A Port-Bouët, Laurent Gbagbo n’a pas simplement pris la parole. Il a réveillé un imaginaire politique fondé sur l’exclusion. À travers des formules comme « fils authentique chez lui » ou « tu viens me trouver en Côte d’Ivoire et tu veux me piétiner », il esquisse une vision de la nation bâtie non sur la citoyenneté, mais sur l’appartenance ethno-territoriale.
Ce discours ne reprend pas frontalement l’ivoirité, il en épouse les mécanismes : lexique codé, soupçons insinués, hiérarchisation identitaire. L’ennemi n’est plus désigné, il est suggéré. Le tout s’inscrit dans une stratégie de victimisation inversée où l’orateur, pourtant homme de pouvoir d’hier, se présente en assiégé. Le projet politique laisse place à une mémoire blessée utilisée comme arme de délégitimation.
L’histoire, cette ennemie qu’il faut corriger
Gbagbo affirme avoir autorisé la candidature d’Alassane Ouattara en 2010, oubliant délibérément l’arrêt CI-2010-EP-034/01 du Conseil constitutionnel. Ce n’est pas un homme qui autorise, c’est une institution qui valide sur la base des dossiers administratifs produits, conformément aux exigences électorales . Mais Gbagbo ne cherche pas la vérité. Il la falsifie pour régner. Les faits sont retaillés à sa mesure, et la mémoire devient un champ de bataille.
Il s’improvise juge, sauveur, martyr et rédempteur. Une distribution complète de rôles pour un seul acteur en quête de légende.
Ce casting héroïque lui sert à effacer le chaos de 2010 comme s’il s’agissait d’un simple malentendu technique.
Ce moment tragique, nous le connaissons trop bien. On referme cette page comme un tiroir qui sent encore la poudre. Non par oubli, mais pour éviter que les fantômes ne reviennent réclamer des comptes.
Un homme figé dans le passé
Ce qui rend Gbagbo dangereux, ce n’est pas ce qu’il dit, mais ce qu’il croit encore possible. Il s’imagine attendu, acclamé, réinstallé dans l’histoire qu’il aurait suspendue. Il revient comme acteur principal d’un film où il n’est plus que figurant.
Il ne construit rien. Il rabâche. Il ne propose rien. Il reproche. Il veut incarner le héros d’un récit épique, mais il n’est plus que la dissonance dans une nation en quête de stabilité.
Face à lui : un bloc froid et enraciné
Gbagbo n’affronte pas un homme, mais une structure. un système ancré, né de la résistance, consolidé par la fidélité, et réparti jusque dans les moindres hameaux du territoire.
Ce n’est pas un leader, c’est une architecture politique : silencieuse, méthodique, implacable. La fidélité y est instinctive. La présence territoriale capillaire. La communication incarnée par des visages pour convaincre, des mains pour organiser, des pieds pour marcher.
Dans ce système, on ne crie pas pour briller, on agit pour durer. Face à cette mécanique froide, les nostalgies militantes et les foules clairsemées de Port-Bouët ne font pas le poids.
Le soupir d’un troubadour fatigué
Gbagbo parle comme si le temps s’était figé depuis son dernier discours. Mais pendant qu’il ressasse, le pays avance. La Côte d’Ivoire ne veut plus de griots fatigués récitant leurs défaites. Elle cherche des bâtisseurs, pas des chroniqueurs d’épopées inachevées.
Son discours est devenu une berceuse pour militants nostalgiques refusant de grandir. Et surtout, ce qu’il tait mais que tous savent, c’est qu’il a perdu toutes ses batailles contre Alassane Ouattara. Celle des urnes, de la rue, des récits. Même celle de la mémoire.
A ceux qui rêvent encore de faire danser la République au rythme de vieilles rancunes, la Côte d’Ivoire répondra par une marche froide, calme, irréversible. L’histoire ne revient jamais sur ses pas, surtout pas pour ceux qui n’ont su que tourner en rond.
Kalilou Coulibaly, Doctorant EDBA, Ingénieur