LA HAYE, Pays-Bas, 21 octobre 2020/ — Mesdames et messieurs, merci d’être venus aujourd’hui à cette conférence de presse. Je vous remercie de me donner l’occasion, par votre truchement, de m’adresser au peuple soudanais.
Je m’appelle Fatou Bensouda et je suis le Procureur de la Cour pénale internationale (la CPI ou la «Cour »).
Les victimes du Darfour n’ont que trop attendu que justice leur soit rendue. Par cette visite historique, nous espérons marquer une nouvelle ère de coopération entre mon Bureau et le Soudan pour que les responsabilités pour les atrocités commises soient établies. La CPI a mis en place une cour internationale indépendante et impartiale chargée de juger les atrocités, à savoir les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité, le génocide et le crime d’agression.
Mon rôle de Procureur est de traduire en justice les responsables de ces atrocités et, ce faisant, leur demander des comptes et empêcher que d’autres crimes ne soient commis.
La CPI est au cœur de ce que nous appelons le système de justice pénale internationale prévu par le Statut de Rome. Elle constitue une juridiction de dernier ressort. Cela signifie qu’il incombe en premier lieu aux systèmes judiciaires nationaux d’enquêter sur de tels crimes et d’en poursuivre les auteurs. À défaut, c’est à la CPI d’intervenir en tant que mécanisme judiciaire de sécurité.
Ainsi, mon Bureau mène des enquêtes et des poursuites sur des crimes atroces commis de par le monde. La politique n’a pas d’influence sur mes décisions prises en toute indépendance et impartialité. Toutes mes actions se fondent sur le droit – le Statut de Rome de la CPI – et sur les preuves objectives recueillies par mes enquêteurs. J’irai partout où le droit me permettra d’aller et suivrai les preuves partout où elles me mèneront dans la quête de justice pour les victimes. L’objectif de la CPI est donc de contribuer à mettre fin à l’impunité ou, en d’autres termes, à veiller à ce que personne, quel que soit son statut ou son rang social, ne puisse échapper à son obligation de rendre des comptes pour les atrocités commises, quel que soit le temps qu’il faudra pour y parvenir.
C’est de cette manière que la justice peut contribuer à protéger les futures générations du fléau des guerres et des conflits menés sans foi ni loi, et à prévenir la souffrance humaine.
Mon Bureau enquête sur la situation au Darfour, au Soudan, depuis 2005, lorsque le Conseil de sécurité des Nations Unies, par la résolution1593 (2005), a déclenché l’exercice de notre compétence en déférant cette situation au Procureur de la CPI.
Depuis, il s’est passé beaucoup de choses. Aujourd’hui, alors que nous poursuivons nos enquêtes, il est important que les autorités soudanaises apportent concrètement et sans fléchir leur entière coopération à mon Bureau, non seulement pour le travail que nous effectuons à la CPI mais aussi et surtout pour les communautés touchées au Darfour.
Cette semaine, à Khartoum, j’ai eu de fructueux échanges avec les plus hauts responsables du Gouvernement soudanais et autres parties prenantes de première importance. Je me suis notamment entretenue avec S.E. le Premier Ministre Abdallah Hamdok, S.E. Omer Gamaruddeen Ismail, Ministre des affaires étrangères, S.E. Nasredeen Abdelbari, Ministre de la justice, le Procureur général du Soudan, M.Tag el-Sir el-Hibir, et des représentants du Conseil souverain du Soudan, le lieutenant-général Abdel Fattah Abdelrahman al-Burhan et le général Mohamed Hamdan Dagalo, ainsi que M. Mohamed Hassan Altaishi.
J’ai en outre eu des discussions constructives avec des représentants d’organisations de la société civile, d’organismes internationaux et du corps diplomatique à Khartoum. J’ai également le plaisir de pouvoir m’adresser au public et aux communautés touchées grâce à vous, les médias.
Ces réunions nous ont permis, à mon équipe et à moi, d’expliquer le déroulement de la procédure à la CPI, de préciser l’état d’avancement des affaires dont nous sommes saisis en lien avec la situation au Darfour (Soudan), et de définir un plan d’action pour une coopération effective afin de traduire en justice les personnes contre lesquelles la CPI a déjà émis des mandats d’arrêt.
Les réunions que j’ai tenues avec les autorités soudanaises ont permis de jeter les bases d’une coopération entre elles et la CPI.
Cette visite historique à Khartoum, la première en plus de dix ans, a été l’occasion pour le Gouvernement de transition soudanais de démontrer son engagement envers la justice, l’obligation de rendre des comptes et l’État de droit.
Les échanges libres et constructifs que nous avons tenus en toute franchise sont encourageants. Je me félicite tout particulièrement des promesses de soutien et de coopération que j’ai reçues au cours de cette visite, dont celles de S. E. le Premier Ministre Hamdok, qui s’est engagé à ce que le Soudan rende justice pour les atrocités commises et coopère pleinement avec mon Bureau à ces fins.
Il nous reste à présent à concrétiser dans les faits les progrès accomplis au cours des discussions prometteuses qui ont été tenues cette semaine. D’autres points y ont également été abordés, comme, entre autres, un mémorandum d’accord relatif aux modalités de coopération, des visites d’ordre technique et l’accès immédiat de nos enquêteurs au territoire soudanais. Nous sommes impatients d’avancer sans plus attendre sur toutes ces questions.
