La menace terroriste à Tougbo, dans le département de Téhini, impacte négativement le quotidien des populations. Pourtant, elles ont bon espoir qu’un soleil plus rayonnant se lèvera, incessamment, sur cette localité frontalière au Burkina Faso. Reportage.
Entouré d’une dizaine de ses lieutenants adossés sur leurs motocyclettes, venus des villages environnants, Touré Amidou donne les dernières consignes pour réserver un accueil des plus chaleureux à leur hôte de marque. Le chef du gouvernement effectue,en effet, une visite à Tougbo, une localité située dans le département de Téhini. Accompagné d’une forte délégation ministérielle, il s’apprête à lancer le deuxième Programme social du gouvernement (PsGouv 2) notamment son axe 1 relatif à la «lutte contre la fragilité des zones frontalières du Nord». Un axe qui vise à amplifier les interventions de l’Etat en matière d’insertion et d’emploi des jeunes de six régions (Bounkani, Tchologo, Poro, Bagoué, Kabadougou et Folon). Pour le président du comité local d’organisation, Touré Amidou et ses membres,tout doit être impeccable pour l’accueil du Premier ministre, Patrick Achi. Et ils s’y mettent pour les derniers réglages.Il s’agit, à travers cette cérémonie, d’octroyer des fonds aux jeunes de la région du Bounkani en général et de Tougbo en particulier. Une stratégie, selon le gouvernement, pour contrer le terrorisme. Et, il ne pouvait pas avoir meilleure nouvelle pour les populations de cette sous-préfecture en ce début d’année.
En effet, le lundi 7 juin 2021, ces populations ont été la cible d’attaques terroristes. Touré Amidou et les membres du comité s’en souviennent encore. Les mois qui se sont écoulés n’ont aucunement altéré les souvenirs de l’horreur vécue cette nuit-là. «Ce jour-là, il était 20 heures 45 minutes, lorsque les tirs ont commencé. Ils se sont arrêtés au bout de quelques minutes avant de reprendre des heures plus tard », relate Touré Amidou, qui précise que la cible principale des terroristes a été les locaux de la sous-préfecture, une base des Forces armées de Côte d’Ivoire (Faci) déployées sur la ligne de front. «C’est seulement le lendemain matin que nous nous sommes rendus sur les lieux des combats pour constater les dégâts», poursuit celui qui s’est également présenté comme le responsable local de la Croix-Rouge. Une situation qui ne laisse pas les habitants indifférents. « Les populations vivent dans la peur. Chaque jour, elles sont obligées de se faire accompagner dans les champs. D’ailleurs, si vous vous tendez dans votre champ et que vous revenez vivant, c’est que vous avez de la chance», confie-t-il. Le responsable de la Croix-Rouge explique que des campagnes de sensibilisation sont régulièrement organisées pour éviter que les populations tombent dans la psychose. A l’instar des habitants de Tougbo, Ouattara Adama paie un lourd tribut à cause de la menace terroriste. Assis dans son magasin de vivres, l’opérateur économique attend ses premiers clients de la journée au moment où le soleil pointe au zénith. Son train-train quotidien depuis que les bandes terroristes ont décidé de prendre pour cible cette localité, véritable axe commercial. « Avant, nous avions un commerce florissant avec des millions de FCFA comme bénéfices en fin d’année», se remémore-t-il. Une situation bien loin, du moins depuis l’année dernière. Aujourd’hui, ses bénéfices ont chuté de façon drastique. « Depuis l’année passée, je n’ai réalisé qu’un bénéfice annuel de 275 000 FCFA», déplore-t-il, sous le regard vide de son frère aîné avec qui il a la gestion du magasin. Un problème dû au temps d’écoulement des marchandises devenu long, poursuit l’opérateur économique. « Avant la crise, les marchandises venaient dans un délai de 48 heures après la commande. Maintenant, il faut plusieurs mois pour voir la boutique se vider», soupire-t-il. Avant de poursuivre : «Nous sommes obligés de faire avec. C’est comme ça le commerce. Il y a des hauts et des bas où rien ne va. C’est la période des vaches maigres que nous traversons actuellement», laisse entendre Ouattara Adama, visiblement résigné.
Yacouba Ouattara n’est pas mieux loti. Devant son atelier, ce mécanicien de motocyclettes et vendeur de pièces détachées sirote le thé avec des collègues et amis. Il reste nostalgique de la période prospère où les activités étaient intenses. «J’allais acheter les pièces détachées au Burkina Faso pour les revendre, mais la présence des terroristes dans la zone me contraint à me rendre désormais à Korhogo», fait-il savoir. Selon lui, même si la frontière ivoiro-burkinabè n’est pas fermée physiquement, personne n’ose s’y aventurer. «Nous avons peur qu’ils nous assimilent à des espions au profit des Faci», avoue-t-il, tout en ajoutant que d’autres dangers guettent les personnes qui s’y aventurent. En plus d’être pris pour des espions, Yacouba Ouattara explique qu’il y a de gros risques pour les jeunes de se voir enrôler de force par «ces marchands de la mort».
Une lueur d’espoir
En dépit de cette atmosphère, Yacouba Ouattara fait partie des habitants qui affichent leur optimisme quant au retour d’une vie normale dans les prochains mois. «Nous prions Dieu pour que cette situation se normalise. Nous avons foi que cette menace va s’éloigner pour le grand bonheur des habitants de Tougbo en particulier, et de leurs voisins en général», espère-t-il.
Bonsa Souleymane n’en demande pas plus. De nationalité burkinabè, ce marchand de téléphone mobile s’est retrouvé coincé en Côte d’Ivoire. Il fait partie de ces 6 000 ressortissants burkinabé qui ont trouvé refuge chez leurs frères ivoiriens de Tougbo. « Les populations ivoiriennes et burkinabè sont liées. Nous venons ici les jours de marché et vice versa pour nos frères ivoiriens lors des jours de marché au Burkina. Nous nous fréquentons au cours des évènements heureux comme malheureux. Nous avons bon espoir que cette situation sera derrière nous pour nous permettre de retrouver la joie de vivre et nos anciennes habitudes», c’est son vœu le plus cher.
Cet espoir,les populations de Tougbol’ont vu grandir grâce à la présence permanente et rassurante des soldats ivoiriens qui veillent, nuit et jour, au grain pour faire échec aux nombreuses tentatives d’incursion des forces du mal.
Lorsque l’hélicoptère du chef du gouvernement se pose sur le terrain de l’école primaire de cette sous-préfecture, la quasi-totalité des populations de Tougbo l’attendaient sur la place publique pour être témoins de la cérémonie. Un mouvement de masse comme pour faire bloc avec le gouvernement contre les bandes terroristes.
Philippe Nado