Le 25 mai à l’auditorium de la Primature, le Premier ministre Amadou Gon Coulibaly procédait à l’installation officielle de la Commission nationale de la Concurrence. Près de deux mois après, sa présidente, Esso Yanny Milie Blanche Epse Abanet, également, 1ère Vice-présidente du Tribunal de première instance d’Abidjan livre à L’Expression le bien-fondé de cette institution placée sous la tutelle du ministère du Commerce. Interview.
Quelles ont été vos impressions le jour de l’installation officielle de cette nouvelle Commission de la Concurrence ?
Je vous dis merci pour votre démarche qui me donne l’occasion de parler de la commission de la concurrence. Je tiens également à remercier le chef de l’Etat Alassane Ouattara et ensuite le Premier ministre d’avoir accepté de présider la cérémonie d’installation officielle de la Commission. Je profite de l’occasion pour féliciter Mr Souleymane Diarrassouba, l’actuel ministre du Commerce, de l’Industrie et de la Promotion des PME, qui a tout mis en œuvre afin que cette cérémonie soit rehaussée par la présence effective du 1er ministre. Cette présence, pour nous, dénote de l’importance que le gouvernement et le Président de la République accordent à cette institution. Ce jour là, les membres de la Commission et moi avions été impressionnés par l’immensité de la tâche qui nous attendait. Tous les membres ont pris conscience des nombreuses attentes des populations. C’est une commission pluridisciplinaire. On y retrouve tout le monde. Nous étions fiers de savoir que la Côte d’Ivoire regorge de nombreuses compétences qui vont apporter leur touche dans la régulation du marché économique.
Concrètement quel est le rôle de la commission nationale de la concurrence ?
Conformément à l’article 8 de l’ordonnance n° 2013-662 du 20 septembre 2013 relative à la concurrence, la Commission de la Concurrence est chargée d’effectuer une mission générale de surveillance du marché afin d’y déceler les dysfonctionnements liés aux pratiques anticoncurrentielles, telles que prévues par le droit communautaire de la concurrence. Concrètement la commission a une compétence exclusive sur les pratiques anticoncurrentielles par exemple, les abus de position dominante, les ententes anticoncurrentielle et les concentrations. Par ailleurs la commission est également compétente pour traiter les questions de concurrence déloyale. Tout le monde est libre d’exercer des activités économiques. Mais il faut qu’il y ait un gendarme pour interpeler telle entreprise ou société sur le non respect de la concurrence. Tout le monde doit avoir les mêmes chances et exercer son activité dans un canevas légal bien déterminé. En tant que quasi juridiction la commission mène des investigations, instruit les dossiers et prend des sanctions dans les cas de pratique de concurrence déloyale. Il y a une partie des missions de la commission qui relève du marché ivoirien et une partie qui relève du marché communautaire de l’UEMOA. Ainsi nous avons des textes au sein de la commission qui ne sont pas propres à nous mais au large marché de l’UEMOA. Ces textes permettent de prendre en compte les déviations plus grandes prise en compte au niveau des règles de l’UEMOA. Il peut y avoir certaines infractions comme les pratiques anti-concurrentielles, qui peuvent être traitées au niveau de l’UEMOA. Si j’estime qu’une entreprise fait de la concurrence déloyale parce qu’elle est installée à coté de moi alors que la loi dit qu’elle doit être à une certaine distance ou bien que ces produits présentent des similitudes avec les miens de sorte à créer une confusion, nous réglons cela au niveau national. Maintenant quand il s’agit de pratiques anti-concurrentielles, c’est-à-dire des dumpings, la commission de la concurrence fait des rapports et les transmet à l’UEMOA qui a compétence au sein du marché communautaire pour régler ces questions.
Qui peut et comment saisir la commission nationale de la concurrence ?
Conformément à l’article 9 de l’ordonnance n°2013-662 du 20 septembre 2013, relative à la concurrence, ratifiée par la loi n°2013-877 de 23 décembre 2013, la Commission de la Concurrence peut aussi être saisie par la Commission de l’UEMOA, le ministre du Commerce, les entreprises ou groupements d’entreprises formellement constitués, les collectivités territoriales (Mairies, Conseil régionaux…), les organisations professionnelles et syndicales. Les personnes physiques ne peuvent pas nous saisir directement. La loi n’a pas prévue cela. Elles doivent passer obligatoirement par les deux dernières entités citées. Un propriétaire de maquis peut nous saisir, mais il doit le faire le biais d’une organisation des propriétaires agréée. Ces personnes ne peuvent pas nous saisir directement. Mais elles peuvent dénoncer. Des gens nous ont dénoncé qu’au marché du port des pratiques anti-concurrentielles y ont cours. Des personnes se constituent en même temps importateurs grossistes et détaillants. Ce n’est pas normal.
