La Chine, en quelques années, est en passe de devenir une grande puissance spatiale à l’instar de ses concurrents américains, russes, européens et indiens qui l’ont devancée dans la conquête du ciel. Ce « Grand Bond » dans le ciel va se concretiser avec la construction en 2022 de la station spatiale chinoise (CSS) baptisée Tiangong (« Palais céleste ») dont le premier nodule a été lancé le jeudi 29 avril 2021. Tianhe (« Harmonie céleste » en français), le premier module de sa future station spatiale chinoise, qui pèse 20 tonnes, sera le cœur de la future station et servira à la piloter. Long de 16,6 m et d’un diamètre de 4,2 m, cette station sera le lieu de vie des taïkonautes chinois. D’environ 66 tonnes, la station devrait compter au minimum trois modules. Un télescope spatial avec un miroir de 2,40 m de diamètre, comparable à Hubble doit notamment s’y intégrer. Le lancement de l’instrument est prévu pour 2024. « Palais céleste » évoluera alors en orbite terrestre basse, entre 340 et 450 km d’altitude. Sa construction nécessitera une dizaine de missions jusqu’à fin 2022. Elle servira de base à des opérations de plus grande envergure : missions habitées vers la Lune, tourisme spatial, sciences spatiales… », explique Chen Lan, analyste du site GoTaikonauts.com et spécialiste du programme spatial chinois. « Cela devrait lui permettre d’avoir une présence humaine permanente dans l’espace », ajoute-t-il.
CSS contre ISS
Jusqu’à présent, il n’y avait qu’une seule station spatiale en orbite autour de la terre, l’ISS gérée par la NASA (l’agence spatiale américaine). Comme la politique du « Grand Bon en avant » lancée par le père de la révolution à la fin des années 1950 pour transformer rapidement l’économie, la Chine veut rattraper son retard et dépasser ses concurrents dans la conquête de l’espace. Depuis les années 2000, Pékin enregistre des résultats spectaculaires dans un domaine jusque-là reservé à une short-list de pays. En 2003, le géant asiatique a envoyé son premier astronaute dans l’espace. En 2019, le pays a posé un véhicule sur la face cachée de la lune, une première mondiale jamais réalisée par les pionniers. En 2020, la Chine a rapporté des échantillons de Lune et a finalisé son concurrent du GPS. L’Empire du Milieu a aussi déployé un astromobile, Zhurong, à la surface de Mars en début d’année 2021 et prévoit d’envoyer des humains sur la lune d’ici 2030.
La Chine s’est résolue à construire sa propre station dans l’espace (Les taïkonautes, c’est le nom des spationautes chinois) après le refus des Etats-Unis de la laisser participer à la Station spatiale internationale (ISS). Cette dernière – qui réunit les Etats-Unis, la Russie, le Canada, l’Europe et le Japon – doit prendre sa retraite en 2024, même si la NASA a évoqué une prolongation possible. « Depuis l’amendement Wolf, en 2011, les États-Unis et en particulier la NASA ne peuvent pas, aujourd’hui, d’un point de vue légal, participer avec les Chinois à des entreprises spatiales sans autorisation express du Congrès américain », a fait savoir Paul Wohrer, chargé de recherches à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) et spécialiste de l’espace.
Mao lance le défi…
En réalité, l’ambition de la Chine de se faire une place dans l’espace ne date pas des années 2000. Dès les premiers moments de la révolution communiste, Mao Zedong avait annoncé les couleurs avant même que l’URSS ne lance Spoutnik dans l’espace. Le Grand Timonier estime en 1956 que son pays doit devenir une puissance spatiale pour « être reconnue au sein des grandes puissances, et être présente dans le nouveau monde qui est en train de s’ouvrir ». Mais la volonté de rattraper le retard économique et technologique, la Révolution culturelle, repousse l’écheance jusqu’en 1970 où la Chine va réussir le lancement de son premier satellite. Le programme spatial chinois va connaitre un coup d’acceleratuer à partir des années 80 avec l’arrivée au pouvoir de Deng Xiaoping. Grâce à sa politique de réformes et d’ouverture tous azimuts, le programme spatial chinois va véritablement prendre son envol, se structurer autour de programmes bien structurés et surtout ambitieux, avec des budgets beaucoup plus importants ». Depuis lors, Pékin rattrape son retard, avec des objectifs précis, dont le premier a toujours été le développement économique et social d’un pays immense avec des infrastructures terrestres pas aussi denses que dans les pays développés, que ce soient les télécommunications ou les outils d’aménagement et de gestion du territoire. Pour un pays ambitieux comme la Chine, il faut recourir à des données satelittes pour un amenagement efficace de ce pays-continent. Les retombées du programme spatial sont nombreuses – observation de la terre, télécommunications, télévision publique, météo, etc.