Nous comptons sur la coopération concrète et en temps voulu du Soudan ainsi que sur son engagement continu et constructif avec mon Bureau.
Nous sommes prêts à aider le Soudan à atteindre son objectif qui est de traduire en justice les auteurs d’atrocités commises au Darfour.
Je voudrais profiter de l’occasion pour assurer à la population du Darfour que mon Bureau continue de travailler avec ardeur sur la situation dans cette région. J’appelle solennellement toutes les communautés touchées au Darfour et tous ceux qui se sont dévoués à la cause de ces dernières, à se faire connaître et à contacter mon Bureau pour livrer les récits de leurs souffrances, des faits dont ils ont été témoins et de ce qu’ils ont endurés. En s’appuyant sur les preuves qu’ils nous communiqueront, nous pourrons contribuer à ce que la justice qui s’est trop fait attendre soit enfin rendue aux victimes au Darfour. Les membres de mon Bureau ainsi que nos collègues du Greffe de la Cour s’engageront très prochainement dans des activités de sensibilisation afin d’expliquer plus en détail le travail de la CPI et ses mécanismes.
Je souhaite également ajouter que je me félicite de l’Accord de paix de Juba, officiellement signé le 3 octobre 2020 entre le Conseil souverain du Soudan et le Front révolutionnaire du Soudan ainsi que d’autres mouvements, en vue de rendre justice aux victimes des atrocités perpétrées au Darfour et de bâtir une paix durable au Soudan. Je me réjouis également de l’importance particulière accordée à la CPI dans cet accord de paix et de l’accent qui est mis sur l’indispensable coopération entre le Soudan et la Cour s’agissant des cinq suspects recherchés. Je me réjouis des assurances données par les autorités quant à la mise en œuvre totale de ces dispositions, au rôle central que remplira la justice dans la transition au Soudan et à l’importance particulière de la CPI dans ce processus qui suit son cours.
Mon enquête se concentre sur les crimes qui auraient été commis par ces cinq suspects entre 2003 et 2004, en 2007 et jusqu’en 2008 en ce qui concerne M. Al Bashir.
En juin dernier, le chef présumé d’une milice, M. Ali Muhammad Ali Abd-Al-Rahman alias Ali Kushayb, a été transféré à la Cour à la suite de sa reddition volontaire. La CPI a encore des mandats d’arrêts en suspens contre MM.Omar Al Bashir, Ahmad Harun, Abdel Raheem Muhammad Hussein et Abdallah Banda Abakaer Nourain. Ces suspects sont encore recherchés à propos des atrocités énumérées dans lesdits mandats. Ils doivent tous rendre des comptes à la justice sans plus tarder. Nous nous réjouissons de poursuivre notre dialogue avec les autorités soudanaises afin de veiller à l’avancement de ces affaires dans le respect absolu de nos rôles et mandats respectifs et du principe de complémentarité.
La perspective que d’autres suspects présumés dans la situation au Darfour puissent être poursuivis à l’échelon national s’est désormais concrétisée au travers de la Cour spéciale du Darfour, ainsi qu’il est prévu dans l’Accord de paix de Juba. Cette possibilité constituerait une avancée dans le partage des responsabilités entre la CPI et les tribunaux soudanais.
À présent que les canaux de communication sont ouverts et qu’un esprit de coopération guide nos discussions avec les autorités soudanaises, nous sommes prêts à examiner les possibilités qui s’offrent désormais à nous dans le respect total de nos obligations au regard du Statut de Rome et en gardant toujours en point de mire notre volonté indéfectible de rendre justice aux victimes du Darfour.
En conclusion, je souhaite remercier le peuple soudanais, les autorités du pays ainsi que d’autres parties prenantes pour l’accueil chaleureux qu’ils nous ont réservé, à moi et à ma délégation, au cours de cette visite. J’ai également beaucoup apprécié le soutien logistique et les dispositions prises en matière de sécurité en lien avec cette visite.
La lutte contre l’impunité à l’égard des atrocités commises contre la population du Darfour est une responsabilité conjointe. Il est urgent que justice soit faite au Soudan. Pour obtenir une paix et une réconciliation durables, il est indispensable de s’appuyer sur le socle stable de la justice.
Je vous remercie pour votre attention et je reste à votre disposition pour répondre à vos questions et réagir à vos observations.
Le Bureau du Procureur de la CPI mène des examens préliminaires, des enquêtes et des poursuites à propos du crime de génocide, des crimes contre l’humanité, des crimes de guerre et du crime d’agression, en toute impartialité et en toute indépendance. Depuis 2003, le Bureau enquête sur plusieurs situations relevant de la compétence de la CPI, notamment en Afghanistan (qui fait actuellement l’objet d’une demande de sursis visée à l’article 18 du Statut de Rome), au Burundi, en Côte d’Ivoire, au Darfour (Soudan), en Géorgie, au Kenya, en Libye, au Mali, en Ouganda, en République centrafricaine (deux situations distinctes), en République démocratique du Congo et en République populaire du Bangladesh/République de l’Union du Myanmar. Le Bureau conduit également des examens préliminaires à propos des situations en Bolivie, en Colombie, en Guinée, en Iraq/Royaume-Uni, au Nigéria, aux Philippines, en Ukraine et au Venezuela (I et II), tandis que la situation en Palestine doit faire l’objet d’une décision judiciaire.