« Une personne physique ne peut pas nous saisir directement, mais… »
Le traitement des dossiers peut-il durer combien de temps ?
La durée de l’instruction d’un dossier dépend de la nature et de l’importance de l’objet de la saisine. Pour une saisine portant sur une concurrence déloyale, en un mois ou deux nous bouclons le dossier. Cependant lorsque la saisine relève de la commission de l’UEMOA, une décision peut être attendue plusieurs mois après.
Avez-vous des dossiers dans le tiroir ?
Oui on a beaucoup de dossiers dans le tiroir. Nous avons des dossiers chauds. Nous en avons dans lesquels on a fait des rapports et qui sont en instance d’être « jugés ». Il y a le litige dans le domaine de l’assistance post-mortuaire. Nous aurons une décision bientôt au niveau communautaire. Il y a également le litige relatif aux nouveaux prix pratiqués au niveau des cliniques privées.
Comment le citoyen lambda peut-il ressentir les effets de vos actions ?
S’il y a une saine concurrence et que la Commission joue efficacement son rôle, cela va agir sur la cherté de la vie. Le citoyen lambda peut le ressentir. Vous savez quand il y a concurrence, il y a plusieurs vendeurs. Si nous arrivons à réguler la concurrence au niveau par exemple du poisson, chaque vendeur y mettra du sien pour attirer le client. Cela veut dire avoir de bons produits, fixer des prix défiants toute concurrence et être installé un peu partout pour se rapprocher en fait du consommateur. On ne dit pas que le coût de la vie va changer, mais les populations ressentiront un mieux être du point de vue du pouvoir d’achat. A titre d’exemple, des femmes dénonçaient la cherté des produits vivriers sur les marchés d’Adjamé et de Yopougon. Elles indexaient des pratiques anti-concurrentielles au niveau du transport de ces produits. La commission en agissant sur ces pratiques au niveau d transport va faire baisser de façon drastique les prix de vente de ces produits aux consommateurs.
Dans son adresse lors de la cérémonie officielle de présentation de la Commission, le Premier ministre a dit qu’il comptait sur la commission de la concurrence pour mettre les investisseurs en confiance. Comment comptez-vous y prendre.
Si nous travaillons correctement cela va attirer les investisseurs. Le Premier ministre l’a dit et il a raison. Parce qu’ils n’auront pas peur d’investir. Ils sauront que grâce à la saine concurrence, ils pourront avoir des retours sur investissement. Ainsi les gens diront qu’en Côte d’Ivoire on peut s’y rendre parce que la concurrence est bien juguler et que les pratiques anti-concurrentielles ne sont pas monnaies courantes, les investisseurs pourront affluer. S’ils affluent, cela va jouer sur l’économie ivoirienne. Parce qu’il y aura beaucoup plus d’entreprises, d’usines, etc. Les investisseurs ne viennent dans un pays que quand ils savent qu’ils sont en sécurité. C’est notre rôle de les rassurer.
Qu’est-ce qui vous différencie du tribunal du commerce ?
Le tribunal du commerce est une juridiction. Elle rend des décisions de justice qui sont exécutoires. La Commission de la concurrence n’est pas une juridiction mais une quasi-juridiction. Elle ne rend que des avis et décisions et non des jugements. Le seul moyen de pression est purement pécuniaire. Nous avons une position exclusive la dessus. L’aspect pénal de la concurrence déloyale relève des juridictions pénales.
Quels sont vos grands chantiers
Nous voulons d’abord faire connaitre la commission. Avant de parler des missions de la commission, il faut qu’elle soit connue. Pour le moment, elle n’est pas assez connue. Nous aurons une bataille médiatique à faire. Une fois que cette commission sera dans l’esprit des Ivoiriens, la Commission pourra alors dérouler ses activités et sera plus efficace. Le second pari sera de travailler aux missions de la commission. C’est difficile mais nous y arriverons.
Interview réalisée par Isaac Kroman