Le deuxième aspect du programme, « c’était la défense nationale », explique Marc Julienne, chercheur à l’Ifri et auteur de l’étude « l’ambition de la Chine dans l’espace », soulignant le caractère « dual » des applications spatiales, à la fois militaires et civiles. Il s’agissait pour Pékin de « défendre le pays contre des invasions extérieures, et la puissance américaine et russe à ses frontières ». Enfin, un troisième pilier est venu se greffer, « et qui est l’un des plus importants aujourd’hui » note le chercheur : « la compétition entre les grandes puissances. Les ambitions et les réalisations dans l’espace montrent la grandeur d’une puissance sur terre : pour la Chine, le spatial est une des voies de ses ambitions pour devenir une grande puissance mondiale».
La Chine, première puissance spatiale d’ici 2045
Evidemment, cette implantation des Chinois dans l’espace est vue d’un mauvais œil par les autres puissances soucieuses de preserver leur suprematie. Selon des spécialistes, Moscou voit cette montée en puissance avec « une appréhension mitigée ». Dans cette guerre dans l’espace, la Russie craint d’être coiffée au poteau par la Chine dans un secteur qu’elle a toujours dominé du temps de l’URSS.
L’Inde a quant à elle, une position de « défiance » vis-à-vis de la Chine, concurrente serieuse concernant l’influence régionale en Asie : New Delhi essaie de contrecarrer l’influence chinoise en proposant elle aussi aux autres pays asiatiques des coopérations spatiales.
Pour l’Europe, si la Chine continue de développer ses capacités commerciales dans la fabrication de satellites, elle sera un adversaire sur le marché commercial des lancements, où il y a déjà les lanceurs américains.
Les plus inquiets sont les Américains soucieux de voir la Chine acquérir de nouvelles compétences dans ce qui a longtemps été pour eux « une chasse gardée », et qui redoutent de se faire déloger de la première place. Ils tentent donc essaient de freiner leur adversaire, d’où le refus de la station l’ISS à la Chine. Mais cette mise à l’écart du pays de Mao pour éviter un rattrapage l’a en fait favorisé, obligeant Pékin à se débrouiller en grande partie seul contre tous, ne comptant que sur le genie de ses ingenieurs. La Chine, qui voulait faire de la recherche en orbite en condition d’apesanteur, a ainsi développé sa propre station spatiale (CSS) en cours d’assemblage qui pourrait très bien la mettre en position de force dans les années à venir face à ceux qui l’ont frappée d’ostracisme, car l’ISS arrive en fin de vie d’ici quelques années. Ainsi la CSS pourrait devenir la seule station spatiale étatique pour de la recherche scientifique en orbite terrestre d’ici la fin de la décennie, fait-on remarquer. Pékin a annoncé l’ouverture de cette station à la coopération internationale, vraisemblablement en direction des pays en développement comme le Pakistan qui trouverait là un allié pour contrebalancer l’influence de son voisin indien.
Devant tant d’adversités, la Chine essaie de brider les possibilités spatiales de ses adversaires. Dans cette bataille, les Chinois et les Russes proposent depuis de nombreuses années à l’ONU un projet de traité « pour prévenir la course aux armements dans l’espace ». Refus catégorique des États-Unis et de la France qui n’entendent pas faire la passe à l’adversaire chinois.
Au-delà de la « menace » dénoncée par Washington, le succès du programme chinois aura agi comme un électrochoc pour les Européens qui ces dernières décennies, ont eu des difficultés à se renouveler, alors que le développement de la Chine a été « fulgurant ».
Arrivé au pouvoir en 2013, Xi Jinping inscrit la conquête de l’espace dans son objectif du « rêve chinois de grande renaissance de la nation». Sous son impulsion, la Chine se fixe l’objectif de devenir la première puissance spatiale d’ici 2045. Au regard des performances du programme spatial chinois, nul doute que ce défi pourra être relevé comme le pays l’a si bien demontré dans plusieurs domaines.
Nomel Essis