Les buveurs du « Koutoukou » sont durs d’oreilles. Ils ont déchiré la mesure d’interdiction prise par le préfet d’Abidjan après le drame d’Abatta où la consommation de cet alcool frelaté a provoqué la mort de six personnes. L’expression a fait le tour de quelques débits de boissons dans le district d’Abidjan.
Malgré la mise en garde du préfet d’Abidjan, les lieux de vente du « Koutoukou » également appelée « gbêlè» fabriquée à base du palmier, levure, sucre et d’autres produits ne désemplissent pas. Les «Gbêlèman» continuent de siroter ce breuvage qui brûle la gorge.
Bingerville, ville située à près de 12 km du centre d’Abidjan, la capitale économique, première étape de notre randonnée. Il est un peu plus de 8 heures, lorsque nous débarquons au carrefour Bandji. Dans cet espace, c’est l’ambiance des grands jours. Outre le Bandji, vin blanc local, très prisé, le Koutoukou est bien présent dans les cabarets. Il y en a pour tous les goûts: «Garçon pile, Anti-palu, 4 heures, pôtôpôtô, assiama, jaune amer, Gnamankou … »
Les clients présents ont l’embarras du choix. A 100 FCFA le verre à thé appelé dans le jargon « tir», ils peuvent s’offrir plusieurs doses sans se sourciller de la mesure d’interdiction prise par le préfet d’Abidjan après le drame survenu à Abatta où six consommateurs de cette boisson forte ont trouvé la mort.
«Nous sommes au courant de ça. On dit ça tué 6 personnes à Abatta. Mais ici, on ne craint rien. On fait avec», lâche K. Emmanuel, un habitué des lieux, le regard creux et la langue lourde.
«Je trouve cette mesure un peu à côté de la plaque. Interdire le Gbêlè ne changera rien. Le cas d’Abatta est un cas isolé. C’est une affaire de jalousie qu’il faut chercher à régler, plutôt que de généraliser», rétorque pour sa part l’un des voisins d’Emmanuel, avant de se lancer dans une causerie qui finit par prendre l’allure d’un débat sans fin.
Comme à Bingerville, les « Koutoukoudrome » ne désemplissent pas à Yopougon (quartier populaire dans le nord d’Abidjan). A quelques encablures du groupe scolaire du quartier Port-Bouet 2, une jeune dame tient son commerce dans un abri de fortune.
Une dizaine de bouteilles de formes diverses sont exposées sur une grande table en bois. Ses clients sont des adultes, mais aussi des jeunes gens dont la causerie ce jour tourne autour de la victoire des éléphants face aux aigles du Mali (1-0), en 1/8 de finale de la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) qui se déroule en Egypte.
A. Micheline, la vendeuse nous explique que le drame d’Abatta n’a rien changé aux habitudes de sa clientèle. Les premiers arrivent dès 6 heures du matin pour ne repartir que très tard la nuit.
Et ce n’est pas pour déplaire à Micheline. « Je vends au moins environ 10 litres par jour», lâche t-elle, sourire en coin.
Dans le même bistrot, autour d’une table et un verre à la main, quelques clients discutent chaudement. «Quand il fait froid, ça réchauffe un peu. La mesure d’interdiction ne nous arrange pas », souffle Hervé qui est à sa troisième tournée.
«On n’a pas les moyens pour boire régulièrement de la bière donc on se débrouille avec ça», se justifie t-il.
Le « Koutoukou » coule aussi à flot à Koumassi campement, malgré l’interdiction préfectorale.
Aux abords des voies ou dans des arrières cours, la clientèle sait où trouver sa dose quotidienne. Sur les raisons qui les poussent à déchiffrer la mesure du préfet Toh Bi Irié Vincent, les consommateurs se font l’avocat des plus pauvres. « Il y a des familles qui vivent de ça, si elles arrêtent leur petit commerce, comment vont-elles vivre ? », s’interroge Ahou sabine l’une des vendeuses.
Dans cette sorte d’inconscience généralisée, quelques « gbêlêman » se rebattent sur les liqueurs en sachet (100 FCFA la pièce), ou dans de petites bouteilles vendues à 200 voire 250 fcfa.
A Abatta village sur le lieu même du drame qui a obligé le préfet d’Abidjan à fermer les débits de boissons, maquis, restaurants et autres bistrots, la vente est devenue discrète.
C’est le cas d’un bistrot situé à la gare des pinasses. Des jeunes du village interrogés non loin de la gare des taxis woroworo, ont révélé que certains villageois continuent de vendre tranquillement leur « koutoukou »
Les consignes du préfet invitant les Abidjanais à s’abstenir de toute consommation de « koutoukou » jusqu’à la fin des enquêtes sont tombées dans des oreilles de …soulards.
Fulbert YAO
herrwall207@yahoo.fr