Le fils de l’Imam Tiémoko Diarra lève un coin du voile sur les relations entre le président du Conseil national islamique (CNI) et son père, un guide spirituel bien connu à Bouaké.
Cher Imam,
Al Raïss,
Président,
Par la Volonté d’Allah à travers qui nous t’avons tous connu, Tu seras inhumé demain (NDLR : lundi 5 septembre 2022).
Ainsi, tu t’es éteint longtemps après avoir été éteint par nombre d’humains, pour qui tu as pourtant ouvert la voie de l’audace religieuse.
La vie glorieuse qui t’avait révélé à nous a tiré sur toi, depuis plus d’une décennie maintenant, le rideau ingrat de l’oubli.
Comme Thierno Bokar, le Maître de l’immense Amadou Hampaté Bâ, tu as vécu pleinement les deux faces de la vie: la plénitude et la solitude; celle de l’apogée humaine et de la réclusion inhumaine. Mais tu as gardé, avec la force d’une baleine, l’essentiel: la foi insubmersible et absolue en Allah.
J’ai eu l’immense honneur de te toucher au milieu des années 94, alors jeune lycéen engagé fortement au sein de l’AEEMCI (Association des élèves et étudiants musulmans de Côte d’Ivoire), lors de ta toute première visite mémorable à Bouaké. Aucun mot, ni aucune description ne pourra retracer la foule mosaïque qui t’avait accueilli ce jour-là, de l’entrée sud de la ville jusqu’à la grande mosquée. C’étaient les premiers vagissements du Conseil National Islamique (CNI) que tu venais de fonder et qui portait toutes les espérances d’une communauté à la fois grande, forte et paradoxalement sclérosée.
Dans la foulée des civilités, malgré la force de la foule déchaînée qui t’entraînait, je t’ai vu marquer un arrêt, puis t’infléchir sobrement à la hauteur de feu mon père, l’imam Tiemoko DIARRA. Tu l’embrassas si fortement que plus d’uns en furent émus. Père, qui te voyait pour la toute première fois, devait en être tout aussi surpris.
Puis, la nuit nous vîmes arriver une bonne cohorte de véhicules de hauts calibres vers notre modeste concession. Nous n’avions même pas de siège à offrir à toute l’auguste délégation élégamment sapée et parfumée que tu conduisais.
C’était toi, le tonitruant imam d’Abidjan, l’homme qui était l’icône et le chouchou de toute la oumma, qui visitait ce vieux coreligionnaire à l’âme pur mais sans arme. On aurait dit que Dieu nous visitait ce soir-là !
Les dizaines de grands boubous impressionnants formèrent un cercle concentrique autour de Père, qui s’était mis debout pétillant de joie, dans son djellaba et sa chéchia au pompon retombé. Tu étais choqué par le contraste frappant entre la renommée de ton hôte et son cadre de vie, à la limite du strict minimum.
Après de brefs salutations, tu l’entrainas dans sa pièce à coucher pendant que toute la suite se tenait debout dehors et que nous contemplions à n’en point finir.
À votre départ, Père nous confia que tu étais venu le voir de la part de feu Cheikh Affou SANOGO, afin de solliciter de lui une prière spéciale pour réussir la mission d’implantation du CNI.
Mais plus que cette prière, tu revenais régulièrement à Bouaké et tu le prenais avec toi dans tes missions. C’est ainsi que furent implantées patiemment et solidement les sections du cette organisation dans l’ex-vallée du Bandama et dans le pays profond des Savanes.
Tu partais avec lui des semaines entières et nous le ramenais, épuisé mais radieux, en regagnant Abidjan.
Avec ta verve, ton éloquence, ton génie et ta baraka tu es apparu comme un catalyseur de conscience
collective qui rompait ainsi avec l’inertie et la désorganisation de la oumma nationale.
En toi, nous voyions follement notre Khomeiny ou le tribun Hassan Nasrallah.
Père était un Maître, un coraniste complet qui avait l’avantage d’avoir été formé par l’enseignement traditionnel mais doté d’une ouverture d’esprit à nulle autre pareille ! Il t’aidait ainsi à concilier les deux obédiences.
Pour ne plus le perdre, tu fis installer le téléphone au domicile de celui qui était désormais devenu ton conseiller spécial et spirituel. Puis, tu lui offris son deuxième pèlerinage à la Mecque en qualité d’encadreur: c’était en 1995.
Tu lui vouais une profonde vénération.
Et lui, t’admirait comme une fée: voir un haut cadre ainsi décomplexé dans l’expression de sa foi…telle était l’avenir de l’islam en Côte d’Ivoire, se disait-il.
En sus, tu lui proposas de venir s’installer à Abidjan, où tu mettrais à sa disposition mosquée, véhicule et concession avec toute sa famille. Mais Père déclina cette énième politesse, préférant vivre dans l’ombre de sa foi, avec son unique monture: la mobylette.
Le CNI, on le sait, devint le précurseur de la plupart des autres organisations islamiques et donna à notre communauté sa toute première identité nationale.
Puis, prenant le relais du Cheikh Ahmed Tidiane BÂ, tu as ouvert courageusement la voie formelle du dialogue inter-religieux ivoirien et bien d’autres belles initiatives qui valent à notre communauté l’aspect conformiste de son image d’aujourd’hui.
Mais hélas, les crises multiformes qui traversèrent le pays n’épargnèrent rien, pas même notre clergé, nos fondamentaux, nos rapports sociaux.
En marge de toutes les clameurs, tu t’es mis au ban. Rongé par la maladie et l’incompréhension, en gardant pour toi et pour tous ceux qui n’ont de cesse de te fréquenter, les intimes secrets de ton œuvre gigantesque.
Merci pour tout Raïs.
Père t’a devancé 15 ans plus tôt !!!
Paix à vos âmes !
Hamidou DIARRA.