au procureur, au président, et à la partie civile, des photocopies de deux cartes nationales d’identité (CNI) de la présumée mère, Coulibaly Mariam, née le 1er janvier 1967 à Ndouci, ainsi qu’un extrait de l’acte de naissance de cette dernière délivré en 2005 et une photocopie de la CNI du présumé grand-père maternel, Balla Coulibaly, né à Ndouci en 1920.
Les deux CNI de la présumée ont été délivrées en 2009 et 2020.
Interrogé sur son inscription dans une université guinéenne après avoir obtenu son baccalauréat au lycée moderne de Tiassalé, Fakouman Traoré répond d’abord qu’il a dû utiliser une carte consulaire guineenne entre la 3e et la terminale de 2009 à 2012 au motif que sa mère avait des problèmes avec ses papiers au cours de cette période.
Il explique avoir pris en 2012 une carte consulaire guinéenne pour aller étudier en Guinée sous la pression de son père, car en 2012, trois générations d’étudiants ivoiriens étaient en première année à l’Université d’Abidjan, ce qui ne lui a pas permis d’y être inscrit, de sorte qu’il a dû aller poursuivre ses etudes en Guinée.
Le maire Assalé, via l’ ‘avocat de la partie civile, demande la parole après ces déclarations de Fakouman Traoré, pour souligner une incohérence selon lui.
En effet, alors que Fakouman Traoré affirme que sa mère supposée ivoirienne avait des problèmes de papiers entre 2009 et 2012 au point d’avoir été contraint de demander une carte consulaire guineenne, la CNI orange de la supposée mère présentée par leur avocat a été délivrée en 2009. Comment a-t-il pu agir ainsi alors que la mère possédait déjà une Carte d’identité Ivoirienne depuis 2009?
L’avocat des accusés intervient pour faire remarquer au maire que, en Côte d’Ivoire, les CNI peuvent être délivrées après plusieurs années et qu’il n’existe pas de preuve que jusqu’en 2012, la mère ait reçu sa CNI demandée en 2009.
A la suite de Fakouman Traoré, la nommée Traoré Mahady est appelée à la barre. Avant son interrogatoire par le président et le procureur, son grand frère Mohamed Traoré signale qu’elle ne comprend, ni ne parle le français.
Le procureur demande alors s’il y a dans la salle quelqu’un capable pour traduire les questions en Malinké pour Traoré Mahady. Un homme se manifeste, mais lorsqu’on l’interroge sur ses liens avec les accusés, declare : « Ce sont mes beaux. » Cet aveu entraîne sa recusation.
Une nouvelle fois, le procureur demande s’il y a quelqu’un capable de traduire du français en Malinke pour l’accusée. Après plusieurs minutes d’attente sans succès, un autre homme propose son aide, mais il est également recusé par les accusés, qui soutiennent qu’il serait « le chargé de communication du maire ».
Davant l’absence de traducteur, l’audience est suspendue.
À la reprise, le président revient dans la salle avec un homme qu’il se propose d’être le traducteur. Les parties n’ont pas d’objection à cela.
Cependant, lorsque le procureur pose sa première question à Traoré Mahady, elle répond correctement en français, révélant qu’elle comprend et parle bel et bien le français.
Après quelques questions, le traducteur se retire.
Finalement, Traoré Mahady affirme également que sa mère est née à N’douci le 1er janvier 1967, mais elle a été incapable de clarifier pourquoi, dans son acte de naissance, il est indiqué qu’elle que sa mère est née en Guinée.
L’audience est de nouveau suspendue.
À la reprise, le Président rappelle Fakouman Traoré à la barre pour clarifier un point sur son inscription dans une université en Guinée :
» Revenons sur votre parcours scolaire, car je n’ai pas totalement saisi vos déclarations. Après le baccalauréat, vous êtes donc parti en Guinée. Pourriez-vous expliquer cela plus en détail ?
Fakouman Traoré réitère sa réponse précédente.
Le président : Avec quelle nationalité êtes-vous parti vous inscrire à l’université en Guinée ?
Réponse de Fakouman Traoré : J’avais la nationalité guinéenne.
Concernant la pression qu’il aurait subie de la part de son père pour s’inscrire dans cette université, Fakouman Traoré est revenu sur sa première déclaration : « Je suis parti volontairement en Guinée ».
Les accusés peinant à éclaircir la situation concernant la naissance de leur mère en Guinée, leur père, né en 1956 à Kiniebakoro en Guinée et présent dans la salle, est alors appelé à la barre.
Après avoir présenté sa pièce d’identité guinéenne, on lui demande s’il reconnaît être le père des trois accusés.
Réponse de Moussa Traoré : « Ce sont mes enfants légitimes. Ils ont la même mère. J’ai eu sept enfants avec ma femme ».
Question : Votre femme est née où ?
Réponse : « Elle est née à N’douci ».
Question : Qui a déclaré les naissances des enfants Mahady Traoré et Fakouman Traoré auprès de l’état civil de Tiassalé ?
Réponse de Moussa Traoré : C’est moi-même.
Question : Dans ces déclarations, faites en 1990 et 1993, vous avez indiqué que votre femme est née en Guinée. Le reconnaissez-vous ?
Réponse de Moussa Traoré :Non, ma femme est ivoirienne, elle est née à N’douci.
Question : Si elle est née à N’douci, pourquoi avez-vous déclaré à deux reprises que votre femme est née en Guinée lors des déclarations de naissance de vos enfants ?
Réponse de Moussa Traoré : Lorsque j’ai fait la déclaration, j’ai utilisé les documents de ma belle-mère qui est guinéenne. La mère de ma femme est née en Guinée.
Question : Ce n’est pas ce qu’on vous demande. Vous affirmez que c’est vous même qui avez déclaré les naissances des enfants a l’état civil de la mairie en mentionnant que la mère des enfants est née en Guinée. Comment expliquez-vous cela ?
Moussa Traoré hésite.
Question : Lors des déclarations, avez-vous lu les informations transcrites avant de signer le registre ?
Réponse de Moussa Traoré : Oui, j’ai lu avant de signer.
Question : Vous avez bien indiqué à deux reprises, en 1990 et en 1993, que votre femme est née en Guinée, est-ce correct ?
Réponse :Oui, mais comme je le dis, j’ai utilisé les papiers de ma femme…
L’ avocat de la partie civile intervient pour une question et une observation.
-Monsieur Moussa Traoré déclare que ses enfants sont des enfants légitimes. Est-il marié légalement avec sa femme?
Réponse de Moussa Traoré: Non, je suis musulman et je me suis marié selon ma religion, c’est pour cela que je parle d’enfants légitimes.
A la suite de cette réponse, l’avocat fait remarquer que lorsque l’enfant est né dans une maternité, c’est avec le carnet de naissance remis par la sage femme et qui porte les informations sur l’identité de la mère, que l’enfant est déclaré à l’état civil par le père ou la mère.
Comment se fait-il donc que Moussa Traoré prétend qu’il aurait déclaré ses enfants avec les papiers de la maman de sa femme?.
Après ses observations, le procureur poursuit l’instruction à la barre.
Question : Les signatures qui sont sous vos déclarations dans les registres, ce sont bien vos signatures ?
Moussa Traoré hésite et demande à voir les signatures en question. Le procureur les lui présente. Les deux signatures identiques, sont dans deux registres d’état civil de 1990 et de 1993.
Question :C’est bien votre signature dans les deux registres ?
Moussa Traoré hésite puis répond : je ne me souviens plus mais si vous dites que c’est ma signature…
Le procureur :Ce n’est pas moi qui le dis. Reconnaissez-vous ces deux signatures, oui ou non ?
Moussa Traoré demande alors à la barre un stylo et une feuille pour signer de sa vraie signature. Ce que le tribunal n’accepte pas.
L’avocat des accusés prend la parole pour s’adresser à Moussa Traoré:
« Si vous ne reconnaissez pas ces signatures, vous devriez dire qu’elles ne sont pas les vôtres ».
Le président intervient : Maître, laissez-le répondre à la question.
Nouvelle question précise du procureur: Reconnaissez-vous les deux signatures, oui ou non ?
Réponse de Moussa Traoré: Non, je ne reconnais pas les deux signatures.
Finalement, Moussa Traoré, le père, va déclarer avoir quatre autres enfants nés respectivement en 1981, 1986, 1987 et 2000.
Il a précisé qu’il les a déclarés lui-même, non pas à l’état civil de la mairie de Tiassalé, mais à la sous-préfecture de Tiassalé.
Selon lui, c’est à l’état civil de cette sous-préfecture que se trouveraient ses vraies signatures.
Pour éclaircir cette situation, le président propose, avec l’accord de toutes les parties présentes, de renvoyer le dossier au 20 novembre, afin que Moussa Traoré produise les extraits des actes de naissance de ses quatre autres enfants, qui ont la même mère que les trois autres prévenus, ainsi que les copies intégrales portant sa « vraie » signature . Le procureur a également demandé la comparution à la barre à cette date, « l’oncle maternel » des prévenus, frère cadet de leur mère née à N’douci le 1er janvier 1967.
Fin de l’audience du 6 novembre.
Rendez-vous le 20 novembre.